Le cirque des mirages fête ses 15 ans
de et par Yanowski et Fred Parker
11 pièces chantées - ou proférées - avec intermèdes
L'invitation au noir cabaret
Sur une scène au fond obscur se détachent, vêtus de noir, deux acteurs, un grand hidalgo au micro et un pianiste, lié à son instrument noir et brillant. Immédiatement la chanson endiablée commence sous la lumière crue, le son est puissant. Le public se sent transporté dans l'univers d'un cirque de monstres, et ces monstres sont là aussi, dans la salle. « Vous êtes tous là : les gueux, les chiens, les soiffards ». On est plongé dans le monde du FREAKS de Browning, film en noir et blanc de 1932. Que nous prépare l'inquiétant maître de cérémonie ? Des histoires à ne pas dormir la nuit, tirées d'inspiration gothique, où circulent Satan, les fantômes, les fous, et la Mort.
Noir aussi un humour ravageur, noire la couleur de l'anarchie sous-jacente.
La musique lumineuse sous les doigts de Fred Parker et la puissance des textes nous prend, nous secoue et nous charme en même temps, et nous nous laissons conduire aux portes de l'enfer.
A la conquête du public
Les deux musiciens par la magie de leur art et de leur expérience (le spectacle est rodé depuis longtemps et sans cesse affiné) amènent le public à une sorte d'état de transe.
Par les agressions qui l'accueillent selon la tradition cabaretière et qu'il prend avec humour : traité de criminel, menacé de devoir « payer maintenant », le public s'attend à tout dans un plaisir masochiste et complice.
Par l'essorage, le dessalage, auxquels il est soumis : il est pris dans le tourbillon d'une succession de scènes chantées particulièrement osées et iconoclastes (la cuite des apôtres, la pute fantôme), exprimées en un langage poétique libéré, allant jusqu'à l'obscène, qui traduit puissamment les fantasmes érotiques ou criminels.
Par le rythme effréné et l'articulation de textes soutenus par le jeu intense du pianiste, qui le mitraillent d'images.
Par l'expressivité du jeu, porté par le masque et la danse hypnotique des gestes de l'acteur.
Par les ruptures de ton qu'amènent les intermèdes raffinés de Parker (jazz , Satie, Prokofiev, Brel, ...) : après la violence, c'est la tristesse d'une chanson intimiste, après une scène faustienne et diabolique, c'est une scène de comédie style Tontons flingueurs.
Enfin, les deux musiciens savent interpeller le public en jouant de clins d'œil moqueurs sur COYE (prononcé COUILLE, mais dans le contexte !).
Et le public fut conquis, et le manifesta debout.
Le miroir des illusions
Au-delà de l'art de capter le public, et de la performance et de l'engagement des deux musiciens, ce spectacle nous plonge dans un univers riche de toute l'expérience poétique de Yanowski. Imprégné de littérature russe (Gogol, Dostoïevski), de l'art du flamenco, de littérature fantastique, Yanowski nous fait voyager dans ses mondes éclatants.
Naturaliste, expressionniste, fantastique, décadent, anarchiste, ces termes tentent vainement de cerner cet art singulier qui se réalise dans une forme située entre l'opéra de Kurt Weill et le cabaret des faubourgs.
Un fil secret relie la figure du poète maudit que torturent la réalité du monde, l'obsession du manque et de l'impuissance, la présence de la mort, la frénésie de la folie, à la misère de l'aveugle, notre miroir. Tout est mirage et illusion décevante : l’amour, on l'oublie, on voit des dieux marcher sur les eaux, la poésie sombre dans la folie ; ce qui demeure, ce qui est sauvé, c'est la musique, qui nous guide, c'est de la musique que naît le mirage salvateur.
Le Cirque des Mirages De Yanowskiet Fred Parker
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