LE PREMIER
d’Israël Horovitz
Compagnie Les Aléas
Mise en scène Léa Marie-Saint-Germain
Comme le temps passe : la voilà de retour cette pièce qui était au programme du 14ème Festival Théâtral (mai 1995, par la Compagnie Hercube). Aujourd’hui, nous retrouvons la même jeunesse d’interprétation, la même énergie, mais nous avons changé. Notre sensibilité a été soumise aux climats de l’Histoire : membres d’une société plus inquiète, nous percevons plus intensément des dramaturgies qui, à l’époque, se contentaient de nous divertir.
Quelles étaient les intentions de l’auteur lorsque Line (titre américain) a été représentée pour la première fois au théâtre de La Mamma à New-York en 1967 sinon de montrer quelques spécimens ordinaires (plutôt américains) du genre humain se colletant avec vigueur dans une file d’attente ? Le titre français Le Premier rend peut-être mieux justice à son imagination car le génie d’Israël Horovitz nous propose une file d’attente pour rien, rien de matériel : les gens font la queue ici pour être chacun le premier devant une ligne blanche collée au sol. Vision archétypale de l’esprit catastrophique de compétition qui traverse notre civilisation. Retour au théâtre grec, à sa fonction purgative. Les spectateurs que nous sommes conserveront à jamais comme une épine le souvenir conscient ou inconscient du mythe incarné par le comédien qui veut être le premier devant la ligne blanche.
Auprès de cette inspiration centrale de grande valeur individuelle et collective, les personnages de scène ont de la difficulté à exister, même si le talent des uns et des autres est admirable. Comme il fallait bien continuer la comédie, Horovitz a placé habilement quatre hommes aux profils très caractérisés et une femme forcément singulière puisqu’elle est toute seule. Tous veulent être absolument « le premier » ou « la première » devant la ligne mais la femme, objet du désir sexuel des mâles, pousse chacun à l’instant fatal de distraction (une jolie petite danse différente pour chacun) qui lui fait sur le champ perdre sa chère place de « premier » au profit d’un(e) plus rusé(e) qui la lui usurpe. On découvre d’abord un costaud, Fleming, buveur de bière transpirant dans une chemise « middle class » puis successivement un marginal, Stephen, volubile, épris de Mozart, un bourgeois plus calme, Dolan, qui apporte son propre tabouret pliant, et, enfin, un couple composé de la très ambitieuse Molly prête à tout et de son assez complaisant mari Arnall. Peu à peu, inexorablement, la lutte pour la première place commence, et comme ils mentent, trichent, se débattent et se poussent pour être Le chef de la file, un panorama comique de mesquineries humaines se déroule sous nos yeux. Jusqu’au bout, nous sommes confrontés à la fourberie du monde qu’engendre la compétition forcenée. Un espoir de rédemption de l’individu se dessine cependant au final quand on voit Stephen, l’artiste, témoin de la folie des quatre autres, renoncer à la lutte absurde et se fondre dans l’ombre.
« To be or not to be… the first »… Rêver, peut-être ?
Hommage spécial aux comédiens Pierre-Edouard Bellanca (Fleming), Simon Fraud (Stephen), Léa Marie Saint-Germain (Molly), Pierre Khorsand (Dolan) et Arnaud Perron (Arnall) dont il faut en particulier louer l’énergie débordante, moteur indispensable à cette course à l’abîme. La mise en scène de Léa Marie Saint-Germain est rigoureuse et inventive dans un décor on ne peut plus minimaliste (une bande de scotch blanc collée au sol). Elle fait le meilleur avec des personnages caricaturaux tout en respectant scrupuleusement le texte et les indications d’Israël Horovitz. Une mention pour la présence musicale du Lacrymosa de Mozart (un Premier, lui, sans nul doute) qui indique sans en avoir l’air la direction mortelle de la gesticulation humaine dont l’unique objet est de vaincre l’autre.
