DES POISSONS DANS LES ARBRES
Comédie métaphysique et mise en scène d’Alexis Vésigot-Wahl
Compagnie Ucorne
Ce soir, j’ai vu une farce anti-cléricale, enlevée, gouailleuse, calembourdeuse et grinçante. La salle a ri, énervée, généreuse. J’ai souri.
Il faisait beau, pour une fois, et presque chaud. Les amis du festival se réunissaient dans le tintamarre syncopé des djembés. Au milieu du gué du voyage théâtral du Festival de Coye, mon enthousiasme intérieur était chauffé au rouge et j’étais prêt, ce soir-là, pour le grandiose. Je n’ai eu d’abord que du ridicule, intempestif et irrévérencieux. Mais oui ! Les ficelles étaient grosses, épaisses, rugueuses, tressées serrées comme des cordage de bateau. Les comédiens se faisaient marionnettes empesées, silhouettes affables et agitées, prises dans le filet du scénario, attrapés par la forme de la fable et les nécessités du style boulevardier. La charge sonnait la charge ! Les jeux de mots et les calembours s’amoncelaient le long des phrases avec une gourmandise allant jusqu’à la gloutonnerie. L’auteur avait décidé de ne se priver d’aucun, tricotant les blagues carambar avec les mots de l’Almanach Vermot, sur la trame d’un dialogue à la Audiard. Les ficelles étaient lourdes et les comédiens avaient décidé de s’en servir avec une râpeuse incivilité. Elles étaient faciles à grimper, avec des nœuds. Le public riait autour de moi. Tant mieux !
Etait-ce parce qu’à partir de la deuxième partie de la pièce, les comédiens ont été plus dans le rythme ? Etait-ce parce que la pièce découvrant ses batteries avouait enfin son but ? Quand même, je me suis senti mieux. C’était probablement parce que, abandonnant mes prétentions au sublime, j’acceptais de jouer avec l’auteur. J’acceptais son langage et, poussé par les rires simples et sans prétention de mes voisins, je me laissais aller dans la mousse de son petit délire verbal. J’ai été jusqu’à me laisser aller à apprécier le Judas-bricot paradisiaque. Probablement parce qu’en dessous de la croûte des mots et des phrases, il y avait quelques fruits confits de poésie. Le texte avait su nous laisser goûter quelques jolis traits d’émotion et de savoureux clin d’œil philosophiques.
Certes la critique joyeusement anti-cléricale reste toujours roborative dans ce début de siècle habité de tensions communautaires et religieuses. Mais l’auteur s’enferre un peu dans ses réflexions métaphysiques. Il propose à l’homme perdu dans l’absurdité de l’univers le projet d’une réincarnation amnésique. Il s’agit d’une sorte de métempsychose dans une chaîne humaine, un clonage où le poids moral de l’âme pourrait assurer l’éternité. L’homme fait son bébé tout seul, avec la bonne excuse de l’oubli. Et on voit, encore et toujours, l’homme garder au fond de son cœur l’espoir d’une vie éternelle, même si le paradis semble avoir été déserté par Dieu depuis longtemps.
Voilà. Dans les rires et les grandes esclaffades de mes voisins, il y avait une petite leçon d’humilité que j’ai écoutée. J’ai bien aimé le tricot des jeux de mots et le laborieux labour des calembours. J’ai bien aimé les petits cadeaux de poésie, pudiquement emballés dans la causticité de l’humour. J’ai bien aimé les lumières du soir, les projecteurs dans la nuit, peignant des fleurs de couleurs sur les murs du village et continuant l’illusion. « Quand on regarde les nuages se refléter dans l’eau, on voit des poissons dans les arbres. » Il y en avait encore dans les tilleuls de la promenade. En rentrant, je souriais.
Félicitations aux interprètes :
Pascal Aubert (Pietr)
Alex Waltz (Martin Loiseau)
Photos du spectacle : DES POISSONS DANS LES ARBRES D'Alexis Vésigot-Wahl
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3 commentaires
Commentaire de: Jacqueline Chevallier Membre
Quelle belle et bonne critique ! Je craignais d’être la seule à m’être contentée de sourire. Oui, bien sûr, c’était amusant, mais sans enjeu, sans engagement des comédiens, sans urgence. J’ai fini par trouver que c’était ennuyeux et je me suis endormie. De temps en temps, j’essayais d’ouvrir un œil et de me raccrocher au spectacle. Dans mon demi-sommeil, j’ai aperçu un ange, puis un curé en soutane. N’osant croire que j’étais au paradis, j’ai pensé que je rêvais. Je me suis réveillée tout à la fin et j’ai applaudi, car après tout, je n’avais pas passé une mauvaise soirée.
Commentaire de: PAGE Visiteur
Je suis stupéfait de voir des critiques aussi réservées sur cette pièce qui, des cinq que j’ai vues cette année, m’a laissé le souvenir le plus fort (mais j’ai aussi trouvé excellentes “Zadig” et “Le baiser de la veuve").
C’est avec un vif plaisir de l’esprit que l’on se laisse entraîner par le dialogue entre les deux personnages, dialogue qui n’a rien de boulevardier mais nous entraîne au contraire, avec subtilité, d’un lieu insolite dans un autre, tout en surfant ça et là sur les croyances religieuses, le doute qui en résulte, l’angoisse existentielle de chacun (ou de chacune), les souvenirs du passé qui reviennent et un vague sentiment de culpabilité mais sans jamais désespérer, ni de soi-même, ni de l’homme en général, ni même de Dieu, même si l’on peut se demander, au fil du dialogue, si celui-ci n’est pas le Grand Absent d’une multinationale qu’il a fondée mais dont “ceux qui ont repris l’enseigne” ont quelque peu dégradé l’image (je précise que je me considère fort modestement comme l’un d’entre eux).
L’humour s’est même plaisamment prolongé au moment des applaudissements et j’ai bien aimé la remarque que l’on peut voir la vitalité d’une religion à sa capacité de rire d’elle-même.
Pourtant le titre ne m’avait guère attiré et j’ai dû faire un effort pour venir mais la lecture du proverbe correspondant, sur la feuille, avant le spectacle: “Quand les nuages se reflètent dans les eaux, il y a des poissons dans les arbres” m’avait déjà semblé prometteuse de sens et de poésie.
Commentaire de: Marie Louise Membre
J’ai passé une très bonne soirée et n’ai pas boudé mon plaisir de rire. Les comédiens sont excellents, les jeux de langage jamais vulgaires. Cela commence comme un histoire assez banale dont nous imaginons vite le déroulement. Mais les surprises viennent peu à peu, et j’ai bien aimé la dernière surprise. En y repensant plus tard, je me suis demandé ce que j’emporterais dans ma propre valise… J’ai commencé un inventaire, mais c’était long… La valise serait lourde. Alors je me suis dit : est-ce bien nécessaire d’emporter quelque chose pour aller nulle part?