On l'appelait "Mimi"
Les souvenirs de mon enfance à Coye sont liés à la forêt. C’était mon terrain de jeux jusqu’à douze ou treize ans, avec d’autres enfants. Je me souviens de Jean-Charles Longa, un cousin.
Sinon, on aidait nos parents, on jardinait, on allait aux marais où mon père avait 700 m2 de jardin. Il y avait installé une cabane.
La pierre du sacrifice. Quand on était gosses on jouait au moyen-âge et on se faisait peur en se racontant qu’on faisait là autrefois des sacrifices humains.
La mare aux quatorze arpents, j’aimais bien. C’est sur ce chemin qu’un jour, en allant vers la petite source, j’ai trouvé 750 g de morilles.
J’ai toujours été attirée par la nature. Ma grand-mère maternelle, Maria Cochu, de la famille du mari de Georgina Cochu, m’apprenait les fleurs.
J’aimais la chorale aussi. Le directeur de l’école publique, Marcel Lesterps, avait créé en 1942 la chorale « Les petits chanteurs de la Reine blanche » qui rassemblait des élèves de l’école privée et de l’école publique. Nous étions une cinquantaine d’enfants. Nous allions chanter partout, à Chantilly, à Paris, à Gisors, dans le Limousin. Je me souviens surtout de notre voyage en Corse.(2)
J’allais à l’école libre de la rue Blanche, là où il y a un pan de maison qui avance un peu dans la rue, après le calvaire. Nous étions une trentaine d’élèves. Elle a fermé en 1944, l’année de mon certificat d’études. Pour me récompenser, ma maîtresse, Melle Flanet, m’a dit : « Tu prendras quelque chose chez nous pour ton certificat d’études. » Elle avait mis des livres sur une table à ouvrage. Je devais en choisir un. J’ai choisi la table à ouvrage ! Elle m’a aussi donné le livre.
Mes amis de l’époque étaient Daniel Morin, Pierre Cochu, Michel Lesterps, Fanfan Bourgeois
En 1944, ma mère m’a mise chez une couturière à Coye dans la cité Salengro, Madame Lanoro ou Lanareau. Ma mère faisait de la couture à la maison, elle gardait des enfants, elle faisait le jardin. Mon père était forgeron à la SNCF à Paris. Il allait à Paris en train et une fois il m’a fait monter dans la locomotive, et j’étais fière.
Je voulais aller apprendre la couture à Paris, je m’étais inscrite chez Poiret. Mais ma mère ne voulait pas, car je n’avais pas de chaussures. Elles étaient réservées à ma sœur. Je portais des sabots, et c’était bien, parce que papa m’avait fait des fers et sur la rue d’Hérivaux je jouais à faire des étincelles.
En 1947, après les vacances, je suis allée m’inscrire dans une maison de couture à Paris, rue de La Paix, chez Monsieur Carmine. Mon travail était plutôt monotone, je faisais du surfil. On m’envoyait aussi faire des courses, et j’aimais cela : j’allais dans les beaux hôtels livrer les robes, faire des essayages. Si la livraison était tardive on me donnait de bons pourboires. Comme on disait que j’étais vive et dégourdie, mon patron m’envoyait aussi travailler dans des familles qui avaient besoin d’une couturière. J’ai fait ainsi treize places en trois ans. Mais il ne me déclarait pas, c’est ce que j’ai découvert quand j’ai pris ma retraite.
J’ai rencontré Henry Troyat qui logeait momentanément chez un couple du Boulevard Saint-Germain pour lequel je faisais des costumes de théâtre. Il écrivait debout et travaillait alors au tome III de « La famille des Eygletières. » Je me souviens que les rayonnages de la bibliothèque contenaient de nombreux livres de Dunoyer de Segonzac. Henry Troyat disait que j’avais l’air d’un titi parisien. J’ai travaillé pour des Russes qui habitaient l’hôtel et qui voulaient aussi des costumes de théâtre. Dans le XVI° arrondissement, Square Henry Pathé, encore chez des Russes, je me suis trouvée enfermée dans les toilettes, et j’ai dû passer par l’extérieur d’une fenêtre à l’autre. Pas très rassurée, car j’étais au moins au 5° étage !
Comme j’avais de petits pieds, j’ai fait le « mannequin pour pieds ». On photographiait des chaussures à mes pieds.
J’aimais aller patiner le soir après le travail.
J’allais tous les jours à Paris en train, je montais à la gare à pied.
