Occident
de Rémi De Vos - Cie La Batailleuse
Mise en scène : Laurent Domingos
Mercredi 13 octobre
Résistance
Ils sont deux, seuls dans leur face-à-face. C’est une soirée comme les autres. Elle fait sa gym avec son coach à la télé, il rentre tard, après avoir bien picolé. Il l'injurie, elle lui répond. Ils s’insultent, se poursuivent, se battent. Et les soirées se répètent. Sans échappatoire. Le spectateur, sidéré ou fasciné, n’en croit pas ses oreilles. Tous les coups sont permis. Et les séquences en voix off tirées de vidéos réelles qui ponctuent chaque scène prolongent l’enfermement de ce couple, prisonnier d'un manque de mots, d’une absence de sens.
Parler, ce n’est plus communiquer, mais vouloir blesser, chercher la faille qui réduira l’autre au silence. Il hurle, mais elle ne se tait pas. Elle rend coup pour coup, provocation pour provocation. Ce n’est pas une femme brisée, victime expiatoire d’une violence qu’elle ne peut que subir. Elle, elle se fait bourreau, ne tremble pas, ne renonce jamais, jouant jusqu’au bout son existence à travers chaque mot, chaque geste. Les larmes, c’était avant, sans doute. Ne reste que la colère, la force d’une présence irréductible, qui dit non. Non je ne suis pas une pute, non tu n’es pas le facho qui descend lentement dans l’enfer d'un racisme ordinaire. Car il est faible et lâche, il a si peur, cet homme, il se laisse vite happer par les discours de haine envers l’autre, le Yougoslave ou l’Arabe, l’étranger.
Il n’y aura pas de salut, de rédemption possible. Le combat est perdu d’avance. L’amour est mort ! Laurent Domingos a choisi de mettre en scène le texte de Rémi De Vos sans faire de concession. La réalité se donne telle qu’elle se vit, crue et cruelle, dans une brutalité insolente. Rien de tragique pourtant. Plutôt un humour féroce, qui bouscule le spectateur avec une inconvenance jubilatoire. L’amour est mort, certes, mais le théâtre est bien vivant.
Lien vers la galerie photo : Occident De Rémi De Vos
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6 commentaires
Commentaire de: Jacques Bona Visiteur
Derrière les gros mots, un hommage à Christo et à la vie
Remi De Vos, auteur de cette pièce fascinante, semble utiliser le langage comme Christo enveloppe d’un drap les monuments : derrière les injures-plis du drap, le spectateur est convié à reconstituer une scène qu’il s’imagine comme définitivement mortelle pour le couple en question. Puis il découvre peu à peu (s’il consent à « l’effort du spectateur ») un emboîtement méthodique d’autres réalités, par exemple l’état d’une société clivée par les slogans et l’alcool (Mohammed, les Yougoslaves qui parlent français, les Arabes qu’on gère à coups de poings…), le bruit ambiant de la pesante modernité, les rêves inaboutis des uns et des autres (l’épouse en robe de mariée), l’humour qui peut sauver le monde (voir tant de réparties réjouissantes et une désopilante lutte armée de planches à repasser), l’indestructible solidité féminine et, dans le fond du Théâtre, énormément d’amour… voilé ?
Commentaire de: Jacqueline Chevallier Visiteur
Sur ce coup-là, nous ne serons pas d’accord !
Christo, quelle curieuse référence ! Cet homme n’a eu qu’une seule idée dans sa vie d’artiste et il n’a cessé de la dupliquer et de l’exploiter jusqu’à la corde (c’est le cas de le dire). Envelopper. Rien d’autre ! C’est un peu court en matière de création, d’imagination, de remise en question.
Commentaire de: Patrick Chevillard Visiteur
Mon cher Jacques,
"Derrière les gros mots" : à des enfants, on apprend qu’il ne faut pas dire des gros mots ; à des adultes, on peut suggérer d’utiliser un niveau de langage moins grossier. Mais, bordel de merde, traiter une femme de salope et de putain, ne relève pas du "niveau de langage". C’est une insulte, c’est de la violence verbale et psychologique.
Qu’il y ait du sous-texte, peut-être ; encore faudrait-il gérer la subtilité dans l’évolution du récit. Pour ma part, au cinquième round, j’ai commencé sincèrement à m’inquiéter en pensant que dans un match de boxe il y en a dix .
Cordialement,
ton dévoué Sac à puces.
Commentaire de: Jacques Bona Visiteur
Cher Sacapus
Au théâtre, les insultes ne sont pas de « vraies » insultes bien qu’elles leur ressemblent beaucoup. Au contraire, sous la provocation voulue ici, elles sont susceptibles de dissimuler de quoi imaginer des relations très différentes entre les deux personnages qui se les adressent.
