Pas de prison pour le vent
J’ai été très sensible à l’écriture de Alain Foix, auteur guadeloupéen, aux écritures l’on pourrait dire, car le texte s’installe sur des registres différents selon les personnages, très poétique et universel dans les tirades de Gerty Archimède, plus révolté pour Angela Davis , et ancré dans le quotidien créole, pour Sœur Suzanne… Trois beaux rôles plein d’espérance, portés par un jeu d’actrices efficace. Sans oublier le seul personnage masculin, Joachim aux multiples facettes d’ailleurs, qui rythme la pièce par sa présence, ses harangues, sa musique qui crée à tout instant des ambiances différentes… avec quelques instruments simples. Cette histoire nous montre la place importante des femmes dans la société guadeloupéenne. La mise en scène de ce huis-clos est sobre mais avec force, réussit à nous créer en fait un cinquième personnage, le vent… Cette référence au cyclone qui arrive, qui est là ou qui va venir… est permanente.
Aller écouter, voir une pièce de théâtre au Festival de Coye la Forêt, c’est aussi, avoir la possibilité de rencontrer les créateurs eux-mêmes. Après la représentation, nous a été offert un instant de grand plaisir par ce dialogue avec l’auteur et les actrices (teur). On y a découvert la dimension intime et historique de la pièce, son ancrage dans l’enfance de Alain Foix, petit neveu de Gerty Archimède, la véracité des personnages, des lieux, quelques anecdotes qui redonnent de la force à la pièce et amplifient le plaisir ressenti quelques minutes auparavant, en la voyant…
Enfin, je ne peux terminer ce bref écho de spectateur, sans faire un clin d’œil à celui qui nous a été proposé par les organisateurs. Chaque soir est présentée aux spectateurs, puisée dans Le Petit lexique amoureux du théâtre, de Philippe Torreton, la définition d’un mot, à partir d’une lettre de notre alphabet… Ce jeudi soir, c’était la lettre M et l’expression « dire merde » à quelqu’un pour lui porter chance. Savez-vous que cette expression puise sa signification dans le théâtre même ? Comme les spectateurs venaient en calèche voir les pièces de théâtre, on mesurait le succès d’une pièce, à la quantité de crottin de cheval que l’on voyait devant les théâtres, le lendemain ! Alors, dans une communauté de communes où le cheval est roi, que le théâtre le devienne aussi, mais, bien sûr, un théâtre citoyen et populaire comme celui de ce soir !
Christian Gautellier
Rencontre avec Alain Foix
Avant de parler de lui et de la pièce qu’il a écrite, « Pas de prison pour le vent », Alain Foix félicite d’abord le Festival : « Une belle équipe et des techniciens remarquables ».
La comédienne Marie-Noëlle Eusèbe ajoute qu’elle a été touchée par l’écoute du public. « Le public est le partenaire supplémentaire, c’est une énergie qui a de l’importance dans la représentation. »
Curieusement, ajoute Alain Foix, je suis déjà venu à Coye-la-forêt dans mon enfance dans les années soixante. Ma mère était arrivée en France avec deux enfants dans des circonstances difficiles et nous a mis en pension, mon frère et moi, dans une institution religieuse à Coye. (Ndlr : Certains Coyens pensent qu’il s’agirait de l’ancien Chäteau du Regard). C’était très pénible et je n’y suis pas resté longtemps car je supportais mal cette discipline. Je me souviens qu’il fallait nettoyer les parquets à la paille de fer !
Mais parlons de la pièce ! Elle a été créée en 2006 en Guadeloupe et Martinique. Elle a beaucoup tourné, mais Virginie Emane que vous avez vue dans le rôle d’Angela Davis a repris le rôle ce soir pour la première fois.
- Pourquoi tant de femmes dans cette pièce ? demande une spectatrice.
