Voisins vigilants : «Participation citoyenne» ou voile pudique sur un nouveau recul du service public ?
Quelques réflexions à chaud après une réunion publique autour d’un dispositif ambigu :
Le dispositif est présenté comme permettant de recréer du lien social : objectif fort louable, car il est certes triste de constater que, dans les grandes zones urbaines ou périurbaines principalement, les gens ne connaissent plus leurs voisins mais, justement, il y a pour ça la fête des voisins et toutes les autres occasions festives, notamment autour des activités associatives ! Et nous avons la chance à Coye que ça fonctionne bien, que les gens se parlent, se connaissent, partagent des moments de loisirs, un peu moins qu’avant peut-être, mais heureusement encore bien plus qu’ailleurs. Les voisins sont déjà naturellement vigilants et s’entraident : pas besoin de signer de la paperasse officielle pour ça. Cela s’appelle les relations de bon voisinage, la convivialité, la solidarité. Et ça se fait spontanément, entre concitoyens qui vivent en bonne intelligence.
Lorsqu’il y a un problème particulier – car à Coye comme ailleurs cela arrive, ce serait ridicule de le nier –, les informations circulent et la gendarmerie est joignable par tout un chacun au célèbre 17 et au numéro de la caserne d’Orry présent dans l’annuaire (03 44 58 34 17). Pas besoin de faire partie d’un réseau quasi clandestin (car les voisins vigilants peuvent rester anonymes mais, au fait, est-ce tellement « citoyen » d’encourager le fait d’agir ainsi ?) et de s’affubler d’une étiquette de voisin vigilant pour appeler et communiquer tout renseignement utile à la sécurité publique. Les témoignages des personnes présentes lors de la réunion prouvent bien que cela se fait déjà… car les Coyens n’ont pas attendu l’invention de ce dispositif pour agir de façon civique.
Petite revue d’effectifs : 20 gendarmes pour les 15 000 habitants de sept communes, dont Plailly et son Parc Astérix qui peut accueillir jusqu’à 28 000 visiteurs en plein capacité (par exemple pendant la période estivale pendant laquelle de nombreuses habitations désertées par leurs occupants tentent les cambrioleurs ?). Il n’est pas besoin de chercher plus loin, c’est le nœud du problème : cela donne moins de 20 personnes opérationnelles (car, comme tout le monde, les gendarmes ont, heureusement, des congés et, malheureusement, tombent malades) pour une population pouvant quasiment tripler pour atteindre presque 45 000 personnes. Or on ne remplacera pas des professionnels formés, chargés d’une mission de service public et donc neutres, impartiaux et soumis à l’obligation de réserve, par des particuliers n’ayant forcément pas les mêmes capacités ni prérogatives (heureusement !). La sécurité publique est une chose trop sérieuse pour être confiée à des amateurs, d’aussi bonne volonté soient-ils.
Le dispositif serait source de tranquillité et améliorerait le sentiment de sécurité : il risque au contraire de développer une certaine paranoïa et d’augmenter le sentiment d’INsécurité. A tout vouloir surveiller tout le temps, ça risque de devenir une obsession. Je connais pourtant des personnes qui, résidant à Coye ou à proximité, partent de chez elles en laissant la fenêtre ouverte ou sans verrouiller les portes (ne le répétez pas aux gendarmes : ça les ferait hurler…). Et qui, c’est le comble, ne se font pas cambrioler ! Peut-être parce que, justement, plus on protège une habitation, une voiture ou tout autre bien, plus il attire les convoitises et que les personnes malintentionnées se disent logiquement que si c’est si bien protégé, c’est qu’il y a des choses intéressantes à y trouver. Je ne suis pas en train de dire qu’il ne faut pas fermer sa porte, bien sûr, ce serait stupide, mais il faut raison garder : rien ne sert de se barricader (ceux qui veulent vraiment entrer trouvent toujours le moyen de le faire). Je n’aimerais pas vivre dans ce qu’on appelle si poétiquement une « gated community », avec clôtures hautes de plusieurs mètres et miradors coiffés de caméras pour horizon. A l’abri, peut-être (mais ce n’est pas si sûr). Hors du monde, en tout cas. Les signes extérieurs de richesse attirent, c’est sûr, surtout quand elle est mal répartie. Est-ce du coup si habile de placer à l’entrée d’une commune une signalétique spécifique pour indiquer qu’elle est peuplée de voisins vigilants ? Pas sûr. C’est un signal de la crainte des cambriolages et, donc, de leur intérêt pour leurs auteurs potentiels. Je préfèrerais voir à l’entrée du village « Bienvenue à Coye » que « Commune sous surveillance », et ce n’est pas certain que ça attirerait davantage les voleurs.
