Un curieux sourire
TU AS BIEN FAIT DE VENIR, PAUL
de Louis Calaferte, Cie Les Mistons.
Le spectateur, sans ménagement, est introduit dans l’intimité désolante d’un pauvre homme. La première scène exhibe sa dépression masquée, caractérisée scéniquement par le désordre et la tenue débraillée, la paresse ; la cause se révèle bientôt : le lien distendu avec l’enfant. Le père s’est résigné. Prisonnier d’un corps sans désir, d’un appartement exigu, de la pauvreté, il ne lui reste qu’à dormir. L’espoir est venu fugacement d’un petit garçon voisin qui l’a adopté.
Quand vient Paul, il lui faut cacher sa joie et ne pas se laisser aller à espérer. Ne pas le retenir pesamment, l’apprivoiser avec d’infinies précautions. Surtout ne pas se plaindre. Parler de faits anodins. Son sourire ambivalent nous bouleverse : effort pour paraître content, sagesse bouddhique, ironie douce, timidité ? Que cache-t-il, ce sourire ?
Paul et lui, qui n’est jamais nommé, entament un dialogue entrecoupé de silences. Les paroles ne disent rien, il nous faut interpréter les vides du discours, les sous-entendus, les gestes, les regards.
La tension dramatique vient paradoxalement du fait que le spectateur ne peut pas imaginer que le fil du dialogue reste aussi banal. Il attend donc la rupture, la « catastrophe » au sens théâtral. « Elle m’a quitté » tombe sans nécessité apparente, après une heure, d’un profil figé, et n’arrête pas le mouvement du père dont on sent pourtant le souffle coupé. On comprend que Paul est venu pour dire cela. Les faits insolites de sa venue prennent sens, tout le dialogue s’éclaire à rebours, c’était un lent travail d’approche, une progression feutrée environnée de dangers.
Ces dangers de la rupture sont matérialisés par les signes cosmiques : nuit+chaleur pesante+ orage (on pense au début de Rhinocéros), et les signes humains (femme frigide et dominatrice, incendie, arbres et maison détruits aux alentours, rêve brisé ). Le monde autour est rejeté, vécu comme hostile, tant que l’essentiel (l’amour) manque. L’espoir se réfugie dans le paradis perdu de l’enfance à travers l’évocation de la mère nourricière qui fait naître la nouvelle relation : le fils redonne symboliquement à son père sa place de père. Le geste final, retenu, entre la caresse et la bourrade, signe théâtralement ces retrouvailles. Mais quel est l’avenir de ce foyer reconstitué autour de ce couple fusionnel père/fils?
Nous avons aimé ce texte subtil et sensible, ces personnages fragiles interprétés sans aucun effet théâtral démonstratif. Une épure dont la simplicité n’est qu’apparence et qui résulte d’un travail approfondi et constant. Le décor minimaliste centre l’attention sur le jeu des comédiens, les objets qui « parlent ». La pièce a été jouée dans les lieux les plus divers en particulier en appartements privés. À Coye, les comédiens ont été sensibles à la qualité d’écoute du public qui leur a permis de donner le meilleur de leur art.
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