Toutes les photos du spectacle : LE PREMIER D'Israël Horovitz
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14 commentaires
Commentaire de: Jacqueline Chevallier Membre
Commentaire de: Jacques Bona Visiteur
A l’intention de Jacqueline: Je n’ai d’engouement que pour le moteur de la pièce qui est de représenter les conséquences plus ou moins abjectes de la volonté individuelle de passer devant les autres, devant tous les autres. Il me paraît évident que l’auteur Horovitz range le sexisme misogyne parmi ces conséquences. Il y range aussi l’ambition vaniteuse de la femme elle-même qui utilise ses charmes à ses propres fins. Mais comme il manie l’humour à sa façon très “américaine", il fait rire sans que le spectateur ait l’impression de second degré. Je crois donc la réaction violente de Jacqueline saine mais inappropriée et le théâtre atteint ainsi son but cathartique en provoquant la discussion.
Commentaire de: Jacqueline Chevallier Membre
Oui, bien sûr, un des plaisirs du théâtre est dans la discussion qui suit le spectacle. Nous ne nous mettrons sans doute pas d’accord, mais je voudrais quand même préciser ma pensée.
En évoquant le Juif Süss, j’ai pris volontairement un exemple extrême pour démontrer que parfois il faut refuser d’applaudir… même si la mise en scène et les comédiens sont excellents (ce qui était le cas).
Aujourd’hui on ne peut plus se permettre des représentations racistes des personnages, alors qu’on continue à trouver normales des représentations sexistes, dont on n’a même pas forcément conscience qu’elles sont sexistes.
Dans la pièce que nous avons vue, je propose d’examiner le processus concernant la seule femme dans cette file où ne se trouvent que des hommes (dont elle partage par ailleurs tous les vices ou toutes les tares : arrivisme, bêtise, esprit de compétition, fourberie, violence, etc.)
1ère étape : que ce soit de façon sincère ou intéressée, peu importe, la femme manifeste son désir pour l’homme le plus jeune de la bande : il est beau, il lui plaît et elle le lui fait savoir. La scène est drôle car l’expression du désir est pleine de vivacité, d’ardeur naïve, de spontanéité. Tous deux s’écartent de la file et dansent ensemble, façon allégorique d’exprimer l’accord des sens et le plaisir des corps : très beau passage, c’est superbe.
2ème étape : dans l’esprit des autres protagonistes, et, subrepticement dans l’esprit des spectateurs, se glisse l’idée suivante : cette femme qui a couché avec l’un d’entre eux est une salope (je suis volontairement vulgaire car la pensée est vulgaire), elle peut bien coucher également avec les autres, et d’ailleurs que ça lui plaise ou non, il en sera ainsi. C’est donc la tournante avec clairement une scène du viol, toujours sous la même forme allégorique de la danse, mais cette fois la chorégraphie est réduite au minimum, désormais la femme est sous la contrainte (voir photos n° 10 et 21).
Or, la salle continue de rire et pourtant ce n’est plus drôle.
Le metteur en scène nous transmet, sans distance et sans critique, une vision sexiste, une conception selon laquelle la femme est un objet sexuel qui ne peut pas disposer d’elle-même puisqu’elle est à la disposition des hommes. Ma colère vient de là : j’ai envie d’affirmer que la femme a le droit d’exprimer son désir pour un homme sans que les autres, tous les autres, se sentent autorisés à lui passer sur le corps.
Ce n’est pas intentionnel bien sûr, de la part ni de l’auteur ni du metteur en scène, mais c’est ce qui est produit. La preuve que sur ce point au moins le spectacle n’est pas une dénonciation, ou que s’il voulait en être une, il n’atteint pas son but, c’est que dans les conversations le lendemain, on m’a plusieurs fois répondu : “c’est la femme qui a commencé", l’air de dire qu’elle l’avait bien cherché et que si les autres en avaient profité, c’était de sa faute à elle.
Il ne suffit pas de montrer pour dénoncer. Pas plus qu’en montrant le Juif Sûss on ne dénoncerait l’antisémitisme. On le propagerait au contraire.
Entre “c’est elle qui a commencé” et “celui qui n’a pas pu finir", je maintiens que cette pièce (au demeurant bien schématique) véhicule une conception sexiste non critique de la femme et présente globalement une image avilissante de l’humanité. C’est pourquoi je ne l’aime pas.
Heureusement le lendemain “Le baiser de la veuve” m’a réconciliée avec l’auteur ; c’était pour moi une des plus belles pièces de ce festival !
