Histoire de peupliers – Épilogue
Il y a un chemin dans Coye-la-forêt… ou plutôt il était un chemin d’autrefois, chemin de terre sans prestige à la périphérie du village. La terre était marécageuse en ce lieu qui portait d’ailleurs le nom de « marais ». Après le lavoir, le chemin tourne à gauche et le promeneur étonné découvre une allée bien rectiligne, car les anciens habitants l’avaient conçue, dès le XVII° siècle, comme une allée d’embellissement, ainsi que sa sœur jumelle dessinée face au château. Et pourtant on a appelée cette allée chemin des Vaches, ce qui n’est pas vraiment glorieux, mais c’est sans doute pour lui rappeler ses origines modestes de voie utilitaire. La ferme est tout près et des troupeaux devaient l’emprunter pour aller vers les pâtures.
Comment embellir un chemin, sinon en y plantant de beaux arbres ? Des peupliers l’assécheraient et le rendraient propice à la promenade, ombreuse, murmurante… Un peu de fraîcheur, l’été, serait bienvenue.
Depuis, le chemin a été goudronné pour les véhicules à moteur ; ainsi policé, urbanisé, il rend service aux jardiniers qui transportent leurs cageots pleins, ainsi qu’aux cavaliers d’entraînement en route pour les écuries voisines. On y roule lentement car les chevaux de course si facilement effarouchés sont derrière la petite haie, et on ne voudrait pas les effaroucher. Ne pas troubler aussi le plaisir des flâneurs, des rêveurs, des marcheurs, des cyclistes qui ont adopté le lieu, sans oublier celui des jardiniers dont on se plaît à regarder le travail, dont on surveille les productions. Le silence est là, les couleurs sont là aussi, il suffit d’écouter et de regarder. Tous les verts bien sûr – ah ! le vert cru des salades ! -, mais le rouge des glaïeuls, des tomates, le violet des dahlias, l’orangé des soucis. Allées tracées au cordeau, herbes folles ou pelouses, cabanons… tout y charme l’œil.
Et les peupliers, bien sûr ! Comment les oublier ? Ils sont la ligne maîtresse de la toile le long de laquelle l’œil court jusqu’au bout de l’allée. Le regard prend appui sur leurs silhouettes vert sombre et leurs troncs bruns pour s’élancer vers les hauteurs parfois bleues. Comme des flammes les peupliers fastigiés nous font regarder plus haut. Ils sont mouvement tant leurs feuilles s’agitent et tremblent au moindre souffle, murmurant près du ruisseau.
Et l’on aurait pu être privés de tout cela ?
On aurait pu être privés de tout cela. Car voilà qu’en septembre on apprend par dix lignes du journal municipal qu’ils vont être abattus. Que l’on serait à jamais privés de nos 116 peupliers noirs d’Italie. Pourquoi ? Vous le savez déjà. Il fallait en abattre 25 pour faire passer les canalisations du SICTEUB.
Personne ne s’est dit : Tiens il y a de la place à côté, quatre mètres plus loin, sous le sable d’une piste d’entraînement ; on pourrait placer les canalisations en dessous, et on garderait le chemin et ses peupliers. Non, personne n’a pensé que ce chemin des Vaches méritait cette attention. Bizarre ! C’est peut-être à cause de son nom qui nous ramène à un monde de paysans en sabots, un nom dont on fait parfois un gros mot… C’est peut-être parce qu’on avait peur de demander le droit de passage à l’Institut de France, propriétaire des terrains d’entraînement, et à France Galop qui les gère? C’est vrai qu’un chemin des Vaches face à l’Institut de France, ça ne fait pas le poids!
Dans les bureaux d’études, parmi les techniciens, les ingénieurs, les architectes, bref, parmi ceux qu’on appelle les spécialistes, bizarre qu’il n’y en ait pas eu un seul pour dire : attention, il y a là une belle allée bordée d’arbres magnifiques, on va passer ailleurs. Pas un élu pour dire : « Ne touche pas à mes peupliers »!
Et non content d’en abattre 25, un architecte des Bâtiments de France – en revanche ce nom, ça force toujours le respect – depuis son bureau, a déclaré « Abattez-les tous ! » Décapitation générale sur ordonnance d’architecte. Pourquoi tous ? « Ah ! renchérit le SICTEUB, il ne faut pas de peupliers sur les canalisations. Dangereux pour les tuyaux. On vous replantera gratuitement 25 poiriers à fleurs. » On n’a rien contre ces pauvres poiriers à fleurs, mais ils font figure de petits-bourgeois quand même, avec silhouette rondouillarde et fleurettes au printemps. Aucune chance de rivaliser avec la majesté du peuplier noir fastigié !
« Pour que tout soit bien uniforme, a ajouté l’architecte zélé emporté par son élan et confondant le chemin des Vaches avec une allée du château de Versailles, vous abattrez tous les peupliers, les 25 pour l’acheminement de vos eaux usées et les 91 qui restent. Poiriers à fleurs partout ! Pas une tête ne devra dépasser. »
Et la très sérieuse Commission départementale de la nature, des paysages et des sites a entériné la décision à l’unanimité !
On aurait pu être privés des 116 peupliers. On aurait pu avoir 116 poiriers. On n’a pas voulu des poiriers. Même gratuits. Car le SICTEUB, qui devait être bien content de placer ses tuyaux à cet endroit, n’a pas lésiné : on paiera tout, avaient-ils dit !