La représentation une fois terminée, chacun a d’ailleurs eu l’occasion de constater que les deux excellents comédiens concernés forment un couple « normal » qui ne semble guère ébréché par ce qu’il a vécu sur la scène (et pendant les répétitions !). Mais qu’est-ce que la réalité : le théâtre? la vie?… peut-être les deux ou plus encore dans cette histoire, et la leur…
Ton non moins dévoué Sosthène
Commentaire de: Jacques Bona Visiteur
Jacqueline
Mon opinion à propos de Christo est assurément aux antipodes de la tienne. En effet, je lui dois un intense et inoubliable moment de bonheur quand, un bel après-midi de septembre 1985, j’ai traversé la Seine par la passerelle des Arts et contemplé le Pont Neuf « habillé » par ses soins. Aujourd’hui ta réflexion me paraît ressembler à celle qu’on pourrait faire à n’importe quel peintre en lui observant qu’il utilise toujours de la peinture. Mais passons-là, car il y a à défendre les idées de Christo et leur mise en œuvres. Dans sa biographie, je remarque qu’émigré en France en 1958, il fut un portraitiste peintre très apprécié et que ce talent lui a permis de réunir les premiers budgets pour d’autres activités telles que des expériences de matières picturales diverses., puis que, pour protester contre l’édification du « Mur » de Berlin, en 1962, il élève un mur de barils de pétrole au travers de l’étroite rue Visconti. Premier projet d’envergure (et qui n’est pas un « emballage !)
"Cette oeuvre est emblématique de ce qu’est l’art contemporain. L’œuvre, ce n’est pas simplement les barils mais aussi les immeubles environnants, la rue… Et ça, c’est typique du paradigme de l’art contemporain, le fait que l’oeuvre ne réside pas dans l’objet proposé par l’artiste mais dans toutes les conséquences que cette proposition peut avoir autour, et, notamment, dans la redéfinition des frontières visuelles et des frontières de l’art." (je cite Nathalie Heinich).
Voilà qui est un bon début créatif. La suite de l’œuvre de Christo est originale, grandiose, théâtrale et variée, en particulier les fameux empaquetages dont il partage la créativité et tous les talents de dessins de techniques et d’organisation architecturale avec son épouse Jeanne-Claude.
Trop long pour un simple commentaire, mais un rapport certain au Théâtre comme Art.
Espérons un jour une conférence adaptée et d’autres conversations !
Amitié à toi.
Commentaire de: Jacqueline Chevallier Visiteur
Si j’en juge par le commentaire sur le site https://www.ruevisconti.com/LaRueEnDecors/Happening/Arts.html
les barils de la rue Visconti n’étaient pas forcément une protestation contre le mur de Berlin. Mais peu importe ! Quant au Pont-Neuf emballé, oui, c’était curieux, amusant et somme toute anecdotique.
Bon. Des goûts et des couleurs, nous ne discuterons pas.
Il demeure que la référence à Christo est tout, sauf évidente. Si c’est pour dire qu’on montre pour cacher, ou plutôt l’inverse qu’on cache pour montrer, que l’on prononce noir mais que ça signifie blanc, dans ce cas on peut tout interpréter, partout, tout le temps, à l’inverse de ce qui est énoncé : ça va devenir compliqué de faire de la critique théâtrale !
Le couple n’a, paraît-il, plus de mots pour se parler, pourtant l’homme était écrivain autrefois. Mais évidemment, si on dit le contraire de ce qui est … alors, en effet le spectateur n’est pas obligé de prendre cette information pour ce qu’elle se donne (et le fait est qu’on a peine à y croire, vu la pauvreté du vocabulaire du personnage à cette étape de son histoire et l’inanité de sa réflexion vis-à-vis du monde extérieur).
En tout cas au théâtre, les insultes sont de "vraies" insultes, tout comme la flaque d’eau est une "vraie" piscine. Que les insultes soient des cris d’amour, c’est possible (encore que…), et que le crime féminicide soit un crime passionnel, on l’a longtemps prétendu, mais ça n’en est pas moins inadmissible et insupportable. Il s’agit d’humilier, d’écraser, d’anéantir l’autre. Et la femme, en rendant coup pour coup, est prisonnière dans ce jeu-là, même si elle marque des points ; la seule façon pour elle de se libérer, de se montrer forte, réellement, d’être "solide" et "indestructible", c’est de quitter la partie.
Enfin, qu’on ne puisse pas assimiler les comédiens aux personnages qu’ils jouent, nous sommes bien d’accord. Ouf ! heureusement pour eux. Mais là n’est pas le sujet.