Les voisins vigilants sont invités à signaler les individus « louches », d’où une question naïve : qu’est-ce qu’un individu « louche » ? Un « individu » un peu trop jeune, un peu trop bronzé, un peu trop étrange(r) (sachant que l’étranger commence pour certains dans le département d’à côté…) ? Cela a été relevé lors de la réunion publique ce soir : ne risque-t-on pas d’importuner sans raison légitime un amoureux qui attend discrètement sa belle ? Mais aussi, pourquoi pas, un photographe à l’esprit curieux qui regarderait avec trop d’intérêt les belles propriétés du quartier, un promeneur pas pressé qui flânerait un peu trop longtemps sur un banc à regarder le temps passer, ou un adolescent qui fumerait en cachette de ses parents dans un coin de rue sombre ? (Oui, bien sûr, c’est mal, mais cela vaut-il la peine d’être signalé à la gendarmerie ?)
Qui seront les « voisins vigilants » ? Les gendarmes ont bien précisé qu’il ne s’agissait en aucun cas de créer des sortes de shérifs de quartier. Sans doute pas non plus des surveillants généraux ou des concierges patentés (du moins il faut l’espérer !). Mais quel sera le profil des volontaires : des retraités isolés qui s’ennuient ? d’honnêtes citoyens plein de bonne volonté et de bienveillance envers leurs semblables ? C’est tout à fait possible (et souhaitable) bien sûr. Mais les dérives aussi sont toujours possibles : c’est déjà arrivé.
Restons donc « vigilants »… avec le sourire !
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5 commentaires
Commentaire de: Voisin malveillant Visiteur
Autre ambiguïté à ajouter au tableau : en renforçant les dispositifs de sécurité sur le plan local, « voisins vigilants » contribue à déplacer les faits de délinquances sur des communes voisines moins protégées ("effet plumeau"). Comment dans ces conditions peut-on encore parler de “participation citoyenne” et de solidarité ?
Commentaire de: Charpiot Visiteur
Est ce qu’un mec de plus de 55 ans ayant les cheveux long, intermittent du spectacle et ne voyant que d’un oeil est un type louche ?
Commentaire de: Marie Louise Membre
Cela va de soi!
Commentaire de: Geneviève Visiteur
“Merci à Isabelle pour son excellent article.
“Voisins vigilants"… ces deux mots placés côte à côte me faisait un peu peur…n’avons-nous pas autour de nous des voisins amis attentifs ?
Et puis, avant de parler de “voisins vigilants", j’aurais aimé avoir des nouvelles de notre “sécurité” suite à l’installation de la vidéo-surveillance ? y-a-t-il eu moins de cambriolages ? quels sont les résultats concrets ? quelle conclusion tirer de cette vidéo-surveillance ?
Malheureusement, je n’ai pu participer à la réunion sur les “voisins vigilants” organisée avec la Gendarmerie …
Lorsque sur France-Inter, j’ai entendu que Charline Vanhoenacker allait parler des “voisins vigilants", j’ai tendu l’oreille… Si vous n’avez pas eu l’occasion d’écouter son billet, qui ne dure que quelques minutes, je vous transmets le lien, l’humour et le sérieux font parfois bon ménage :
www.franceinter.fr/emission-le-billet-de-charline-mais-que-font-les-voisins.”
Commentaire de: Marie Louise Membre
Appelons les choses par leur nom, cette initiative fait appel à la délation.
Je suis née à une époque où la délation était un sport national et a beaucoup servi à la gendarmerie pour remplir certains autobus… Que la gendarmerie fasse aujourd’hui appel à mes voisins pour signaler la voiture qui…, la moto dont…, le cycliste auquel… et l’individu décrété louche, non! La gendarmerie fait son travail, qu’elle le fasse bien. Qu’elle milite pour que l’on augmente ses effectifs, oui. Mais en aucun cas que les citoyens ne deviennent ses indics.
Tant qu’on y est, le maire pourrait aussi faire appel aux voisins vigilants pour savoir qui n’a pas ramassé sa crotte de chien, qui a jeté une canette dans la rue, qui a dessiné un graffiti, qui ne met pas son disque de stationnement, qui ne traverse pas ds les clous, qui se gare à un emplacement interdit. C’est sans limites.