PROSPER ET GEORGE
de Gérard Savoisien
par Atelier Théâtre Actuel
Mise en scène : Thierry Lavât
C'est un vrai moment de plaisir que cette pièce de théâtre où sont exaltés les jeux de l'esprit et la jouissance des corps, la vérité des sentiments et par dessus tout la liberté d'une femme exceptionnelle.
Après les liaisons dangereuses, voici, dans une toute autre tonalité, les liaisons éphémères !
Ici George (sans "s"), ce ne peut être que Sand, et Prosper, on le comprendra, c'est Mérimée. Lui, on n'en connaît pas grand chose : oui, certes, un écrivain du XIXème siècle... Qu'en ouverture de rideau il lise une lettre qu'il vient d'écrire, rien de plus naturel. Quant à elle – à qui la lettre est destinée – elle nous apparaît sous la forme d'une ombre chinoise derrière un écran, une silhouette, celle d'une femme – pantalons, canne et chapeau haut de forme – habillée en homme, bien évidemment.
Ainsi la pièce commence par des idées reçues. Mais comme dans la caverne de Platon, les ombres ne sont pas la réalité ; il faudra forcer la porte de l'alcôve et faire la pleine lumière sur le plateau pour connaître, au-delà des apparences, la vraie nature de ces deux figures de la littérature et percer le secret de leur relation. L'auteur, Gérard Savoisien, prend délibérément le contre-pied de la légende que les deux protagonistes ont eux-mêmes contribué à répandre : de cette liaison éphémère – qui a existé vraiment – généralement présentée comme un échec, le dramaturge contemporain fait une véritable passion – sans aucun souci de vérité historique, bien évidemment, car là n'est pas son propos – avec toute une palette d'émotions qui la traversent depuis la rencontre jusqu'à la rupture.
Ce sont deux tempéraments à l'opposé l'un de l'autre qui se trouvent ici réunis, et ça fait des étincelles ! : Prosper est "maître de requête au conseil d'État" ; assez traditionnel dans ses pensées et ses comportements, lié par des horaires et des obligations, il est soucieux du qu'en dira-t-on ; George, elle, est ardente, provocatrice, libre, revendiquant sa liberté. Au début, face à cette femme hors norme, Prosper est empêtré dans les préjugés et il se conduit comme les hommes se conduisent lorsqu'ils (ne) sont (pas si) sûrs d'eux-mêmes et de leur supériorité : hâtivement, bêtement. C'est George, d'emblée, qui imprime son rythme, son style et sa volonté, de sorte que plus tard Prosper avouera que pour la première fois il rencontre une femme qu'il ne domine pas. C'est peu dire ! La formule ressemble à une litote ! Et le public en rit.
Ce sont aussi, bien sûr, deux conceptions de l'écriture qui s'affrontent : lui écrit posément, avec l'aide d'un dictionnaire, il se fait traiter de fonctionnaire, obscur et besogneux ; elle, elle écrit avec ferveur, les mots lui viennent du cœur ; l'encre, c'est son sang et c'est par l'écriture qu'elle gagne sa liberté.
Mais tous deux s'accordent lorsqu'il s'agit de se moquer du petit monde littéraire de l'époque, tout bruissant de ragots, de rumeurs, de mensonges – comme celui d'aujourd'hui aussi bien ! C'est délicieusement évoqué : les piques et les pointes fusent, on plaisante, on s'amuse, on rit – et on fait rire la salle, bien sûr, qui se régale. Mais tandis que Prosper, qui lui-même, comme tout le monde, colporte volontiers les plaisanteries et les médisances – ah ! sa façon de railler Victor Hugo ou Alexandre Dumas ! – tandis que Prosper se soucie de ce qui se raconte à son propos, George, en femme libre, jette son image en pâture à tous ses détracteurs : une seule chose lui importe, son travail d'écrivain. Au début de la pièce, lorsque la lumière se fait sur le plateau, lorsque le personnage de chair vient remplacer la silhouette en ombre chinoise, le spectateur découvre George en train d'écrire ; c'est ainsi qu'elle s'affirme d'emblée ; et le pupitre – avec le manuscrit, la plume, l'encrier – est au centre de la scène comme l'écriture est au centre de sa vie. C'est ce qu'elle revendique avec fougue et c'est ce qu'on lui pardonne le moins.
Tout va très vite dans la pièce. C'est tout à la fois grave et drôle, sérieux et plaisant. La mise en scène est vive, le texte pétillant, plein de formules savoureuses, l'auteur étant capable d'ironie envers lui-même : "On ne peut être brillant sans être un peu clinquant", fait-il dire à l'un de ses personnages ! On rit souvent, et de bon coeur.
Les acteurs – Miren Pradier dans le rôle de George et Christophe de Mareuil dans celui de Prosper – pleins de vitalité jouent admirablement sur tous les registres – curiosité, désir, obsession amoureuse, jalousie, colère, orgueil, incompréhension, dépit, résignation – avec grâce, avec humour, avec chaleur, avec conviction. On ressort de la salle de très joyeuse humeur.
PROSPER ET GEORGE De Gérard Savoisien
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2 commentaires
Commentaire de: François le champi Visiteur
Commentaire de: Mullenbach-Nigay Visiteur
Un bijou de texte ! qui nous promène à la fois dans le siècle de George et Prosper et dans notre XXIe.Y-a-t-il tant de différences ?…en apparence peut-être, mais au fond des choses…
Grand bravo aux acteurs et surtout à “George", Sand telle qu’en elle-même.
L’une de mes soirées préférées cette année.
Deux comédiens magnifiques. Ils ne jouent pas, ils sont Prosper et George. Un beau texte qui nous promène parmi les grands du XIX° siècle et qui nous fait rêver de Nohant…