Molière de A à Z
Gros-René écolier
par la Compagnie Ucorne,
mise en scène et adaptation d’Eric Favreau
La façade ocre de la maison du Docteur Balouard est le théâtre de l’action : un barbon veut épouser la jeune ingénue qu’il a recueillie. Celle-ci n’a d’yeux que pour un beau cavalier. C’est au valet que revient la tâche de faire échouer le projet du vieillard et de favoriser celui des amoureux.
Une porte sur la rue et une fenêtre au premier étage permettent des poursuites, jeux entre le dehors et le dedans. On entre, on sort, on se cache, on se barricade, on surgit, on ouvre les volets, on les ferme. La fenêtre devient un castelet où se jouent les duos, où se voit dans le matin l’éclat de la jeune Hélène qui soupire de désir pour Octave. Tout est donc gai et lumineux, d’autant que nous savons que le bonheur des amoureux sera sauvé grâce aux ruses du valet. Stéphane Bouby est excellent dans le personnage de Gros-René, qui, pour la bonne cause, est passé maître en tromperies, et l’on rit des costumes et des postures qu’il se choisit pour duper « la vieille bête » : tantôt servante dont la perruque et les jupes s’envolent, tantôt médecin par magie, tantôt écolier bêtifiant sous sa coiffe de dentelle. Le pédant et ridicule Balouard est interprété à la perfection par Philippe Cariou, son numéro de cavalier dans un exercice de haute école est un grand moment. On applaudit au travail des comédiens qui ont fait de ce canevas un spectacle jubilatoire : déguisements, mimes, coups de pied aux fesses, cavalcades, danses, jeux de mots, clins d’œil au public. Tous les ingrédients de la commedia dell’arte sont là et la Compagnie Ucorne nous les offre avec un très grand talent, longuement salué par le public qui a exprimé sa joie tout au long du spectacle.
site officiel : http://www.ucorne.fr/
Extrait vidéo
Le Malade imaginaire
A la fin de la représentation, on aime s’attarder dans le hall du Centre pour échanger quelques mots avec les acteurs. Une petite fille demande à Frédérique Antelme, qui a adapté et mis en scène la dernière œuvre de Molière : « Pourquoi ça s’appelle Le Malade imaginaire ? »
C’était juste la question à poser. Car imaginaire, ce malade ne l’est plus. Car le spectacle, certes avec le rythme et le ton de la comédie, met en scène la maladie d’Argan, le délire hypocondriaque.
Puisque nous sommes dans le délire, ni le décor ni les costumes ne visent à reproduire la réalité. Serions-nous dans un songe ? C’est une pièce en noir et blanc. Noir des rideaux, blanc des oreillers qui voltigent, blanc des costumes, fluides, amples, qui ne figent pas la pièce dans une époque. Le jeu des personnages se déroule autour de cinq fauteuils sculptés dans le bois, dont la place varie et modifie l’espace : empilés, ils sont un totem, sculpture verticale où Argan semble immolé dans une lumière rouge, renversés ils figurent l’univers dévasté du malade et sa solitude. La notion de temps est abolie : actes et scènes sont effacés au profit d’une unité où les acteurs toujours présents se meuvent et changent de costumes librement. Le carcan de la structure dramatique a éclaté.
Julien Playe est un Argan étonnant : D’abord il est jeune, et nous sommes plutôt habitués à voir dans ce rôle des hommes plus mûrs - Molière avait 50 ans. Visage émacié, dos voûté, corps d’autant plus maigre qu’il flotte dans une robe immense qu’il serre sur lui ou qui se déploie comme un drap de lit. Le comédien fait de ce tyran domestique un être qui souffre, pitoyable parce qu’il est en proie à la terreur de mourir et parce qu’il est le jouet des autres. Les femmes le bernent, l’enjôlent, le caressent - leurs bras tournent autour de lui comme serpents - veulent l’étouffer ou espèrent sa mort. Et les médecins, vrais ou faux, le condamnent, le tiennent à sa merci, le terrorisent : le foie, la rate, puis le poumon sont atteints !
Cibles de Molière, les médecins Diafoirus Père et fils sont interprétés par un seul acteur, Frédéric Abrachkoff. Redoutable dans la consultation qu’il s’apprête à donner, il déroule sur lui un long tablier blanc auquel sont accrochés des instruments chirurgicaux brillants et menaçants… de simples pinces à sucre. S’emparant de deux pinces, la main sûre comme celle du chirurgien, Diafoirus père démontre à Argan comment il a façonné, fabriqué, on pourrait presque dire lobotomisé son fils pour en faire un parfait médecin. Dans une composition intéressante, comme une volte-face du médecin, le même acteur est aussi Béralde, qui tente de délivrer son frère de sa névrose et de sa dépendance aux prescriptions, aux clystères, aux saignées. Le comédien donne alors à la voix de Molière un curieux relief, un accent de vérité comme si ce texte du XVII° était écrit pour nous, grands consommateurs de médicaments, acharnés à prolonger notre vie par tous les moyens. « Que faire quand on est malade ? demande Argan. – Rien…. Il ne faut que demeurer en repos. »
Même si rôdent la mort et la folie, la comédie est là aussi bien sûr, voire la farce : Angélique pleure et crie, chante aussi faux que son Cléante, marâtre et belle-fille s’affrontent à califourchon sur les épaules qui d’Argan pour l’écraser, qui de Toinette pour grandir. Une Toinette travestie en homme à laquelle François Martel donne une forte présence : nous rions de ses hanches visiblement arrondies et qu’il sait onduler, de ses yeux bleus si mobiles capables d’exprimer la rouerie et la tendresse. Toinette est un ouragan qui déplace les oreillers, qui bondit puis se cache, qui prend son maître sur les genoux, le jette à terre, le frappe, court, s’éponge le front, épuisée par ses tentatives pour sauver la famille du désastre.
La servante du « Malade Imaginaire », doublement travestie en homme puis en médecin, tend la main à Gros-René le valet, aussi expert en métamorphoses.
Ce spectacle a été une totale réussite car nous avons lu Molière autrement, nous l’avons redécouvert. Le public ne s’y est pas trompé et a manifesté son enthousiasme pour ce regard neuf, pour l’excellence du jeu des comédiens, les hardiesses et l’esthétique de la mise en scène.
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