Le dragon
d' Evgueni Schwarz
Compagnie À Tout Va !
Mise en scène de Stéphan Debruyne
Après un accueil en musique et un préambule tonitruant, nous sommes projetés d'entrée de jeu dans l'univers du conte. Une jeune fille cajole un chat, mais c'est le chat qui parle et il n'y a pas lieu de s'en étonner. Arrive un beau jeune homme à la cape virevoltante qui a la fière allure d'un héros. Au premier échange de regards, on sait que ces deux là, Elsa et Lancelot, sont faits l'un pour l'autre ! On va retrouver tous les schémas traditionnels du conte merveilleux : un monstre dévorant et redoutable, un vaillant chevalier, une demoiselle belle comme une princesse, quelques adultes ignobles et ventripotents, deux ou trois accessoires magiques… Toute l'action est menée avec allégresse par une troupe de cinq comédiens pleins d'énergie et de bonne humeur, affublés de masques légers qui leur permettent de jouer tour à tour une vingtaine de personnages différents, accompagnés de deux musiciens, dans un décor à l'architecture mouvante. Les enfants sont ravis.
Mais qu'on ne s'y trompe pas : la pièce d'Evgueni Schwartz est une pièce politique. D'ailleurs quand elle a été créée en 1944, les autorités staliniennes, elles, ne s'y sont pas trompées, qui l'ont immédiatement interdite. L'auteur a eu beau expliquer aux censeurs de son pays qu'en fait il s'agissait d'une parabole antinazie, ils ne se sont pas laissé duper. D'ailleurs dans la version proposée par la compagnie À Tout Va, les habitants du village se saluent chaque fois qu'ils se rencontrent, non pas en tendant bien raides le bras et la main comme pour le salut hitlérien, mais en pliant le coude et en serrant le poing (mollement il est vrai !). Mais on reconnaît là une parodie du salut communiste.
Bien évidemment, la pièce appelle à la résistance à toute forme d'oppression et de tyrannie. L'étranger est venu pour combattre le dragon, mais surtout la soumission au dragon, la résignation, la peur, la lâcheté, la servitude volontaire. Il refuse d'entendre les villageois qui disent : « Nous nous sommes habitués » ou « C'est comme ça depuis toujours, on n'y peut rien », sans compter ceux qui sont carrément dans le déni : « La ville est calme, il ne s'y passe jamais rien ».
Assez curieusement, la pièce prend une résonnance tout à fait actuelle quand il y est question des Romanichels, que le dragon aurait fait disparaître : pour se débarrasser des Romanichels supposés être la cause de tous leurs maux – mais ceci de façon indistincte et inexpliquée –, les villageois sont prêts à accepter la pire des tyrannies – bien concrète et bien réelle, celle-là.
La pièce a des allures de conte et la mise en scène adoptant un traitement en commedia dell'arte en fait une grande farce. Pourtant le message sous-jacent reste très pessimiste : Certes le dragon est mort, mais délivrée du tyran, la ville se laisse subjuguer, littéralement mettre sous le joug, par ceux-là mêmes qui étaient au pouvoir avant l'arrivée de Lancelot.
Doit-il en être de même après chaque Libération ? Est-on condamné à ce spectacle affligeant : les combattants de la dernière heure qui s'attribuent des mérites qui appartiennent à d'autres, l'opportunisme, le mensonge, le noyautage de l'information par les mêmes qui restent au pouvoir, s'étant juste contentés de retourner leur veste (ceux-là qui criaient « Gloire au dragon ! » scandent désormais « Gloire au tueur de dragon ! »), la permanence dans le changement, la corruption, les revirements d'opinion (tiens ! maintenant on ne serre plus le poing quand on salue, mais on garde le coude plié comme avant), et pour le peuple l'encadrement de la pensée (il est désormais interdit de regarder le ciel), l'enfumage (très concrètement signifié par des volutes de fumée sortant des remparts), l'uniformité et le conformisme.
Est-ce pour cela qu'on a combattu ? Ces thématiques sont malheureusement universelles.
Associant message et divertissement, le spectacle ne pouvait que plaire du plus petit au plus grand !
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3 commentaires
Commentaire de: Marie Louise Membre
Commentaire de: Nathalie Aguettant Membre
Quelle merveille le chat ventriloque, une belle idée et une réalisation très réussie. Bravo à Mélanie Surian et aux créateurs(trices) ! Il apporte la touche d’humour et de douceur nécessaire face au tumulte et à la violence du pouvoir.
L’harmonie des décors, des masques, des costumes et de la lumière est très réussie.
Bref une création équilibrée et harmonieuse qui a enchanté les jeunes et les moins jeunes, en témoignent les applaudissements nourris et les nombreux rappels.
Commentaire de: jean-Michel Mallard Visiteur
L’ensemble, bien pensé s’appuyant sur une histoire fantastique aurait mérité davantage de finesse dans l’interprétation de certains rôles. La subtilité du texte et les implicites des situations, l’actualité de la menace sont passés inaperçus derrière la fureur du jeu et des outrances qui rendait la pantomime trop gouailleuse. Dommage il y a beaucoup de bonnes idées.
C’était une grande fête, ce dragon avec les enfants! On les entendait rire. Un spectacle enlevé, de très bons comédiens, et une fable toujours d’actualité. Un peu plus amer pour les adultes que pour les enfants…