Une crèche d’exception
A mi-janvier, les sapins perdent leurs guirlandes, et les santons, enveloppés dans du papier de soie, regagnent leur boîte, serrés les uns contre les autres. La crèche sera rangée pendant une année.
Mais à Coye-la-forêt, il en reste une à qui l'on permet de rester en place un peu plus longtemps. C'est une crèche d'exception. Sa visite n'est pas faite pour les circuits touristiques, aucun guide ne la signale, elle est modestement réservée au cercle familial de Paul, son artisan. Fabriquée d'abord pour les enfants, puis pour les petits-enfants, elle se montre aussi aux amis, aux connaissances, aux voisins. Coye29 a eu le privilège de la voir et de rencontrer son concepteur.
Stupéfaction de découvrir dans un salon un vrai paysage brique et ocre, sous un ciel d'un bleu nuit brillant, qui occupe la largeur d'un mur et qui est peuplé de plus de deux cents sujets. Le regard ne sait où se poser tant les plans et les volumes sont nombreux. Montagnes, chemins, terrasses, grottes, étendues sableuses, escarpements, monuments. Et peu à peu le dessein se découvre. Là-bas, à gauche, vers le point de fuite, creusé dans la roche l'œil reconnaît un temple, le Khazneth, dont l'architecture lui est familière, pour l'avoir vue si souvent filmée et photographiée, ses colonnes ocre surmontées d'un fronton triangulaire. Petra!
Petra, la cité troglodyte créée au VIII° siècle avant J.C par les Nabatéens, qui ne se montre qu’au voyageur qui a marché pendant plus d’un kilomètre entre des falaises de près de 200 mètres de hauteur, dans un étroit défilé qui serpente et se coude, comme si justement le monument se dérobait.
« C’est ce qui m’a intéressé dans ce site, commente Paul, la gorge de Petra, le Sîq, trace d’un ancien torrent que les Nabatéens ont asséché. J’ai voulu que, par ce défilé, les habitants de Petra parviennent à la crèche, une tente bédouine que j’ai située à l’opposé du temple principal. Tous les monuments, temples ou tombes, que j’ai représentés — il y en a onze — existent à Petra. Bien entendu, j’ai agencé leur disposition. Ce que vous voyez n’est pas Petra, c’est ma propre projection du site, ce que j’ai imaginé à partir d’un lieu qui me fascine et dont j’avais les photos sous les yeux pendant que je travaillais. »
Pourquoi la crèche ?
« J’ai toujours fait des crèches. J’aime le côté fragile de la chose car elle fait travailler l’imaginaire, le côté intemporel aussi. La crèche, ce n’est pas grand-chose, un simple carré de bois suffirait. Ce qui me plait c’est de créer un univers autour de cette simplicité. Et un univers simple aussi. Il n’y a ici que du carton, un peu de peinture, du papier. J’aime ce caractère éphémère, je n’aime pas la répétition. Je détruis la crèche de l’année pour en recréer une autre. Cette fois-ci, la famille me presse pour que je la garde encore un an. Je vais peut-être l’écouter. Mais j’ai déjà le thème de la suivante, l’idée chemine pendant plusieurs mois et début octobre je me mets au travail au sous-sol. Parfois la nuit je me lève si une idée me vient… Le travail sous stress me rend imaginatif. »
Quelles crèches avez-vous imaginées ?
« J’ai fait une crèche provençale bien sûr, il y a 15 ans, avec ses collines, ses vignes, les maisons construites à l’à-pic d’une falaise, un moulin, un château fort, et la mer arrivait au ras de la crèche. Elle seule a le droit de dormir depuis au sous-sol !
C’était un peu irrévérencieux, mais j’ai construit avec des bouteilles une crèche intergalactique, des vaisseaux spatiaux et Jésus dans sa bulle sur Mars ! Une crèche hollandaise. C’est une chanson de Jacques Brel qui a fait naître ce projet : « avec ce ciel si bas… » Il y avait trois types de moulins, la mer en hauteur, les digues… la crèche était près des dunes avec un toit de paille.
Quand j’ai une idée, je l’habille, je fais le canevas puis je réalise. Ce qui me motive, c’est de faire plaisir aux enfants. Certes Ils sont grands maintenant, mes petits-enfants sont adolescents, mais je pense qu’ils sont heureux chaque année de découvrir la nouvelle crèche.
J’aime aussi l’idée d’être autonome, de ne pas faire appel à ce qui est déjà fabriqué, de ne pas entrer dans le jeu de la consommation et de tirer parti de tous les matériaux que j’ai. Ce qui importe, c’est l’effet que l’on obtient, ce n’est pas avec quoi on a travaillé ni comment. Je veux que l’imaginaire, devant le chalet savoyard, voie un toit en lauzes blanchi par la neige, et non le papier gaufré avec lequel je l’ai fait. »
Et les personnages ? Leur nombre est impressionnant, d’où viennent-ils ?
« Au premier plan, j’ai placé les plus grands, des santons, par souci de la perspective. De face, à côté du musicien, j’ai mis le santon qui appelle, comme s’il s’adressait à nous pour que l’on vienne regarder. A l’arrière, de taille réduite, il y a les fèves de galettes des rois. Ma belle-mère les collectionnait et à l’époque elles étaient jolies et délicates. Je les ai ravivées avec un peu de peinture. Les animaux sont partout, les enfants aiment cela. Et des anges qui volent autour de la crèche. »
L’artisan de la crèche, appelons-le ainsi puisqu’il veut rester discret, est un personnage étonnant aussi. Il se dit « dilettante » et ne se reconnaît pas une aptitude exceptionnelle pour le bricolage. Comment le croire ? Dans ce Petra rêvé, il y a l’habileté de travailler les matériaux, modeler, assembler, tordre, découper, coller. Comme l’intérêt de l’historien pour la recherche de documentation. Comme Il y a aussi l’art du sculpteur qui travaille avec les volumes et celui du peintre qui connaît la perspective, joue avec les ombres, les couleurs et leurs nuances.
On pourrait se dire que lorsqu’on passe son temps dans un sous-sol à rêver et à réaliser une crèche monumentale, à peindre un santon ou à choisir la bonne place pour l’âne qui chemine, on mène une vie sédentaire et confinée. Pas du tout ! Paul est un sportif. Il s’est lancé dans l’apprentissage de l’escalade après la retraite. Et aujourd’hui les parois des carrières de Saint-Maximin n’ont plus de secret pour ce membre du club d’escalade cantilien. Souhaitons-lui de partir un jour à la découverte du canyon vertigineux de Petra.
Toutes les photos : Une crèche d’exception
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3 commentaires
Commentaire de: charpiot Visiteur
Un mot : Magnifique !!!
Commentaire de: Laurent Visiteur
Très beau sujet. Très beau texte.
Paul est un artiste et l’auteur du texte a une plume érudite et élégante
Commentaire de: Jacqueline Chevallier Visiteur
Je ne suis pas croyante et ne suis donc pas sensible à l’aspect religieux de la crèche.
Mais j’aime les belle histoires.
Ici je trouve très émouvante cette représentation de “tout un peuple en marche” et impressionnante cette réalisation, par la patience et la passion qu’elle a nécessitées. Bravo !
S’il y en a une autre l’année prochaine, j’espère que Coye29 sera invitée à nous la présenter