J’ai rencontré Max, mon futur mari, à un anniversaire, celui d’une tante de Madame Dulmet. Je m’étais fait une robe noire très simple avec des bretelles de ruban scintillant sur des vieux collants. Max était représentant en peinture à Paris. Nous nous sommes mariés en 1954 dans le 18° arrondissement. Ma mère était contente que je me marie avec quelqu'un d’ici, elle ne voulait pas que je parte aux Etats-Unis comme ma sœur. Nous avons habité la maison de la rue d’Hérivaux là où habitaient mes parents.
Max m’a quittée car il disait que j’étais plus vieille que lui – de trois ans -, que je me maquillais trop. Bref, il cherchait des raisons.
La tapisserie
Pour payer l’avocat qui s’occupait de mon divorce je me suis lancée dans la tapisserie. J’ai tapissé une chambre pour son fils. C’est comme cela que j’ai réglé mon divorce. Puis j’ai continué, et j’ai tapissé partout, à Coye, chez les Savignies, chez les Langavant, à Senlis chez les Bailliencourt, pour Maurice Chapelan aussi, l’écrivain. Comme il aimait rire, il disait « Micheline, tapissez partout ». Ensuite j’ai donné des cours de tapisserie pour l’association des Familles qu’avait créée Madame Mariage, la maman d’Alain, dans les années 60 et j’ai continué mon métier de couturière.
J’ai fait des housses de piano pour l’association de musique, des costumes pour le Théâtre de La Lucarne. Comme j’aime la forêt, j’ai beaucoup marché avec La Sylve.
Micheline et le jardin
Le jardin de Micheline est un monde. Il rappelle le jardin de curé. Tout y est planté de sa main et au petit bonheur, le jardin reflète son inspiration, ses coups de coeur et n’obéit à aucune loi de paysagiste.
Près d’elle, à l’hôpital, elle a les photos de ses plantes. Elle aime les regarder, elle dit leurs noms, elle commente :
Le lagurus ovatus : ou queue de lièvre. On en fait des bouquets de fleurs séchées.
Le beau rosier blanc qui s’étale a été planté en 1903.
Le bouleau, et à l’arrière-plan les trois acacias qui forment une cépée. Un garde-forestier m’a donné il y a trente ans environ la permission de planter la souche d’un acacia et j’ai laissé ensuite pousser trois rejets, après la cicatrisation du tronc. Trois beaux arbres maintenant.
Le rosier Ernestine, blanc un peu rosé.
Le rosier rouge grimpant entre fenêtre de la cuisine et le garage.
La glycine avec des grappes de 70 cms
Les asters autour du perron.
Des prunus, à jolis pompons roses, prunus kansans, ou à grappes blanches comme le Prunus mahaleb ou Bois de Sainte-Lucie que j’ai fait pousser à partir d’une bouture.
L’arbre sculpté : le héros du jardin. C’est moi qui lui ai donné cette forme en coupant les branches. J’ai coupé au fur et à mesure qu’une branche me gênait. C’est le lieu préféré des enfants qui trouvent là un siège, de quoi se balancer.
Un petit arbuste à boules blanches de la famille des spirées.
Et la « guirlande de pots » qui court le long des fenêtres de l’atelier de couture.
Un bugle qui s’élève dans l’herbe avec ses fleurs jaunes et ses feuilles pointues.
Les animaux de Micheline
Micheline est celle qui recueille, qui soigne, qui adopte.
Dans sa cuisine, je garde l’image d’une cage à oiseaux dans laquelle vivait un oiseau bien sûr – j’ai oublié son nom – et sur la cage un chat régnait sur les lieux, étalé sur cet observatoire qui trônait sur la table. C’était peut-être Va-et-Vient.
Va-et-Vient a été son dernier chat, je crois, reconnaissable à sa queue en zigzag, trace d’un ancien accident. « Il est venu chez moi, il a insisté pour entrer, je lui ai donné à manger à boire, il se couchait dans le lit de Jojo. »
D’un autre elle dit : « Je le prenais dans mes bras, je lui donnais à manger, je ne voulais pas qu’il rentre à cause d’un autre chien que j’avais adopté. Finalement il s’est installé. »
Elle cite Moussia, un beau chartreux gris qui a eu des petits, deux Pussy, Lotus, le siamois de ma fille. Un monsieur de Creil me l’a prêté, j’allais lui acheter du tissu, des canettes pour la machine à coudre. Nous l’avons gardé, il était gentil. Mais les gens n’aimaient pas Lotus.
