Iphigénie à Splott, de Gary Owen
Mise en scène de Blandine Pélissier
Avec Morgan Peters
Dans nos souvenirs de lycée, Iphigénie est en Aulide, destinée à être sacrifiée par son père Agamemnon afin que les vents se lèvent et mènent ses vaisseaux jusqu'à Troie…
Avec Gary Owen ce sera à Splott. Le nom écorche l’oreille, on dirait une onomatopée de mépris ; et l’on on imagine une réalité plus rude que les rivages grecs… Splott, c’est la banlieue de Cardiff, en Pays de Galles, région sinistrée par le chômage, les fermetures d’usines, de commerces… un monde que l’ère Thatcher a contribué à casser, laisser rouiller et qui est resté défiguré. Les films de Ken Loach nous en ont montré des images.
C’est là où ou vit Effie. Aucun réalisme sur le plateau pour représenter ses lieux de vie ou de parcours. La nudité. Rien pour colorer ou faire joli. Juste deux portières en lames de plastique opaque, accrochées dans les cintres, pour donner de la profondeur, un bloc de mousse gris pour tout faire : le canapé où elle s’affale, le lit pour les nuits et journées de sommeil, pour l’amour aussi, la table où sa Mémé lui laisse de l’argent, le comptoir du bar où elle se saoule, la salle d’hôpital…
Lumière et musique feront le reste : les éclairages de Ivan Matthis — vert pour le bar et la vodka, blanc cru pour danser rue Sainte-Marie, rouge pour aller boire ailleurs… La création musicale de Loki Harfagr est une vraie présence, parfois métallique, grinçante, parfois en sourdine, éclatante, ou lancinante, elle suit le parcours de Effie dans le bar, qui s’enivre, danse, crie ; elle chuchote aussi la douleur, la tendresse, l’amour…
Avant que le spectacle ne commence, la comédienne est déjà sur le plateau. Assise, jambes croisées, elle observe les spectateurs à leur entrée, qui discutent, envoient les derniers textos, prennent leur temps pour s’installer. On est encore dans la lumière et elle attaque déjà, interpelle, provoque. On sait alors qu’elle ne nous lâchera pas, que nous ne la lâcherons pas. Elle est belle et visite avec flamme, force et colère tout le plateau dans son habit d’adolescente, ou de femme jeune. Toute en gris et noir. Short court sur collants noirs, débardeur gris tout mou qui glisse, tignasse courte et pas coiffée.
Morgan Peters tient seule la scène pendant presque deux heures, le public est suspendu à ses mots, ému, captivé, révolté, amusé... Car c’est toute une vie qui passe devant nous, celle d’une enfant qui murmure « papa », d’une ado survoltée et rebelle qui jouit de heurter, se délecte de mots vulgaires, s’enivre pour oublier la vie qu’on lui a faite, pour encaisser la pauvreté, la solitude, la laideur du monde qu’on lui a fabriqué. Elle est aussi d’une femme qui s’éblouit de l’amour soudainement là qui donne l’espoir de construire.
Mais Iphigénie doit être sacrifiée… on le sait.
L’auteur de la pièce fait de Effie la porte-parole d’une classe sociale sacrifiée, qui a « encaissé » le manque de tout, manque d’argent, de travail, d’avenir, de logement décent, qui a encaissé la destruction des usines, des paysages, le chômage, la pollution, le délabrement de l’hôpital…
« Mais qu’est-ce qui se passera le jour où on pourra plus encaisser ? » demande-telle avec colère au public avant de s’effacer dans l’obscurité.
LIEN VERS LA GALERIE PHOTO : Iphigénie à Splott, de Gary Owen
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