Elvira ou l’Atroce fin d’un séducteur, de Anca Visdei
Par La Compagnie Calliope et La Compagnie de la Femme Pressée
Mise en scène de Jean-Claude Scionico
Le Centre culturel de Coye-la-forêt est décidément le lieu où pour le théâtre tout est possible. Pour les auteurs contemporains, pour les troupes professionnelles à la recherche d’espaces de diffusion où montrer leur travail – ils en vivent, ne l’oublions pas. La Compagnie Calliope, associée à la Compagnie de la Femme Pressée a réalisé une belle performance en présentant sur scène pour la première fois, les 10 et 11 février, la pièce d’Anca Visdei, « Elvira ou l’atroce fin d’un séducteur ». Le public était nombreux pour cette première, attiré par le mythe de Dom Juan ainsi que par la notoriété de l’auteur, écrivain fécond (contes, romans, pièces de théâtre), metteur en scène, désireux aussi de retrouver ou de découvrir des comédiens qui ont travaillé à Coye pendant deux semaines afin d’offrir cette pièce au public dans une mise en scène de Jean-Claude Scionico.
L’atroce fin d’un séducteur, le spectateur la connaît pour avoir lu Molière ou écouté Mozart. Dom Juan brûlé par les flammes de l’enfer disparaît dans les entrailles de la terre. Quel sort pourrait être plus atroce ?
Idée originale, Anca Visdei commence par la fin, ce dîner auquel le Commandeur conviait le séducteur. Mais surprise, ce n’est pas la silhouette massive et redoutable d’un Commandeur à la voix d’outre-tombe qui entre sur scène, mais une jeune fille. Alerte, enjouée, insolente, belle et désirable. La fille du Commandeur.
La comédienne Zoé Nonn prête à Elvira un regard qui veut séduire et un corps qui s’offre ou se dérobe, dans une robe qui dénude la jambe, l’épaule, taches de lumière dans le sombre intérieur de « DG ». Car c’est ainsi que l’insolente appelle Don Giovanni. On l’a compris, l’auteur joue avec les anachronismes, les registres de langue, la polysémie. Ainsi, le mot qui nomme la volaille offerte sur la table pour le dîner, dorée et grasse à souhait – autrement dit la dinde – désigne aussi la jeune nigaude victime du séducteur. Ce que n’est pas Elvira. Elle, c’est une gourmande. Vorace de la vie, de bonbons, de gâteaux, de plaisirs…. De vengeance. La voici donc face à un autre gourmand – gourmand de femmes - décidée à ne pas le rassasier. Qui dévorera l’autre ?
Thierry Charpiot, bien connu du public de Coye-la-forêt, joue le séducteur avec aisance. Costume noir romantique, gilet rouge, chemise blanche dont le col se hausse. Boucles sur le front. Voix onctueuse, faussement apaisante, exprimant et suscitant le désir. Il rit, enrobe, tourne autour de celle dont il croit faire sa proie, susurre mots doux à l’oreille. Peu à peu elle le prend dans ses filets, il perd son assurance, la voix se teinte d’anxiété, le visage se crispe. Rivé à la fenêtre, il guette les rivaux possibles. Il entre dans l’enfer de la souffrance, de la jalousie, de la folie.
Entre ces combattants, le valet Leporello, sanglé dans un costume irréprochable de domestique, rigide à souhait, interprété par Gilles Martin. Gestes étriqués du couard, déplacements à petits pas de la marionnette, courtes répliques. Il amuse, il détend. On se plait à rire de sa poltronnerie. Le comédien joue les contrastes, reste à sa place de témoin du duel, ou d’arbitre fuyant occupé à sauver sa peau entre les lames.
Le spectateur retrouve avec bonheur l’opéra de Mozart pour accompagner les changements d’actes et les entrées. Grâce à la sobriété du décor, le metteur en scène permet au jeu du comédien d’occuper tout l’espace. Un fauteuil Louis XV – un seul siège, le Commandeur ne viendra pas et Elvira ne reste pas en place - et la table du dîner, support de la dinde – la dinde offerte à tous les appétits - des cadres vides pour le tableau de chasse du séducteur : les portraits sont absents tant les victimes sont interchangeables.
