BULLE
A l’origine des bulles, le comportement des investisseurs, des « marchés ». Qui veut s’enrichir s’intéresse à la fois au revenu produit par son investissement – les dividendes payées par les entreprises, les loyers payés par les locataires – et à l’évolution de la valeur de son bien. En effet, si le bien prend de la valeur, l’investisseur peut encaisser d’importantes plus-values s’il le vend. A titre d’exemple, rappelons que de 1997 à 2007 le prix du mètre carré a plus que doublé à Paris et aux Etats-Unis, et plus que triplé en Grande-Bretagne. Du coup, les financiers ne prennent en compte que le rendement global de leurs investissements. Ils ne font pas de distinction entre revenus et plus-values.
Quand on spécule en s’endettant, quand on joue autant – voire plus – avec de l’argent emprunté qu’avec le sien, aussi longtemps que le prix au mètre carré ou que les cours de la bourse montent, vos investissements prennent de la valeur, et les banques, qui veulent elles aussi être de la fête, sont disposées à vous prêter toujours plus. De quoi réaliser de nouveaux placements et entretenir la montée du prix au mètre carré ou des cours de la bourse !
Résultat, quand bien même le niveau des loyers ou des dividendes stagne, vous pouvez avoir intérêt à acheter des mètres carrés ou des actions tant que la conviction collective est que ça va continuer à monter. Tant que « les marchés » y croient, comme on dit dans la presse financière, chacun investit et, si chacun investit, ça ne peut que continuer à monter ! Et combien de temps ça peut durer ? Nul n’en sait trop rien ! Les économistes vont répétant que « les arbres ne montent pas jusqu’au ciel », sans jamais nous dire la hauteur du ciel. Aussi, tant que les prix montent, la hausse valide a posteriori la fuite en avant des investisseurs, ce qui justifie donc d’investir encore. Un mouvement qui s’entretient d’autant plus si les banques centrales, qui fixent le prix de l’argent, maintiennent grand ouvert le robinet du crédit, afin de soutenir la croissance de l’économie. Cette fuite en avant est donc parfaitement assumée, comme l’avouait en juillet 2007 Chuck Prince, alors directeur général de Citigroup, au moment où les premiers nuages noirs apparaissaient dans le ciel américain : « Quand la musique s’arrêtera (…), les choses deviendront plus compliquées. Mais tant que la musique joue, il faut se lever et danser. » (1)
Vient alors le moment où le Titanic commence à gîter sérieusement, où la conviction collective se retourne, parce que des ménages sans ressources peinent à rembourser leurs emprunts ; parce qu’un investisseur surendetté doit vendre ses immeubles et ses titres à perte et fait faillite ; parce que les banques centrales, après avoir laissé courir, finissent par s’inquiéter de l’ « exubérance des marchés » et augmentent les taux d’intérêt, ce qui accroît le coût de l’endettement. Les danseurs abandonnent alors la piste avec d’autant plus de rapidité que la panique devient générale : les investisseurs doivent en effet rembourser les dettes souscrites par le passé alors que la valeur de leurs investissements chute. Ils cherchent donc à vendre la plus vite possible afin de limiter leurs moins-values, provoquant ainsi le mouvement qu’ils redoutent, avec le même comportement moutonnier qui les faisait acheter auparavant. Quant aux banques qui leur avaient massivement prêté, elles se retrouvent collées avec des créances douteuses ou récupèrent des mètres carrés à la valeur chancelante. Menacées elles aussi de faire faillite, elles deviennent alors beaucoup plus exigeantes histoire de se refaire une santé, ce qui achève de casser la croissance. Une situation désignée sous le joli nom de crédit crunch.
Ca paraît bête ? Oui, pourtant cette combinaison entre une bulle immobilière ou boursière et une bulle de crédit ne cesse de se reproduire. On l’a observé sur l’immobilier de bureau à la fin des années 1980 à Paris, Londres, New York et surtout Tokyo, sur les Bourses asiatiques en 1997, sur les valeurs Internet en 2001, et sur l’immobilier résidentiel aux Etats-Unis, en Espagne ou au Royaume-Uni en 2008-2009. En attendant la prochaine fois.
(1) Financial Times, 10 juillet 2007, cité par André Orléan in De l’euphorie à la panique : penser la crise financière, éditions Rue d’Ulm, Paris, 2009.
Source : « Petit dictionnaire des mots de la crise » de Philippe Frémeaux et Gérard Mathieu, édition Alternatives Economiques.
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