Donc, le combat a commencé. Les amoureux des peupliers, les disciples de Rousseau, les botanistes, tous s’y sont mis et ont sonné l’alerte. Et c’était urgent, l’abattage étant annoncé pour septembre ! Coups de téléphone, affiches, lettres, tract, pétition – plus de 500 signatures – réunions, discussions en tous genres, partout et chaque jour. Le comité de défense des peupliers du chemin des Vaches était né.
Il a frappé à toutes les portes, sollicité toutes les autorités qui disent se préoccuper de la sauvegarde de la nature, de l’environnement, des paysages, des sites : le PNR d’abord, (on s’était naïvement dit qu’au moins le PNR se rallierait à la cause. Pas du tout. Lui aussi partisan de la décapitation.), le maire de Coye-la-forêt et sa majorité, les ABF, la DDT, la DREAL, le ROSO, le préfet, le président du PNR, le STAP, le CDNPS, le CENP, le SENP, le SICTEUB. Tous ces sigles, c’est pour en rire ! Pour donner une idée de la complexité de ces organismes tous cachés derrière des noms à rallonge. Un vrai jeu de piste dans les organigrammes pour trouver la bonne personne qui répondra au téléphone et celle qui répondra au courrier. Au téléphone, on vous répond parfois – après plusieurs appels souvent – mais au courrier, jamais ! Ne soyons pas injuste, le PNR a répondu par écrit, et la réponse vaut son pesant d’or : « les bureaux d’études ont mené des études ».
Le maire de Coye-la-forêt a répondu. Des membres du comité l’ont souvent rencontré. Et il les a tenus au courant de la progression de l’affaire. Mais il avait choisi de faire abattre les peupliers, disant que si le SICTEUB payait la totalité de l’abattage, la commune ferait une bonne affaire. Argument : ces peupliers étaient vieux et malades, il faudrait les abattre bientôt, à la charge de la commune cette fois-ci.
Et les conseillers municipaux répétaient en chœur dans le village à qui voulait l’entendre : c’est dommage pour les peupliers, ils sont vieux, un peuplier se coupe à quarante ans, et ils sont malades, et ils peuvent casser, et ils peuvent tuer quelqu’un et autres arguments pathétiques.
Face à cette chorale qui avait bien répété, le comité de défense a mené une enquête, s’est documenté sur le web, a interrogé des spécialistes et a découvert que les dits peupliers ne sont pas n’importe quels peupliers, ils sont noirs et d’Italie, ce qui change tout ! Ils peuvent vivre jusqu’à 100 ans. Plusieurs dépassant cet âge canonique, allant jusqu'à 150 ans.
La charge ultime a été lancée en conseil municipal le 26 septembre lorsqu’un conseiller municipal d’opposition a accepté d’être la voix du comité de défense pour poser quatre questions au maire. (Reportez-vous à l’article précédent sur ce conseil municipal, vous saurez tout.)
L’une des questions était essentielle : avant de déclarer ces arbres vieux et malades, il fallait un diagnostic sur leur santé, il fallait faire examiner les prétendus moribonds par le médecin des arbres.
Le maire a donc demandé à un forestier de métier de venir ausculter les 116 peupliers – un grand merci pour cette initiative, bien qu’elle soit tardive. L’expert forestier a travaillé une semaine auprès des arbres avant de formuler son diagnostic. Pas de jugement hâtif, pas de préjugé, foin de la rumeur. Les faits, rien que les faits. Un constat objectif loin des passions qui se déchaînaient en ville et dans les couloirs des administrations.
Surprise ! Les peupliers sont des peupliers noirs d’Italie. – Il y a longtemps qu’on le disait ! Ils ne sont pas vieux. Il y a longtemps qu’on le disait aussi. Cinq sont « repérés comme dépérissants » et seront abattus (l’un d’eux faisait partie des vingt-cinq condamnés par les travaux du SICTEUB qui amputeront leurs racines.) Quatre ne sont pas des peupliers noirs fastigiés, leurs branches poussent en s’écartant du tronc. Plus fragiles, ils seront abattus également.
Au final, le chemin des Vaches gardera l’alignement double de peupliers noirs d’Italie, soit 83 arbres. Ainsi, grâce à ce diagnostic, le maire a pu convaincre l’architecte – à qui revient le mot de la fin – de laisser vivre les 83 peupliers, ainsi que l’atteste l’arrêté du 13 octobre affiché en mairie. Le SICTEUB a accepté d’enrober ses canalisations – il aurait pu y penser plus tôt – pour que 33 peupliers de la même essence soient replantés et ne causent aucun dommage.
Le massacre des 116 n’a pas eu lieu. Oubliés, les poiriers à fleurs ! Des peupliers seront replantés, et dans 20 ou 30 ans, les Coyens qui seront encore là reverront le chemin tel qu’il est aujourd’hui, tel qu’il était autrefois.
C’est une fête ! Une victoire pour ceux qui ont voulu à tout prix préserver ce paysage qui est un des lieux les plus familiers, à quelques pas du centre, accessible à tous. Une victoire qui est l’œuvre des habitants, qu’ils ont voulue, pour laquelle ils n’ont pas craint de s’engager. Gens de tous âges, de toutes professions, de toutes opinions politiques, de toutes croyances.
En attendant, avant que n’arrivent les engins de chantier, que ne soit éventrée une partie du chemin, que les 33 ne soient abattus, profitez de la promenade. Profitez des 116 peupliers noirs d’Italie. Vous l’avez bien mérité.
Le comité de défense des peupliers du chemin des Vaches
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