Commentaire de: Marie Louise Membre
Bravo Jacqueline et Jacques pour vos interventions! La discussion est passionnante. C’est l’intérêt du blog et de cet espace de commentaire dans lequel si peu de spectateurs s’aventurent…
J’essaie de retrouver le fil du spectacle, je me souviens très bien de la première danse que tu décris. Je me souviens aussi d’avoir un peu sursauté à la 2° danse, car le personnage féminin était crispé et je me suis dit “ça va s’arrêter là, on n’aura pas de scène de viol quand même". Puis elle est entrée ds la danse, a retrouvé le sourire et je me suis dit - oh horreur! - “finalement ça s’arrange elle a l’air contente". Et je n’y ai plus repensé car j’ai mis tous ces personnages dans le “même sac” que tu décris, le viol étant ici un moyen de gagner une place. Mais il est évident que ce n’est pas un moyen comme un autre. On peut ne pas envie de voir cela.
La seconde pièce d’Horovitz est une réponse magnifique à ton commentaire.
Commentaire de: Olivier Manceron Visiteur
La pièce d’Israël Horovitz, “le premier", est remarquable réflexion sur le paradigme de la première place, dans le fonctionnement classique et banal des rouages de la domination/soumission de la société actuelle.Elle a soulevé cependant un débat passionné à la sortie et le lendemain sur le parvis du festival. La majorité, et moi “le premier", avait été charmée par l’extraordinaire harmonie échevelée du jeu des acteurs et par la légerté animée et émouvante de la mise en scène. J’en sourit encore et nombreux sont ceux qui avaient rit. L’ensemble avait gracieusement enveloppé la représentation d’un viol collectif du personnage féminin, le décorant d’un improbable et élégant “consentement". Tous les coups sont permis, n’est-ce pas, pour être à la première place, même de tolérer l’intolérable. Le refus de la victimisation des femmes (souvent par elles-mêmes d’ailleurs) va jusqu’au déni des violences faites aux femmes… pour le plus grand bonheur de la société sexiste. La maîtrise de l’esthétique et la beauté magnifiée par la création artistique, ne nous feraient-elles pas oublier l’éthique? Courage, coyens, ouvrez les yeux!
Commentaire de: Léo de Hurlevent Visiteur
Lors de mon bon vieux service militaire, je crois me souvenir que les gradés rassemblaient pour l’appel les soldats dans la cour de la caserne. Certains troufions, pleins de zèle, se précipitaient pour être « l’homme de base », c’est-à-dire celui à partir duquel se forme la 1ère colonne, qui devient la colonne de gauche quand, complétée d’une trentaine de soldats, il s’en ajoute une seconde, puis d’autres etc. Je dois dire que ce zèle apparemment sans objet se trouvait largement récompensé par la gloire d’être le premier devant la hiérarchie galonnée, puis, s’il y avait lieu de défiler ensuite, de devenir l’étalon exemplaire de la marche au pas cadencé… une sorte de chef d’orchestre, quoi ! Mais le sagace adjudant-chef Hugonnet, qui avait compris bien des choses de la vie, envoyait parfois, mais pas toujours —c’est l’astuce— les premiers arrivés en corvée de pluche et les derniers à nettoyer des lieux peu séduisants. C’est pourquoi, au bout d’une certaine période d’acclimatation, tous les soldats appelés concoururent (avec difficulté !) à arriver aux rassemblements ni parmi les premiers, ni parmi les derniers. Belle leçon d’intelligence sociale que nous enseigna l’armée et que je me suis évertué à appliquer pour mon bonheur dans tous mes rendez-vous collectifs ou dans ma carrière. Je ne l’ai jamais trouvée en défaut.
Commentaire de: Marie Louise Membre
J’ai relu la pièce qui, dans l’édition que j’ai en main, a été traduite par Claude Roy. Celui-ci écrit une préface magnifique dont j’ai plaisir à rapporter cette phrase : “Israël est le plus sensible, le plus gentil et le plus fin des hommes. C’est pour ça que les brutes et les cons le fascinent et qu’il les fait vivre si bien, avec tant de talent.”
Commentaire de: Marie Louise Membre
à Léo: si je comprends bien l’adjudant-chef Hugonnet vous a enseigné la Voie du milieu!
Commentaire de: Jacqueline Chevallier Membre
en réponse à Léo : peut-être que la Voie du Milieu est une forme de sagesse.
Mais ne jetons pas la pierre aux “premiers". Ils peuvent être aussi les plus enthousiastes, les plus courageux, les plus inventifs, les plus généreux, ils peuvent être ceux qui nous servent de modèle et que l’on a envie de suivre… Vive les premiers quand ils ouvrent de belles voies !
