Trahison ultime
Trahison ultime des placements en EHPAD ! Dans une grande salle ensoleillée de larges baies ouvertes sur de luxuriants massifs fleuris, c’est l’heure du repas. Une assemblée serrée autour des tables aux nappes immaculées. Rien que des têtes blanches, hésitantes, tremblantes et silencieuses. Les regards se fuient. Le personnel aux blouses colorées garde une affabilité de circonstance. La trahison plane. Le regroupement de toutes ces femmes (à peine un quart d’hommes seulement) ridées, chenues, tordues, ne les maintient solidaires que dans leur lassitude et leur tristesse.
Les EHPAD sont des univers concentrationnaires. Qu’ils soient de confort précaire pour les plus populaires ou dorés sur tranche, tels des « Hilton » de la vieillesse, on y regroupe, on y concentre les vieilles, devenues trop moches, trop cacochymes, celles qui font tache sur les photos de famille. Evidemment, elles racontent toujours les mêmes choses. Mais ce sont des morceaux de vie, des pans de leur propre existence que leurs voix chevrotantes offrent au passant gêné. Elles ont rompu depuis longtemps le pacte de l’injonction à la beauté désirable en abandonnant leurs corps noués au mépris social. Dans les bonnes familles, elles ne sont plus depuis longtemps un spectacle pour les enfants. Elles ont trimé, frotté, nourri, soigné toute leur vie. Mais quand elles ne sont plus que le souvenir de leur histoire, on les réduit encore au silence. Qui recueillera leur savoir et leur sagesse ? Qui conservera ces pépites de vie qui enrichissent tant les descendances et fortifient les destinées ? Le placement à l’EHPAD les engloutit dans un monde du silence où, résignées, elles attendent la mort. Les familles viennent les voir pour se convaincre que tout va pour le mieux, dans le meilleur des dénis. Nos vieilles cachent derrière leur sourire contraint la honte qu’elles ont de la lâcheté de leurs propres enfants. Ceux-ci resteront de zélés consommateurs d’une société malsaine, adorateurs hébétés de leur jeunesse passée, dont il ne leur reste que l’égoïsme. Le nombre des personnes rejetées, pèle mêle le handicap et le grand âge, va augmenter exponentiellement dans l’avenir. Ne leur réservera-t-on que cette ultime trahison ? Vive la république qui exclut !
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4 commentaires
Commentaire de: Antoine Szpirglas Visiteur
Commentaire de: Jacqueline Chevallier Membre
La réaction d’Antoine rejoint ma première réaction spontanée à la lecture de la tribune d’Olivier ; c’est un sujet qui forcément nous tracasse tous.
J’entends de la détresse, autant du côté des pensionnaires qui parfois sont effectivement abandonné/es des leurs, que du côté des familles qui parfois n’ont pas la possibilité de faire autrement et s’en trouvent à la fois désespérées et culpabilisées.
Et parfois aussi, c’est un choix de la part de la personne elle-même (vieille ou handicapée).
C’est pourquoi il est impossible de généraliser… même si je comprends les propos d’Olivier, et si je comprends que telle ou telle situation précise puisse provoquer ce coup de gueule.
Commentaire de: Françoise Visiteur
Quelle est l’alternative ?
Pour les plus pauvres, la personne reste à la maison, probablement pas plus écoutée et dépourvue de soins.
Pour les plus riches, un.e garde-malade permanent.e à domicile mais pas forcément davantage d’égards et de respect.
Entre les deux, c’est le placement depuis que cette possibilité existe. Signe de l’égoïsme ambiant ? Peut-être.
Quand le moment sera venu pour moi, s’il me reste un peu de lucidité, c’est la solution que je choisirai. En espérant ne pas me sentir trahie.
Commentaire de: Françoise Visiteur
Les EHPAD cachent une autre détresse, moins profonde mais réelle : celle du personnel que l’on contraint à faire du travail à la chaîne pour un salaire dérisoire. Ce n’est pas ainsi que les aides soignant·e·s envisageaient leur métier. Et les personnes dépendantes seraient plus dignement traitées si le personnel l’était également.
Mais dans notre monde, la misère des uns fait toujours la richesse de quelqu’un d’autre, en l’occurrence celle des société Orpean et Korian qui investissent massivement dans ce secteur générateur de profits maximisés.
Olivier
ma mère est en EHPAD depuis 4 ans. Ton point de vue contient une part de vérité incontestable. Mais tu ne dis pas un mot sur les cas où les familles sont contraintes de placer une personne dans un contexte de santé ne permettant pas de la garder à la maison. PAD signifie Personne Agée Dépendante, cette dépendance peut imposer une médicalisation permanente qu’on ne trouve qu’en EHPAD. Je remercie les structures d’exister, et les soignants qui y accomplissent un travail de dingue en gardant la plupart du temps le sourire.