Nous avons dit "massacreurs" ? Le mot et la chose
Dans le compte-rendu du conseil municipal du 26 septembre qui est fait sur le blog Coye29, sont rapportées les paroles de M. le maire à propos des peupliers : "Je souhaiterais que les personnes soient moins idéalistes, et j’ai du mal à accepter que l’on me traite de massacreur, car je suis sensible à ce lieu près duquel j’ai passé ma jeunesse".
Il est nécessaire de refaire un petit historique sur le sujet, précisément au moment où certains préfèreraient oublier le déroulement de l'affaire ou mieux encore l'effacer : sur le même blog Coye 29, (et nous savons que le maire et nombreux parmi ses conseillers en sont les premiers lecteurs), dès le 3 septembre paraissait un article intitulé "Sauvegardons les peupliers du chemin des Vaches", en réaction immédiate à l'annonce parue dans La lettre de Coye quelques jours auparavant. Cet article écrit dans l'extrême urgence, puisque les peupliers étaient censés être abattus dans le courant du mois, ne présentait aucun signe d'agressivité ; sous forme d'une lettre ouverte à M. le Maire, il lui était demandé, en tant qu'il en est le gardien et le dépositaire, de tout faire pour préserver le patrimoine de Coye-la-Forêt et renoncer à l'abattage des 116 magnifiques peupliers du chemin des Vaches qui pouvaient encore vivre sans problème pendant plusieurs décennies.
On comprend que cet article avait essentiellement pour but de lancer l'alerte mais, déjà assez bien documenté, il fournissait aussi quelques éléments d'information. Et on y trouvait effectivement cette phrase : "Nous ressentons cet abattage comme un massacre". Le mot était très fort sans doute mais, comme il est dit, à la hauteur du ressenti.
Ensuite le mot de massacre est apparu sur l'affiche éditée par le comité de défense des peupliers du chemin des Vaches ; il ne figurait plus comme l'expression d'un sentiment, mais comme une vérité objective. C'est le propre des affiches, la loi du genre, on ne fait pas dans la dentelle, il s'agit de frapper les esprits par des slogans percutants. Pour autant, le mot était-il excessif ? On est bien d'accord, il ne s'agissait pas de la Saint-Barthélemy. Mais si l'on regarde le dictionnaire (Petit Robert), on trouve :
massacre :
3°) fig. destruction totale ou massive
et le dictionnaire donne comme exemple "le massacre d'une forêt, d'un paysage"
4°) fait d'endommager par brutalité ou maladresse ; travail très mal exécuté
Donc le terme, en l'occurrence, était tout à fait approprié à la "destruction totale et massive" des peupliers du chemin des Vaches.
On en serait resté là si l'alerte lancée début septembre sur le blog Coye29 avait été entendue, ainsi que la parole de simples Coyens bouleversés par l'annonce de l'abattage et que M. Deshayes a reçus en mairie le 12 septembre.
Mais voilà : ces personnes étaient considérées comme trop sensibles, idéalistes, loin des réalités ; quant au blog Coye29, il est réputé appartenir à l'opposition de gauche, il est donc catalogué comme étant contestataire, systématiquement et par principe, et donc rien de ce qu'on peut y lire ne doit être pris au sérieux. C'est ainsi que malgré ces interventions, il ne s'est trouvé personne au sein de la majorité au conseil municipal, depuis le premier adjoint jusqu'au dernier des conseillers, pour se poser la moindre question sur l'abattage des peupliers, pour émettre le moindre doute, pour simplement oser penser que peut-être il fallait se renseigner un tout petit peu avant de répéter, sans savoir, que les arbres étaient vieux ; sur quoi au contraire tout le monde a renchéri, toujours sans savoir : ils sont malades ; les plus zélés suivistes de la ligne officielle ajoutaient : ils sont dangereux ; on a même eu droit, de la part d'un certain prétendument dans l'opposition, au discours pathétique : le jour où il y aura un enfant de tué... C'est bien connu, les peupliers sont féroces, ils aiment spécialement tomber sur les petits enfants innocents.
Nous, de notre côté, plus nous avancions dans nos recherches, plus nous interrogions les témoins et les spécialistes, plus nous accumulions les informations, et plus nous étions confortées (je mets volontairement le féminin, j'y reviendrai) dans ce qui était au début une intuition et qui est peu à peu devenu une certitude avérée, vérifiée, maintes fois corroborée : ces arbres n'étaient pas en fin de vie, ils en étaient même bien loin, ils étaient en pleine maturité, ils pouvaient vivre encore trente, quarante, cinquante ans et plus. Ces renseignements ont été répétés dans un nouvel article du blog daté du 22 septembre, et l'argument financier a été démonté. Pendant tout ce travail de documentation, je gardais en mémoire le souvenir ébloui de quatre magnifiques alignements de peupliers septuagénaires que j'avais eu l'occasion de contempler il y a longtemps dans le parc de Sceaux. Et dans un coin de campagne, on allait abattre nos peupliers qui avaient à peine une quarantaine d'années ! C'était absurde et dévastateur.