Commentaire de: Françoise Hammouchi Visiteur
Après tout ce que je viens de lire oserai-je encore dire que j’ai adoré cette pièce “Le premier” ? Oui.
Oui, elle remue, elle nous met face à des situations absurdes, et même insupportables, on se surprend à rire mais pas sur les faits de violence.
J’ai monté il y a plus de 20 ans “Grand peur et misère du IIIème Reich” de Brecht. Le spectacle était entrecoupé de morceaux choisis de Karl Valentin. Scènes de dénonciation, de torture, d’avilissement, le tout traité pour mettre en évidence l’horreur et l’absurdité des situations vécues durant cette période tourmentée de notre Histoire. Les spectateurs riaient, les comédiens en étaient les premiers surpris. Riaient-ils parce qu’ils adhéraient aux cruautés dénoncées ? Non bien sûr. Ils riaient du jeu choisi par les acteurs pour traiter ce sujet répugnant.Fallait-il ignorer les textes de Brecht et de Valentin et se refuser à les mettre en scène ? Non bien sûr.
J’applaudis donc encore une fois les merveilleux comédiens qui ont mis en scène et joué “Le premier".
Pour ma part j’ai beaucoup moins aimé “Le baiser de la veuve", mais c’était très bien joué également.
Enfin une chose est certaine et va réconcilier tout le monde : l’image de la femme dans ces deux pièces d’Horovitz n’est pas très glorieuse ; et celle des hommes non plus d’ailleurs !
Commentaire de: Léo de Hurlevent Visiteur
Le subtil adjudant-chef Hugonnet (j’y reviens) n’avait pas manqué de donner aux chanceux bidasses dont il avait la charge une seconde leçon de philosophie contenue dans la première : dans une collectivité humaine, il y a toujours un premier et un dernier : c’est injuste, voire tragique, mais c’est comme ça. Par exemple une mère, en admettant qu’elle a mis au monde au moins deux enfants, a donc un premier né et un dernier né. En général elle a le bon goût de ne pas vouloir valoriser l’un des deux au détriment de l’autre. Cependant chaque enfant, en recherche inquiète d’amour maternel, essaye de s’approprier la bonne place dans le giron en éliminant brutalement l’autre, et comme le premier né est en principe plus fort, il a la possibilité de vaincre physiquement. Le cadet déploie donc par nécessité toute sa séduction et, en général, s’attire les faveurs parentales (qu’il (ou elle) est mignon(ne) ce(tte) petit(e), intelligent(e), précoce(€) ! etc.). Quelle que soit l’issue du combat qui peut aller jusqu’à la crevaison d’un œil, il y a compétition pour la première place : l’un pour la garder, l’autre pour la lui prendre.
La société civilisée devrait donc
1/ offrir son amour à tout le monde
2/ éduquer ses enfants à ne pas se sentir frustrés s’ils ne sont pas premiers
3/ chercher à remplacer la première place par l’exemplarité. Chaque être étant unique peut devenir exemplaire de quelque chose d’intéressant (je ne parle pas d’Hitler…)
Or, que fait-elle ? Elle organise par exemple des concours de villages fleuris. En France, il y a un certain nombre de villages joliment fleuris. Les autres sont horribles, pouah !… pas la peine de s’en occuper ! Si je suis un village fleuri de qualité, c’est-à-dire que je possède au moins une rue pavée de galets et bordée de maisons à pans de bois couvertes de géraniums, une église du 11ème siècle, une boulangère costumée, un crieur de nouvelles, un garde suisse, une motte de beurre fermier etc. je peux prétendre à la première place : si je gagne le concours, on me verra à la télévision et on imprimera un calicot avec écrit en rouge : Gagnant du concours du village fleuri ! Mes habitants se réjouiront, puis boiront en hurlant « on a gagné ! », puis seront soûls, puis se rouleront dans la débauche, puis on s’apercevra que ma victoire était seulement due au grand nombre de voix favorables apportées par la population abondante de mon voisinage alors que mes rivaux ne bénéficiaient que des votes des touristes de passage, puis que j’avais la femme de mon premier adjoint au maire dans le jury national, puis que j’avais provoqué une fuite dans la station d’épuration de mon rival le plus dangereux etc. etc.
