Les réveillés de l’ombre, d’Alain Cadéo
Un public nombreux a assisté samedi 14 mars dernier au Centre culturel à la création des Réveillés de l’ombre, pièce d’Alain Cadéo mise en scène par Christian Besson. Deux compagnies se sont associées pour cette aventure théâtrale : le Théâtre de l’Exil et Calliope. C’est un plaisir de retrouver à Coye un solide appétit post-hivernal pour le théâtre vivant dans une salle de mieux en mieux équipée pour cette activité culturelle.
Christian Besson a déjà mis en scène L’Ombre d’un doute d’Alain Cadéo, écrivain de plusieurs romans (Zoé, Stanislas, Le Mangeur de peur, Les Anges disparaissent, La Corne de Dieu). Dès le début du spectacle, les « réveillés de l’ombre » se révèlent être les célébrissimes Don Quichotte et Sancho Panza accomplissant un retour inattendu dans notre vie moderne, après quatre siècles de retraite forcée pour cause de décès de leur créateur Miguel de Cervantes et surtout de mort littéraire du personnage de Don Quichotte à la fin du deuxième tome de l’œuvre.
Mais telle est la puissance des mythes qu’ils ne meurent finalement jamais. La société humaine les a imaginés afin de représenter en clair la complexité des âmes et de leurs relations invisibles : certains grands mythes hantent donc à plaisir l’esprit des hommes et peuvent même apporter consolation ou donner un sens à leur vie.
C’est le cas des éternels Don Quichotte et Sancho dont les spectateurs n’ont plus à faire connaissance ; dans les lumières de la scène, deux comédiens Thierry Charpiot (Don Quichotte) et Pierre Pirol (Sancho), privés de l’aide de Rossinante et de la mule, endossent avec courage et grand talent les illustres silhouettes, tout en marchant longuement sur un chemin aride, devisant du destin et des natures respectives de leurs personnages. Cet épisode mériterait sans doute d’être raccourci bien que l’on apprécie le noble langage de Don Quichotte ou la drôlerie des répliques de Sancho, la stylisation des costumes et, comme il se doit, l’habile caractérisation physique des acteurs tantôt en opposition tantôt en complémentarité. La sensualité de Pierre Pirol, sa gourmandise de la vie, sa vivacité rencontrent la silhouette d’ascète de Thierry Charpiot, de pauvre hère mal nourri, presque celle d’un Christ sur le point de monter sur la croix ! Georges d’Audignon est le sobre narrateur, le conteur convaincant qui fait franchir, avec humour et détachement, quatre siècles au spectateur, annonce et commente le voyage des héros.
La représentation montre son véritable intérêt théâtral dans deux scènes réussies où interviennent d’autres protagonistes. Dans la première, Don Quichotte fait halte dans une auberge où il est servi par une accorte hôtesse du XXIe siècle (Christine Gagnepain) qu’il surprend d’abord par son accoutrement (on ne peut ici s’empêcher de penser à l’irruption de Godefroy dans le film Les Visiteurs). La conversation aidant, l’hôtesse renseigne son interlocuteur, resté pudique et même gentiment coincé, sur l’évolution contemporaine des mœurs en particulier sur les nouvelles libertés acquises par les femmes. Avec quelle jubilation la comédienne sait-elle faire goûter à Don quichotte la saveur érotique des mots et employer des trésors de séduction ! Mais Don Quichotte, à jamais idéaliste, ne peut décemment consentir à tromper, ne fût-ce qu’en pensée, sa chère Dulcinée et l’affaire en reste là.
Dans la seconde scène, efficace, Don Quichotte est abordé par un personnage mystérieux habillé de cuir noir (Olivier Horeau). Au cours de l’entrevue, au début sympathique, celui-ci révèle sa vraie et froide fonction de commissaire de police ou plutôt d’inquisiteur, car la société se méfie des vagabonds et agitateurs de tous poils. Don Quichotte, animé comme toujours des sentiments les plus élevés et des intentions les plus nobles, ne peut supporter les bassesses sécuritaires et les roueries politiques. Avec emportement, il coupe la discussion par un NON tonitruant, résistance à toutes les compromissions, à tous les accommodements et par un discours humaniste du plus beau style donquichottesque.
Comme au début du spectacle, la fin se passe entre Sancho Panza imaginant sans y croire l’île promise par son maître et Don Quichotte. Le premier, avec son langage dru et coloré, emploie les expressions du peuple, le second continue d’exalter sa stature naïve de pourfendeur de l’injustice et de protecteur des faibles, tout en déclamant une philosophie grandiose de folie et de sagesse. A cet instant, Thierry Charpiot s’implique à fond : son interprétation emporte la sympathie du public vers ce héros magnifique et émouvant.
Outre les comédiens, il convient de saluer la mise en scène de Christian Besson, difficile en pareil cas pour donner du mouvement à une œuvre certes ambitieuse et intéressante par son sujet, mais qui est un pari littéraire dont le développement (deux heures) paraît trop important comparé au style picaresque des deux livres de Cervantes. La qualité des deux épisodes cités plus haut fait souhaiter une version qui serait fondée sur d’autres tableaux aussi inspirés théâtralement plutôt que sur le discours, si passionné-passionnant soit-il. Merci cependant à Alain Cadéo d’avoir aujourd’hui tenté cette expérience courageuse dont le thème fécond appelle le débat et peut-être une suite.
GALERIE PHOTOS : Les réveillés de l’ombre d’Alain Cadéo
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2 commentaires
Commentaire de: marc_alberto Membre
Une petite critique du spectacle sur le lien suivant:
Commentaire de: Marie-Louise Visiteur
Ravie de savoir que le spectacle a plu à Montataire et qu’il a été honoré d’une seconde critique fine et intelligente. J’ai personnellement beaucoup apprécié le travail des comédiens. Tous les cinq donnaient vie et chair aux personnages. Car le théâtre, pour moi, c’est d’abord des comédiens qui m’accrochent, qui m’agrippent et ne me lâchent pas. Ce fut le cas.