YERMA en ouverture du 29ème festival théâtral de Coye-la-Forêt.
Toute grâce, fragilité, et force à la fois, Yerma ne s’autorise aucun répit. Habitée par un désir d’enfant qu’elle ne peut contenir. Poignante, elle nous fait partager sa révolte contre un destin que rien ne lui fera accepter.
En quelques étapes clefs, présentées sous formes de tableaux et espacées de plusieurs mois comme nous le suggère le texte, le drame se noue. Voici quelques flashes pour tenter d’en donner un aperçu. Ces images, bien sûr, ne donnent qu’une idée très réduite de la force, de la foisonnance et de la poésie du texte de Federico Garcia Lorca, ainsi que du travail sensible du Théâtre de la Lucarne.
Premier tableau de l’acte I
Au lever de rideau, Yerma endormie s’éveille. La journée commence.
Son mari, Jean, va partir au travail.
Yerma : « Qu’est-ce que tu sens ? »
Maria : « De l’angoisse… »
Yerma : « On n’a pas d’enfant comme un bouquet de roses. Il faut souffrir pour les voir grandir… Mais c’est bon, c’est sain, c’est magnifique. Chaque femme a du sang pour quatre ou cinq enfants et lorsqu’elle n’en a pas il se change en poison. C’est ce qui va m’arriver »
Juste après, Yerma rencontre une jeune femme qui n’a pas d’enfants.
La jeune femme : « C’est tout de même commode de ne pas en avoir : nous vivons tranquilles toi et moi. »
Yerma : « Moi, pas. »
Suit une allusion sur la mère de la jeune femme, une certaine Dolorès qui habite tout en haut du village dans la dernière maison et qui saurait des prières et des remèdes pour rendre les femmes enceintes.
Deuxième tableau de l’acte I.
Elle la questionne sur son état et les raisons.
La vieille, forte de son expérience, émet des doutes sur la bonne entente du couple, mais préfère éluder : « Cherche toi-même. De toute façon, tu devrais être moins innocente. »
Survient Victor, un berger que Yerma a connu jeune fille.
Le dialogue laisse transparaître une atmosphère particulière, des sentiments où se mêlent confiance et compréhension.
Premier tableau de l’acte II.
Les rumeurs vont bon train sur Yerma et sa différence. Les laveuses sont là pour les alimenter. Elles chantent, dansent en étendant le linge et organisent un petit théâtre de marionnettes pour illustrer leurs propos moqueurs.
« Elle ne supporte plus de rester chez elle »
« De quel droit parles-tu ? Elle n’a pas d’enfant, mais ce n’est pas de sa faute. »
« C’est de sa faute à lui… ».
Suivent des chants joyeux célébrant la vie et l’enfant qui arrive : « Alléluia ! Joie et délice / Du ventre rond sous la chemise ! ». Les laveuses sont satisfaites, épanouies, heureuses de laisser Yerma à ses problèmes.
Deuxième tableau de l’acte II.
Yerma revient cependant très vite avec deux cruches d’eau.
Le dialogue qui s’installe entre elle et Jean montre l’incompréhension entre les deux époux.
Les échanges sont vifs, souvent hargneux, voire violents.
Jean : « Que te manque-t-il donc ? Dis-moi ? Réponds ! »
Yerma : « Il me manque, Lui. »
Jean : « Toujours la même chose. Cela fait plus de cinq ans. Et moi, je l’ai presque oublié. » … « Tu vis comme une folle avec ton tourment » … « Tu me regardes d’une telle façon que je ne devrais pas te dire « pardonne » mais plutôt t’enfermer, car je suis ton mari. ».
Maria passe devant la porte de la maison de Yerma sans s’arrêter. Yerma l’interpelle : « Maria ! Pourquoi passes-tu si vite devant ma porte ? »
Maria entre avec son enfant dans les bras : « Toujours, lorsque je suis avec l’enfant. Car cela te fait toujours pleurer. »
Yerma parle, s’épanche, et finit par lancer cette phrase éloquente : « Chaque jour je désire plus, et j’espère moins. »
Premier tableau de l’acte III.
Jean : « Elle fait le mal depuis le jour même de nos noces. Elle me regarde avec deux aiguilles, elle passe les nuits à mes côtés les yeux ouverts, et ses mauvais soupirs m’empêchent de dormir. »
Yerma crie son désespoir… et Jean essaye de la faire taire.
Deuxième tableau de l’acte III.
Le diable est de la partie. Yerma s’y est rendue, entraînée par Maria.
Yerma : « Tu cherchais une maison, la tranquillité et une femme. Mais rien d’autre. C’est vrai ce que je dis ? » »
Jean . « C’est vrai. Comme tous les hommes. » ….. « Embrasse-moi…. Comme ça. »
Yerma : « Ca jamais. Jamais »
(Yerma pousse un cri et serre son mari à la gorge… On entend le chœur des pèlerins…) …
« J’ai tué mon fils ! De mes mains, j’ai tué mon fils. »
Rideau
Le public, nombreux, applaudit. Les comédiens saluent et resaluent après les rappels…
Merci à Gabrielle Denjean (qui joue le rôle de Yerma) pour l’émotion qu’elle transmet, les questions, la compassion qu’elle éveille en nous.
Merci au Théâtre de la Lucarne de nous faire (re)découvrir Federico Garcia Lorca et de nous donner envie d’aller plus loin dans la lecture de ces textes magnifiques.
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1 commentaire
Commentaire de: Grand duke Membre
J’ai aimé l’excellente mise en scène :
Un décor sobre, puis contrastant avec la tragédie que vit Yerma, obsédée presque jusqu’à l’hystérie par sa stérilité, l’arrivée des villageoises aux robes vivement colorées et surtout le monde rural représenté par des marionnettes ce qui allège l’atmosphère. Yerma dans son rôle est émouvante de vérité…
Le point fort de la pièce avec une mise en scène excellente est pour moi le pèlerinage, avec la réplique de la vielle raisonnable et sensée : « Il vient chaque année plus d’hommes seuls …. Et le saint fait des miracles » (ce qui suscite chez les spectateurs le seul rire de la pièce) Yerma prisonnière de sa culture espagnole et de son honneur qu’elle ne veut pas salir, refuse d’écouter la vieille.
La culture familiale du mari est intéressante ; elle déculpabilise Yerma en quelque sorte rendant le mari plus ou moins responsable…
A cela il faut ajouter la merveilleuse langue de Lorca ; la fidélité de la traduction des images et métaphores qui donne au thème une dimension plus riche.