Moralité : je préfère être un village vivant, habité par des citoyens responsables qui s’aiment (pardon, qui se supportent…), qui aide son prochain en difficulté, qui instruit ses enfants à ne pas écrabouiller les enfants voisins et à devenir exemplaire sans en tirer d’orgueil, qui leur fait apprécier l’art dans sa richesse universelle et la culture en général et qui organise un festival théâtral annuel de toute beauté.
Merci, en toute modestie.
Commentaire de: Marie Louise Membre
Coye-la-forêt, nouvel Eldorado! Léo, l’adjudant-chef Hugonnet vous rend lyrique…
Commentaire de: Jacques Bona Visiteur
Nul doute qu’Israël Horovitz apprécierait la hauteur de pensée de l’adjudant-chef Hugonnet ainsi que son extrapolation clairvoyante au village gaulois par M. de Hurlevent : toutes les idées présentées « collent » à plaisir au sujet de sa pièce. Cependant ces enseignements et les précieux conseils de société qui les accompagnent, nous écartent de la seconde discussion, celle qui concerne la mise en spectacle de la violence et sa réception par les spectateurs.
Je crois pour ma part que chacun reçoit les représentations avec son vécu plus ou moins traumatique. Il est heureux que les individus ne réagissent pas de la même façon à une situation de théâtre. Cette différence de sensibilités crée parfois la tension (après l’attention) du public. S’il est question d’une scène de violence et si, cas peu fréquent, le rire est voulu par l’auteur, il s’agit d’une sorte de « rire pour ne pas pleurer ». On peut avoir honte d’avoir ri et ensuite se préciser par un examen introspectif à demi conscient le scandale de ce rire. Le théâtre atteint alors son but illuminant. Le drame reste présent, bien sûr, le viol, inacceptable, mais l’être humain peut regarder la chose sans être changé en pierre et décider avec sang froid de sa place ou de sa responsabilité dans la tragédie re-composée pour lui par l’auteur. Je dirais même que son questionnement peut se révéler d’autant plus fort qu’il a ri de la situation théâtrale. Dans l’art, la réalité est toujours emballée. Comme si elle vivait à l’intérieur d’un colis revêtu d’un papier translucide, lui-même dessiné en surface au gré de l’artiste créateur.
Commentaire de: Léo de Hurlevent Visiteur
à Marie-Louise: mon intention était, bien sûr, d’évoquer Orry-la-ville…
Je ne comprends pas l’engouement que l’on constate pour cette pièce. Pour ma part je la trouve détestable.
On me rétorque que c’est une critique virulente des comportements humains. Eh bien non, je vois là une caricature grossière mais précisément pas une critique. Ce qu’on nous montre –l’abjection humaine – nous est comme jeté en pâture pour qu’on s’en régale. Tout est au premier degré, vulgaire, violent, bestial. La femme, à la fois pute et soumise, est rabaissée au rang de marchandise sexuelle. On assiste à ce qu’en d’autres lieux on appelle une “tournante", les hommes passant tous successivement sur le corps d’une femme, et on trouve ça normal. Mieux, il faudrait en rire. Elle est violée par un abruti présenté dès le début comme appartenant à l’espèce des gorilles, qui se plaint de n’avoir pas pu finir (en clair il n’a pas éjaculé) et il faudrait trouver ça drôle.
Le rire ici n’est pas distancié, il est complice. C’est tout simplement ignoble. Je crois que c’est Desproges qui disait : on peut rire de tout mais pas avec n’importe qui. Ce n’est pas sûr. Je ne peux rire ni “de” ni “avec” les violeurs.
Rassurez-moi ! Il me semble qu’il se trouvait dans la salle quelques spectateurs pour refuser d’applaudir.
Désolée ! mais personnellement je n’applaudis pas l’auteur, les comédiens et le metteur en scène (metteuse en l’occurrence) lorsqu’ils véhiculent des choses qui me révulsent et lorsque je me trouve, en tant que spectateur, contrainte d’approuver. Si on me présentait une version théâtralisée “absolument géniale !” du “Juif Süss", désolée, quel que soit le talent des comédiens, je n’applaudirais pas.
Les artistes sont responsables de ce qu’ils donnent à voir et de la façon dont ils transmettent un message. Je ne sais comment dire la colère que je ressens : j’ai l’impression que ce genre de spectacle avilit le spectateur.