FEMME NON RÉÉDUCABLE
de Stefano Massini
On sait que les régimes communistes totalitaires envoyaient les opposants dans des camps de "rééducation". Non rééducable, telle est Anna Politovskaïa, cette journaliste russe qui pendant des années a dénoncé dans un journal indépendant les atrocités commises par l'armée russe en Tchétchénie. Donc si on ne peut pas la rééduquer, il ne reste plus qu'à l'éliminer. Stéfano Massini , très grand dramaturge italien qui s'attaque à des sujets historiques et politiques, publie, dès l'année qui suit son assassinat – dont on ne s'est pas vraiment étonné, elle avait déjà été empoisonnée quelques années auparavant – une biographie dramatique en hommage à celle que les autorités russes ont voulu faire disparaître.

La pièce est forte, la comédienne qui incarne la journaliste est bouleversante, le partenaire masculin joue tour à tour le rôle des soldats russes et celui des combattants tchétchènes, et ce sont bien les mêmes, ils sont interchangeables dans leur insupportable inhumanité.
La journaliste, avec une extrême rigueur, relate ce qu'elle voit, ce qu'elle entend, sans jamais prendre parti. On la somme de choisir son camp, l'intelligence c'est de choisir, lui répète-t-on. Et elle ne cesse d'interroger : l'intelligence, c'est de choisir ? Entre les terroristes au pouvoir en Tchétchénie et les autocrates impérialistes au pouvoir en Russie, il faudrait choisir ? Elle refuse de choisir et donc elle est l'ennemie de tous les pouvoirs en place. On peut transposer à un autre moment en un autre lieu : faut-il choisir entre un mouvement terroriste et un état génocidaire ? L'intelligence et le courage, n'est-ce pas de dénoncer les deux ?

De très nombreux pacifistes, célèbres ou inconnus, ont payé de leur vie, ce refus de choisir, cette détermination à dénoncer les crimes où qu'ils se commettent, cette volonté de se mettre au milieu et si possible de réconcilier les frères ennemis ; le pacifisme est dangereux : depuis Henri IV - 1610 et Jean Jaurès - 1914, en passant par Gandhi - 1948, Martin Luther King - 1968, Yitzhak Rabin - 1995, jusqu'à Anna Politovskaia 2006... tant d'autres... la liste est longue.
Quand à la fin de la pièce jaillissent les applaudissements, on acclame autant le courage de cette femme exceptionnelle – Anna Politovskaïa, il ne faut pas oublier son nom – que la façon dont les gens du théâtre l'ont fait revivre devant nous et ont honoré sa mémoire.
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