A.F. : Parce que c’est mon milieu naturel ! Dans ma jeunesse, je n’ai eu que des filles autour de moi ! Ces femmes que vous avez vues sur scène ont réellement vécu. C’étaient mes grand-tantes qui avaient reçu Angela Davis dans leur maison, à Cocoyer sur les hauteurs de Pointe-à-Pitre, assaillies par le vent. Tout ce qui est dit est vrai. D’ailleurs, Angela Davis, qui avait alors 28 ans, parle dans sa biographie de ma grand-tante Gerty Archimède qui a été son avocate lors de son passage en Guadeloupe : « Maître Archimède était une grande femme à la peau sombre, aux yeux vifs et au courage indomptable. Je n’oublierai jamais notre première rencontre. Je sentais que j’étais en présence d’une très grande dame. (…) Si je n’avais écouté que mes désirs, je serais restée sur l’île pour tout apprendre de cette femme. »
Gerty Archimède - dont le rôle est interprété par Marie-Noëlle Eusèbe - était le pilier de la famille, la « femme poteau-mitan » en créole, la femme politique par excellence, semblables à ce que sont aujourd’hui Christiane Tobira ou Lucette Michot-Chevry. Elle menait un combat de femme dans une société machiste. En Guadeloupe, Gerty est presqu’un mythe. Première femme inscrite au barreau de la Guadeloupe, première femme députée de la Guadeloupe, elle n’a cessé de militer. Elle a sa statue sur le port de Basse-Terre, mais je ne voulais pas en faire une statue. Je me souviens bien d’elle, ma mère me déposait chez elle quand j’étais petit. Quand je suis revenu en Guadeloupe, elle a tenu à me voir et, pour que nous ayons le temps de parler, elle m’a dit : « Je t’invite le dimanche 15 août à déjeuner. » Alors que je me préparais, on me téléphone : Gerty vient de mourir, elle faisait le déjeuner…
Je voulais donc renouer avec cette conversation, j’ai eu besoin d’approfondir le sujet, j’ai interviewé des personnes dans son entourage.
- Et le personnage de Germaine ? Dans la pièce il est dit qu’elle s’est jetée dans la Seine.
A.F. : Elle a existé bien sûr. Gerty en parlait, mais quelque chose m’échappait. Et un jour, je suis allé voir la demi-sœur de mon père qui m’a averti : « Ne dis pas à ton père que je te l’ai dit, sinon je te tue ! » Germaine est morte, s’est noyée, un enfant dans son ventre. Elle était tombée amoureuse et voulait se marier avec un nommé Boisneuf, fils d’un député. Elle en a parlé à son père qui lui a dit : « Tu ne peux te marier, car ce garçon est ton frère. ». Toute la famille a porté cette histoire. J’ai pu libérer les choses.
- Angela Davis connaît-elle la pièce ?
A.F. : Oui, je la lui ai envoyée, elle parle bien français, mais elle ne se déplace pas beaucoup.
Virginie Emane : J’ai regardé les interviews qu’elle a données en 1978, on sent bien qu’elle a vécu des choses horribles. Elle a été très dure pour les dirigeants américains de l’époque.
- Avez-vous travaillé avec le metteur en scène, Antoine Bourseiller ?
A.F. : Bien sûr ! Il est d’abord un serviteur du texte, il le décortique et il travaille avec l’auteur. Je devais assister aux répétitions.
J’avais écrit cette pièce pour trois femmes (Angela, Gerty et sa sœur Suzanne). Un jour, Antoine me dit de passer le voir. « Il y a un problème, me dit-il, j’en ai rêvé cette nuit, il manque un personnage.
- C’est le vent, le quatrième personnage.
- Non, il manque vraiment quelqu’un.
- Dans ma pièce je lui ai donné un nom, c’est Joachim.
- Oui, il est dans ta pièce, mais tu n’en fais pas un personnage. »
Or, j’ai un cousin, Jean-Jacques, le garçon de la maison qui vivait chez Gerty. Il s’est tué d’un coup de fusil dans la maison. J’ai écrit la pièce dans la maison. Il était présent, mais je ne le nommais pas. Le théâtre n’est pas loin de la vie.
- Quels sont vos projets ?
A.F. Une nouvelle pièce avec Jean-Claude Drouot, « Rue Saint-Denis ». Elle sera créée en février 2011 en Guadeloupe et jouée en mars de la même année au Théâtre de l’Epée de bois à Vincennes. On en fera une lecture à Avignon le 17 juillet.
Je remercie vraiment l’équipe du festival assez audacieuse pour présenter des auteurs contemporains, et qui donne tort au préjugé selon lequel il n’y aurait pas d’acteurs noirs. Il y en a bien sûr, ils sont là maintenant. Le monde a changé, il est devenu multipolaire.
Propos recueillis par Marie-Louise
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