Adieu Monsieur Haffmann
de Jean-Philippe Daguerre
Atelier Théâtre Actuel
Mise en scène de Jean-Philippe Daguerre
Dès le début de la pièce, nous sommes plongés dans l'horreur de la guerre, en 1942 sous l'occupation allemande. Un poste de radio crache des insanités antisémites sur un ton professoral.
Les lois de Nuremberg viennent d'être promulguées et le port de l'étoile jaune est devenu obligatoire pour les juifs.
Tout le décor est gris, à l'image de cette sombre période. Seul un tableau accroché au mur en fond de scène apporte un rayon d'humanité.
Joseph Haffmann, lui-même juif et patron d'une bijouterie, a pu faire passer toute sa famille en Suisse afin de la protéger et décide de rester à Paris. Pour cela il va proposer à son employé, Pierre Vigneau, la gérance de son magasin et en échange, celui-ci devra le cacher dans la cave du magasin en attendant des jours meilleurs.
Pierre, qui est stérile, va accepter à l'unique condition: Que Monsieur Haffmann fasse un enfant à sa femme. Le pacte entre les deux hommes est ainsi scellé. Avait-il d'autre choix que celui d'accepter ? Joseph passera ses journées caché dans la cave. On ne peut s'empêcher de penser alors à Anne Franck.
Ce huis clos, cadencé au rythme des rapports sexuels suggéré par le rythme de claquettes, nous transporte mois après mois dans l'angoisse. L'atmosphère du secret, du danger, de la peur est superbement révélée par le jeu des comédiens. Peu à peu on voyage avec eux au rythme de leur caractère, de leurs interrogations, de leurs doutes et l'angoisse est toujours omniprésente.
On rit parfois, certes un peu jaune et on le regrette tout aussitôt... Par moment la salle résonne sous les rires... Peut-on rire de tout ?
La mise en scène de Jean Philippe Daguerre, auteur de la pièce, nous transporte en un instant du sourire à l'horreur de la réalité.
Mais voilà que contre toute attente le commerce prospère, en particulier grâce à la clientèle nazie et comme l'argent n'a pas d'odeur il n'y a aucune raison de refuser ces riches officiers et sûrement pas Otto Abetz, l’ambassadeur d’Allemagne, qu'on décide d'inviter à la maison avec tous les honneurs qui conviennent à son rang.
Il faut savoir mettre ses scrupules de côté, même si Madame Vigneau exècre à recevoir chez elle l'occupant nazi.
Seulement voilà, Monsieur Haffmann a décidé de s'inviter aussi. Il vient d'apprendre qu'il a rempli sa mission : Isabelle Vigneau est enceinte. Il ne supporte plus de rester caché dans la cave comme un rat. Il veut à nouveau retrouver la lumière, la vraie, non plus celle d'une bougie.
Voir son bourreau de très près est pour lui une vengeance, presque une jouissance.
À table, le ton est convivial, Otto Abetz est très prévenant, loin du bourreau qu'on pourrait se représenter. Suzanne Abetz se rit des "prises de guerre" comme la bouteille de champagne qu'elle a apportée et qui a été volée lors de perquisitions chez des juifs. Son indécence qui pourrait faire sourire, dérange jusqu'à faire grincer des dents.
C'est au cours du repas, qu'Isabelle, qui a compris qu'Otto Abetz a tout découvert, décide de révéler qu'elle attend un enfant. Est-ce grâce à cette annonce que son mari citant Shakespeare retrouve l'humanité qu'il avait perdue ?
L'officier montre alors son vrai visage: il n'est plus en fonction et il accepterait volontiers le tableau de Matisse" la femme assise" caché dans la cave en échange de son silence. C'est en réalité pour cela qu'il a accepté l'invitation. Il a perdu son bel habit, il se dévoile. Il n'est qu'un petit escroc, rien de plus, comme tous ceux qu'il est censé représenter.
Epilogue : Ce tableau a été restitué en 2015 aux héritiers de Paul Rosenberg par les autorités allemandes. Il fait partie des innombrables œuvres qui ont été volées aux juifs par le régime nazi.
ADIEU MONSIEUR HAFFMANN De Jean-Philippe Daguerre
PARTAGER |
Un sujet douloureux, une situation angoissante, l’émotion est là. Sobriété et sincérité du jeu. Les cinq comédiens sont remarquables. J’ai retrouvé avec joie Grégori Baquet, vu l’année dernière dans les Cavaliers et en 2012 dans la fascinante pièce de Claudel “L’Échange". Avec les archives photos de coye29 on revit ces grands moments du Festival…