Alors, oui, la formulation est abrupte, mais l'abattage d'une centaine d'arbres en pleine force de l'âge, jeunes, sains et majestueux, est bel et bien un massacre ! Oui, c'est une destruction de la vie. Et, oui, ce sont des massacreurs ceux qui, par ignorance, par peur, par stupidité (non les peupliers ne sautent pas sur les enfants pour les écraser), par paresse, par suivisme, par conformisme, par simple négligence, par confiance sans doute, par loyalisme quelquefois, ou pour on ne sait quelle autre bonne ou mauvaise raison, persistent à dire qu'il faut les mettre à bas ou soutiennent ceux qui le disent. On peut se tromper, mais lorsqu'on est averti qu'on fait une erreur, persévérer relève de l'acharnement. Comme dit le proverbe latin errare humanum est, perseverare diabolicum.
Le travail que nous avons accompli, n'importe quel conseiller aurait pu l'effectuer tout comme nous, et nous aurions même pu l'aider dans ses recherches s'il nous l'avait demandé. Lorsqu'il fait aujourd'hui le bilan, M. Deshayes explique que "[son] erreur a été de penser que l'avis des instances autorisées (ABF et commission préfectorale des sites) ainsi que celui de la paysagiste du PNR et du cabinet conseil du SICTEUB, étaient des avis objectifs et qui ne pouvaient être mis en doute." Nous pensons que les adjoints et les conseillers municipaux peuvent tirer la même leçon vis-à-vis du chef de l'exécutif local. Et il n'y a rien là d'irrespectueux. Au pays de Descartes, il est bon de savoir que le doute est une vertu cardinale.
Au moment même où nous prenions le temps et la peine de distribuer dans toutes les boîtes de Coye-la-Forêt un tract-pétition dans lequel nous faisions le point de nos connaissances sur le mode VRAI/FAUX, la municipalité récidivait en répétant les mêmes contrevérités, avec en plus une petite touche de condescendance paternaliste : "La nature est ainsi faite", était-il indiqué à l'attention de ceux qui ne veulent décidément rien comprendre et qui sont les sujets de leurs émotions. C'est uniquement dans ce contexte d'obstination dans l'erreur que le mot de "massacreur" a été employé. Le mot était violent, mais la chose l'était plus encore. Il n'est pas certain que la municipalité ait mesuré ce qu'il y avait pour nous d'insupportable à lire dans La lettre de Coye du mois d'octobre : " De toute façon l'abattage de ces arbres arrivés à maturité était inéluctable". Le verbe était à l'imparfait, comme si c'était déjà fait ! Alors que, de toutes nos forces, nous expliquions depuis trois semaines que non, surtout pas, c'était non seulement inutile, mais désastreux !
Pourtant, malgré tout, malgré le parti pris, les préjugés et le mépris, notre voix a fini par être entendue (il se trouve que c'est par le truchement d'Alain Mariage, de la liste Ensemble pour Coye, et nous l'en remercions, mais nous aurions accepté n'importe quel porte-parole s'il s'en était seulement trouvé un autre !) et M. le maire a accepté de faire faire un diagnostic sur l'âge des arbres, leur état de santé et leur longévité. Il a confié cette tâche à un expert indépendant, compétent, sérieux qui a examiné les arbres un à un. De ce jour-là, nous avons repris confiance. De ce jour-là, le terme de massacreur ne se justifiait plus : si l'expertise avait démontré que les arbres étaient effectivement, comme on nous le répétait à l'envi, vieux, malades, dangereux, nous nous serions résignées à ce qu'ils soient abattus. Nous ne sommes pas, contrairement à ce qu'on veut faire croire, idéalistes, à savoir irréalistes et irresponsables. Non, simplement sentimentales ! Car en l'occurrence, c'est nous qui étions dans la réalité et dans la vérité, avec le sens des responsabilités aussi bien du point de vue économique qu'écologique.
J'ai personnellement remercié M. le maire d'avoir commandité une expertise et donc d'avoir pris le risque que se trouve désavouée la position affichée par la municipalité depuis le début de l'affaire. Et en effet l'expertise a confirmé intégralement ce que nous ne cessions de répéter depuis un mois. J'ai, à titre personnel, écrit à M. Deshayes et je peux le répéter publiquement, car je le pense très sincèrement : il fallait de sa part du courage et de l'humilité pour accepter de diffuser les résultats du diagnostic et en tirer les conséquences, deux vertus plutôt rares chez les personnes au pouvoir, à quelque niveau que ce soit, tellement rares même qu'elles méritent d'être saluées.
Mais inversement je crois que la municipalité peut nous remercier de lui avoir évité de commettre l'irréparable. De nombreux Coyens n'auraient pas compris et lui en auraient voulu. Toute voix qui s'élève n'est pas forcément une opposition. Toute critique n'est pas forcément hostile. Elle peut être constructive et utile. Il faut écouter les femmes, il faut écouter les adversaires politiques, il faut écouter la parole des citoyens. Ce ne sont pas forcément des idéalistes ignorants des réalités, ce ne sont pas forcément des contestataires excités dont il faudrait calmer les esprits, ils peuvent avoir quelque chose à dire qui mérite d'être entendu. Quand on le lui fait observer, M. Deshayes répond "que l'on ne peut se permettre pour chaque décision de demander l'avis à tous" et que s'il a revu sa position, celle-ci "aujourd'hui ne convient pas à beaucoup mais [ils] n'en diront rien".