Gnoufgnouf, Patapon, le chat roux et crème de Catherine et de Jacques Bona.
Jojo, labrador noir qui la suivait partout, de la cuisine au jardin, compagnon fidèle, le dernier chien. « C’était un chien avec un pedigree. Un monsieur voulait s’en débarrasser. Le vétérinaire ne voulait pas l’euthanasier. Le monsieur me l’a apporté un samedi soir. Il est entré. Il est toujours là, dans le cimetière des chats de mon jardin. C’est moi qui enterrais mes chats.
J’ai eu aussi un berger allemand. Mon beau-frère l’avait trouvé en Allemagne, abandonné. J’ai appris quelques mots d’allemand pour lui parler. Très gentil, il s’est habitué aux chats. »
L’été, la journée de Micheline était rythmée par les visites aux chats que leurs maîtres avaient laissés pour les vacances à ses bons soins.
Micheline manque à toutes les bêtes, à toutes les plantes. Quand je passe devant son jardin, je tourne la tête et je regarde ce que deviennent les plantes.
Je me souviens de la cuisine où la table accueillait bêtes et gens, de l’atelier où ses trésors de tissus tenaient chaud, du jardin où elle enseignait les plantes.
Je me souviens de la place de la mairie qu’elle traversait après la messe.
Je me souviens du théâtre, des allées du marché, de la rue d’Hérivaux où son sourire et son accueil étaient là.
Je me souviens de la phrase qu’elle m’avait dite un jour : « Je veux renaître sous la forme d’un chat, mais d’un chat chez moi. »
Notes :
(1) La pierre tournante de Coye, par l'abbé Leullier, Extrait du Bulletin du Comité archéologique de Senlis, 1906
Lire l'article
(2) Voir le fascicule édité par La Sylve et réalisé par Jean-Marie Delzenne en 2001 qui raconte toute l’histoire de cette chorale exceptionnelle et présente un recueil des chansons (paroles et musique) écrites par Marcel Lesterps.
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6 commentaires
Commentaire de: François DESHAYES Visiteur
Commentaire de: Sophie BARANT Visiteur
Merci pour ce bel hommage. Emouvant, enrichissant comme l’était Mimi. Je l’ai connue tardivement mais j’ai eu cette chance. Moi non plus, je ne l’oublierai pas.
Commentaire de: hugues_morin Membre
Salut Micheline,
Je me souviens, gamin, la découverte de La mare aux quatorze arpents en ta compagnie.
A “l’époque” il n’y avait pas beaucoup de voitures, alors tu nous faisais profiter de ta rutilante Diane 6 blanche.
Tu nous trimballais à droite, à gauche, et c’était l’expédition à la piscine de Senlis.
Et puis traîner dans ta cuisine, te voir préparer ta fameuse soupe aux orties.
Voilà, quelques souvenirs toujours vivants.
Commentaire de: Pistre Longa francoise Visiteur
Moi aussi je me souviens de Micheline, c’est moi qui lui avais présenté Max Bochatay Ami d’enfance de mon mari Gilbert Pistre, lors d’une soirée à la maison rue de la gare. Je regrette qu’elle ne soit plus là, elle connaissait tout de Coye, et de sa forêt, les balades avec elle étaient très enrichissantes. Je me souviens de ses chocolats qu’elle faisait elle même. Elle savait faire beaucoup de choses, elle avait la main verte.Quand on se rencontrait dans la rue de l’endroit ou elle était elle lançait un “Bonjour cousine” Là haut, elle montre aux anges à planter, coudre, cuisine et accueillir tous les animaux du paradis.A bientôt, peut être on se retrouvera et elle aura encore beaucoup de choses à montrer.
Commentaire de: Poil à gratter Visiteur
Beau et fidèle portrait d’une femme très attachante, aimée de tous et très serviable.
Pour la postérité - qui sait, quelqu’un s’appuiera peut-être sur ce blog un jour, il serait bon de corriger certains noms, manifestement erronés, dans le paragraphe “La tapisserie” :
- Savignies (Lescuyer de Savignies), les propriétaires du château ;
- Langavant (Cléret de Langavant), famille qui a habité jusque dans les années 90 chemin des Ecureuils ;
- Bailliencourt à Senlis
Commentaire de: La rédaction Membre
Onomastique oblige ! La rédactrice de l’article recopiera 100 fois les nobles noms écorchés…
Bravo, bel hommage à MICHELINE, coyenne connue de tous qui a rendu tant de services et que nous n’oublierons pas !