QUELQUES CONSEILS UTILES AUX ÉLÈVES HUISSIERS
ou L'impossible mission de Maître Echinard
de Lydie Salvayre
Cie La Main Gauche
Mise en scène : Jeanne Mathis
Le personnage
Il y a NOUS, la confrérie huissière.
Il y a VOUS, les impétrants, les bleus.
Et EUX, objets de tant de haine, les SAISIS, tous des pauvres, des minables vicieux.
JE, Maître Échinard, donne doctement une leçon sur « les procédures de saisie et d’expulsion ». Il se doit de bien présenter et d'employer un langage correct pour être digne de la haute idée qu'il prétend se faire du " service de la loi". Soucieux de la pureté de son haleine (bonbons), de la propreté de ses vêtements (costume cravate, imper Colombo bien repassé), il est surtout attaché à la qualité de son expression, qu’il améliore constamment en prenant en notes sur son petit carnet bleu ses meilleures trouvailles.
Maître Échinard se veut aussi fin psychologue, capable de résoudre toutes les situations même les plus conflictuelles, et Dieu sait qu'il y en a. Il sait tout du « mécanisme horloger de la psyché humaine » et des ruses des pauvres « qui ne manquent pas de ressources ». Hygiène et équité sont les deux mamelles du royaume de l’Échinard, jouxtant la Procédure et donnant sur la mer de l’Autosatisfaction.
Qu'il est lourd à payer, le prix de tant d'efforts pour tout contrôler et se contrôler! Dévoré de tics, ravagé par la névrose obsessionnelle, gagné par des crises paranoïaques, le pauvre Maître aurait bien besoin de s'allonger sur le divan de l'analyste (ce qu'il fait au moment où il raconte le suicide d'un saisi). Le vernis des conventions cède sous la pression des affects, ceux-ci s'expriment par d'étranges postures, danse de samouraï, grognements, ennui, déshabillage et rhabillage, grimaces, explosion de postillons, inversion de syllabes. Le maître adore faire siffler sa baguette, soupçonner ses élèves, ou les placer en dilemme, commenter d'incompréhensibles formules du comportement humain sur son tableau, user de violence indirecte, réduire l'humanité à la plus sommaire dichotomie, les justes et les pauvres. Mais le corps parle, les écailles et le sang vert du monstre alien-de-justice affleurent sous la peau synthétique de l’Échinard.
Approche critique
Ce travail de suggestion du conflit qui mène à la folie, le comédien Frédéric Andrau le mène et le développe à merveille : il s'engage physiquement, maîtrise les subtilités du texte et réussit à créer un contact ambigu avec le public qui se ressent à la fois élève nul (qui connaissait Darnand et si oui, osait le dire ?) de ce professeur sadique et spectateur complice de ses victimes, riant de ses ridicules.
La forme théâtrale de la conférence drolatique est un lieu commun dans notre théâtre d'aujourd'hui, elle plaît au public friand des comiques des one man shows, elle est adaptée aux difficultés économiques actuelles. Mais, s’emparant de cette forme, Lydie Salvayre crée un discours dont la force poétique dépasse de loin le simple plaisir des jeux de mots et autres gags. Le discours est sculpté en vers boiteux, en rythmes, les mots irradient de tout leur pouvoir évocatoire, comme exploit, saisi. On y retrouve même l'élan de l'épopée dans le magnifique récit burlesque au passé simple du Maître résistant au double assaut moral et sexuel de l'expulsion de Rose et de sa fille, tel Ulysse tenant tête aux sirènes. En tant que psychologue, elle est aussi sensible aux dérapages du langage, aux dérives de la rationalisation, aux sigles abscons, bégaiements, expressions absurdes, tout ce qui révèle la maladie mentale. Rien n'est gratuit, et reste dans la tonalité d'un humour noir cruel. La condamnation convenue de la société des nantis bien-pensants y trouve un souffle original.
Toutes les photos du spectacle : QUELQUES CONSEILS UTILES AUX ÉLÈVES HUISSIERS De Lydie Salvayre
PARTAGER |
Laisser un commentaire