Cinquante nuances de bleus
C'est l'histoire d'une passion, l'histoire d'un noir désir qui jeta Marine dans les bras de Florian. Elle fit sa connaissance au BlueNote, un club de jazz, quelque part sur la rive droite. Un siècle plus tôt, peut-être se seraient-ils rencontrés au Chat Noir, non loin de la place du Tertre à Montmartre où les peintres portent sur la toile les lumières du jour, depuis l'azur pâle des petits matins jusqu'au rouge sang du soleil qui se couche. Plus que la peinture, c'est la musique qui les unissait, la musique aussi est colorée.
Dès le premier regard Florian se noya dans les yeux clairs de Marine. Dès le premier regard Marine se perdit dans les yeux sombres de Florian. Tu es à moi. Je suis à toi. Dès lors ils partirent ensemble à la dérive, oublieux du monde alentour, comme claquemurés, jalousement serrés, dans la bulle irisée de leur passion.
Ô mon amour !
Avec toi, toujours. Se sont-ils rêvés s'en allant marcher sur le sable blond au bord des mers turquoise, se lançant à la poursuite du rayon vert, ou bien filant vers le nord dans la magie des aurores boréales ? Ils visiteraient tous les horizons du monde, pourvu qu'ils soient ensemble. Toute à lui, rien qu'à elle.
Mais jour après jour, de promesses non tenues en illusions perdues, la grisaille du quotidien subrepticement se répandit sur le rose des serments et le poison de la jalousie s'insinua dans le gris de leur vie. Leur chemin fut bientôt jonché de fleurs flétries.
Pour ne pas les voir, ils alignaient au rasoir la neige poudreuse que l'on respire à pleins poumons. Rêvaient-ils encore, voguaient-ils dans les couleurs miroitantes de leurs égarements hallucinés, tandis que l'enseigne au néon de l'hôtel, mécanique, indifférente, alternait sans état d'âme ses lumières jaunes, vertes, blanches ?
Comment et pourquoi l'azuréen a-t-il mal tourné au rouge de la rage, au violet de la violence ? Pourra-t-on jamais savoir ?
Le coup de foudre fit place à l'orage, les éclats de voix zébraient le silence de la nuit et les coups tonnaient sur la peau blanche et délicate.
Ô mon cœur !
Tu es ma douleur. L'indigo peu à peu maquillait les paupières. Et le pourpre aux pommettes. À ne plus pouvoir se regarder dans le miroir.
En une valse multicolore, les lumières clignotantes de l'enseigne au néon alternaient avec l'orange tournoyant des gyrophares : dans la lueur opaline d'un petit matin blême, les pompiers vinrent ramasser le corps d'une poupée disloquée, à la chair chamarrée de cinquante nuances de bleus.
C'était il y a vingt ans, c'était hier, c'est aujourd'hui. Les journaux à sensation titreront sans doute : "Dramatique accident" – "Une dispute amoureuse dégénère" et encore : "Fatale attraction" – "Tragédie romantique" – "Drame de la passion".
Ou simplement : "Effroyable fait divers".
Ce n'était rien d'autre que l'histoire d'un féminicide, le quatre-vingt-douzième de cette année-là.
Un fait divers ? Vraiment ?
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2 commentaires
Commentaire de: francoise Membre
Bien des sous-textes m’ont échappé.
Jacqueline et Patrick m’en ont dévoilé quelques-uns.
En 2023, le Ministère de la Justice compte 94 féminicides alors que les associations féministes en comptent plus de 100. Le Ministère de la Justice exclut les féminicides en dehors du couple.
On ne dispose pas de statistiques officielles pour 2003.
Commentaire de: LEBRET Claude Visiteur
D’ou l’intérêt de la création d’un accueil pour femmes handicapées, victimes de violences sur Coye la forêt. Même si ce projet ne se réalise pas sur les Trois châteaux, il devrait pouvoir se faire sur le terrain du "Roncier" que la commune possède déjà. Ce projet innovant pourrait, par la suite, être dupliquer dans d’autres régions de France.