Le public se concentre sur le texte, spirituel, qui fait mouche et qui analyse les ressorts de la séduction, suit les étapes de cette vengeance de femme, elle-même s’emparant du pouvoir de séduction. Nous ne sommes pas loin des liaisons dangereuses.
Le public manifeste son plaisir par de nombreux rappels et, ainsi que le veut la tradition à Coye-la-forêt, reste à échanger avec les acteurs quand ils ont quitté leur texte et leurs costumes. Zoé Nonn laisse ses cheveux en boucles libres et rit, détendue, heureuse d’avoir franchi le cap de la première, tout en se réjouissant des six représentations prévues à Montreuil au Théâtre Berthelot à partir du 22 mai. Le public la connaît pour l’avoir vue dans plusieurs séries télévisées, comme Boulevard du Palais, Cordier juge et flic. Au Théâtre 14 elle vient d’interpréter Sérafina dans Le Capitaine Fracasse, après avoir joué dans Toctoc de Laurent Baffie.
Thierry Charpiot est à l’aise avec le public coyen qui le rencontre régulièrement – cours de théâtre, lectures à la bibliothèque, création du spectacle « Margotiner à Coye-la-forêt ». Il revient d’un périple en Chine pour des représentations du Bourgeois gentilhomme.
Au bar, Jean-Claude Scionico et Gilles Martin nous invitent à prendre un verre, histoire d’avoir le temps de discuter plaisamment, de nous dire quelques mots de la Compagnie de la femme pressée et de La Compagnie Agile au sein desquelles ils se produisent. Tous deux ont travaillé sur le texte d’Anca Visdei et y ont associé Thierry Charpiot. Jean-Claude est un ami de l’auteur qui a souhaité qu’il monte sa pièce. Il leur manquait une actrice et après audition, ils ont donné le rôle d’Elvira à Zoé Nonn. Ils s’en félicitent. Nous aussi !
Et n’oublions pas de dire les mérites de la costumière, Valérie Martin - ah ! les manches dissymétriques de la robe - du responsable du décor et des éclairages, Jean-Luc Apostolou – lumières douces, ombres qui rétrécissent le plateau – et d’Olivier Dentier, le créateur de l’affiche gourmande.
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1 commentaire
Commentaire de: Benoit Visiteur
Quelques visages familiers sont, souvent par couple ou en famille, en train d’échanger les dernières nouvelles de la journée, et s’agglutinent vers l’entrée. Pour une somme modique, nous sommes invités à une représentation théâtrale pour célébrer la fin de semaine et peut être le retour à des temps plus cléments…
On babille, s’embrasse entres amis, puis le noir se fait: le décor est posé sur Don Giovanni!
On entre de plein pied dans le drame, point d’artifices ou si peu. Simplissime et pourtant fonctionnel le décor nous rappelle que nous sommes au théatre, et sa magie viendra en support du eu des acteurs!
C’est un trio qui joue les duétistes! Don Giovanni, Loporello et Elvira s’affrontent tour à tour en duel. Le machiavélique Don Giovanni se heurte à la ruse d’une Elvira remarquablement moderne. Loporello en bon serviteur est servile et désespérément dévoué au vainqueur!
Les scènes s’entrechoquent avec maestria, Thierry, Zoé et Gilles sont séduisants, horripilants insupportables mais la magie opère…Ils s’affrontent sur le mode de la séduction, celle feinte de la soumission, fausses pistes et cruelles désillusions, l’art du théâtre et celui consommé des artistes nous portent à y croire l’espace de la représentation !.
Le texte nous renvoie, dans une feinte non déguisée, à une actualité toute présidentielle. Un message subliminal ou chacun prendra plaisir à mettre dans la bouche des candidats les paroles de nos duettistes.
Ne restez pas seul à la maison ce soir, ou devant votre télévision, car vous manqueriez l’occasion de vous divertir ! Venez rire de vous même avec bon cœur, laissez vous tenter le spectacle vaut son pesant d’émotions et c’est avec un plaisir non dissimulé que j’aurais aimé embrasser la pétillante Zoé si le devoir ne m’avait appelé !
Merci Thierry, Gilles, Zoé pour cette soirée…