Il y a sans doute, en effet, une poignée de Coyens que la solution finalement adoptée ne satisfera pas : quelques jardiniers et quelques cavaliers grincheux, une douzaine de personnes qui défendent très étroitement leurs intérêts personnels – et cela peut se comprendre – et d'autres peut-être dont on aimerait connaître les raisons.
Il y a aujourd'hui des personnes anonymes qui n'ont pas envie qu'on se souvienne de la façon dont les choses se sont passées : elles ont modifié la configuration du panneau d'information que nous avons constitué au centre culturel, pour en faire disparaître toute la première partie : les deux articles de La lettre de Coye de septembre et octobre, le tract-pétition et même une page documentaire trouvée sur internet concernant les peupliers noirs d'Italie où il était dit qu'ils peuvent vivre cent ans et plus. Cela s'appelle de la censure. Mais les faits sont têtus et rien ni personne n'empêchera que Les lettres de Coye des mois de septembre et octobre où étaient écrites des bêtises ont été distribuées à tous les Coyens, de même que notre tract-pétition où n'étaient énoncées que des vérités (nous tenons ces documents à la disposition de ceux qui ne les auraient pas eus ou qui les auraient jetés depuis).
Le comité de défense des peupliers du chemin des Vaches quant à lui n'a fait que parler au nom de l'intérêt général, loin de toute position partisane, au-delà des clivages politiques traditionnels. Nous avons reçu de la part de nombreux Coyens des encouragements, des remerciements et même des félicitations pour notre action, considérée comme généreuse et désintéressée. Il nous faut également le dire : nous avons même rencontré des jardiniers et des cavaliers heureux ! Merci à eux tous, c'est grâce à eux que nous avons persévéré.
Assez curieusement, mais très nettement, ce sont les femmes qui se sont surtout mobilisées sur le sujet ; un ami nous a adressé ce message : "Pendant que les hommes s'occupent des crédits, de l'argent et du pouvoir, les femmes se sentent bien obligées de défendre la beauté de la nature et le respect du vivant. À Coye, comme ailleurs..."
Nous lui laisserons le mot de la fin !
Jacqueline Chevallier
du Comité de défense des peupliers du chemin des Vaches
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3 commentaires
Commentaire de: Nathalie Aguettant Membre
Commentaire de: Dominique S. Visiteur
Sans se rendre compte, ils faisaient partie de votre vie. Ils vous ont connu enfants, adultes et vos enfants à leur tour partageront leur beauté. Un ciel sans peupliers? Ils vous auraient manqué.. c’est sûr. Avez vous vu une fois des arbres couchés parterre? C’est impressionnant.
Ils décorent votre quotidien, tiennent leur place dans l’environnement, abritent ces centaines de petits animaux et comme le disait Émile Verhaeren:
“Les peupliers et les bouleaux
Du bord de l’eau
Sont pleins d’oiseaux.”
En pleine santé, ils seront témoins des générations futures.
Le budget nécessaire à l’arrachage et achat de nouveaux arbres pourra être utilisé dans d’autres projets plus utiles.
Mère Thérèsa de Calcutta disait: “Ne gaspillez pas! Si vous avez de trop, offrez le aux démunis”
Commentaire de: Jacqueline Chevallier Visiteur
Les peupliers appellent la poésie !
Souvenons-nous également de ce poème de Ronsard (lui s’insurgeait contre l’abattage de grands chênes) :
Écoute, bûcheron, arrête un peu le bras !
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas ;
Ne vois-tu pas le sang, lequel dégoutte à force,
Des nymphes qui vivaient dessous la dure écorce ?
Sacrilège meurtrier ! Si on pend un voleur
Pour piller un butin de bien peu de valeur,
Combien de feux, de fers, de morts et de détresses,
Mérites-tu, méchant, pour tuer nos déesses ?
Question : qui est tellement indisposé par le fait de ne pas abattre prématurément 83 peupliers, magnifiques et en pleine santé, pour un coût collectif de 150 000 euros (nos impôts locaux et nos factures d’eau) ? Que certains ne soient pas sensibles à la beauté et au charme du bruissement de ces peupliers noirs d’Italie, bon, j’imagine qu’ils ne viennent pas souvent se promener sur ce chemin d’"embellissement” du nord de Coye créé au XVIIe siècle, OK, mais qu’ils veuillent détruire ce magnifique paysage à tout prix (et le mot prix à un sens très concret ici), cela me dépasse. Alors, laissez un commentaire pour expliquer ce qui vous dérange à ce point. Pourquoi certains ont-ils d’abord arraché la moitié du panneau d’information qui présentait notre démarche et tout le travail de collecte d’information et d’alerte qu’il a fallu effectuer pour aboutir à cette heureuse conclusion, et ensuite fait disparaître l’ensemble du panneau ? Est-ce gratuit ?