Les bienfaits de l'agriculture biologique
conférence de La Sylve, le 23 février 2019
Dans le cadre des conférences qu'elle organise une fois par mois, La Sylve a invité Éric Gobard, agriculteur de Seine et Marne, à venir nous parler de son exploitation totalement convertie en agriculture biologique depuis 2009.
Située dans la grande plaine réputée très fertile de la Brie, entre Meaux et Coulommiers, la ferme du Moulin de Chantemerle est la propriété de la famille depuis 1892. La photo projetée sur le grand écran est une carte postale ancienne montrant la cour de la ferme en 1902, avec les chevaux à l'arrière-plan qui fournissaient la force motrice (il n'y avait à l'époque ni voiture ni tracteur), au milieu le tas de fumier (signe extérieur de richesse) et au premier plan, avec son troupeau de moutons, le grand-père de notre conférencier d'aujourd'hui.
Pour opérer la conversion, Éric Gobard a dû y aller progressivement car son père était, à priori, hostile à cette idée. Il faut garder à l'esprit que les agriculteurs d'après-guerre, avec l'utilisation massive des engrais chimiques, ont vu les rendements à l'hectare plus que tripler en une génération ; aussi n'avaient-ils aucune envie d'abandonner les produits qui, avec la mécanisation et la génétique, avaient permis ce "miracle" du progrès moderne. Pourtant le fils avait l'intuition que ce modèle d'agriculture intensive et artificielle, avait atteint ses limites. Il a donc insisté auprès de son père qui lui a concédé une parcelle. La démonstration a dû être assez convaincante, puisque le fils a rapidement obtenu la possibilité de cultiver la moitié de l'exploitation. Finalement, depuis 2009, la totalité du domaine, soit 180 hectares, est en agriculture biologique et le mieux, c'est que le père en est devenu un fervent défenseur.
Bien plus, la ferme céréalière est désormais un référent pour l'INRA (institut national de la recherche agronomique) : les chercheurs et les ingénieurs font des relevés réguliers et notamment étudient avec intérêt les productions et les rendements à l'hectare. Car la ferme est moderne et rentable.
Le cahier des charges de l'agriculture biologique est défini au niveau international par l'ONU (codex alimentarius) :
– pas de produits de synthèse (engrais chimiques, désherbants, insecticides, fongicides, etc.)
– pas d'OGM (organismes génétiquement modifiés)
– connexion directe avec le sol (à contrario, les cultures sur des terrasses d'immeubles ne peuvent pas obtenir le label bio, même si le terreau utilisé est purement organique).
Ensuite, sur cette base commune, les pays sont libres d'élaborer leur propre réglementation qui peut être plus restrictive. À l'heure actuelle le label français AB est un des plus exigeants qui soit.
Le grand principe de base au Moulin de Chantemerle est la rotation des cultures sur neuf ans : sur une parcelle donnée, les deux premières années on plante de la luzerne (également appelée alpha-alpha ou alphalpha, elle est récoltée mais parfois elle est broyée et enfouie pour enrichir le sol), la troisième année on plante du blé, la quatrième du lin, la cinquième à nouveau du blé, la sixième des légumineuses (haricots, soja), de l'épeautre la septième année, l'année suivante à nouveau des légumineuses (fèves, lentilles) et pour finir du sarrasin ou du seigle. Toutes ces cultures se succèdent sans labours profonds qui déstructurent les sols : il est juste pratiqué un labour de 15 centimètres après la moisson du blé, pour se débarrasser des "mauvaises herbes".
En revanche, dans les champs de haricots, le désherbage se fait à la main. Des étudiants sont embauchés pendant l'été et le travail s'effectue dans la bonne humeur.
Pour autant, on ne revient pas aux temps de la lampe à huile comme certains voudraient nous le faire croire dès qu'on parle d'écologie : le film nous montre au contraire des machines très modernes et sophistiquées (semoir, herse, bineuse, moissonneuse…), capables pour certaines de travailler au centimètre près grâce à des capteurs électroniques.
Sauf pour ce qui concerne les céréales, on constate que pour toutes les productions de l'assolement (luzerne, légumineuses, lin), les rendements en bio sont les mêmes qu'en conventionnel.
En revanche, pour le blé les résultats sont plus faibles qu'en agriculture conventionnelle : 49 quintaux de blé à l'hectare lors de la troisième année). Mais il faut souligner un point très positif : dès lors qu'on abandonne les engrais chimiques, les céréales ne sont plus attaquées par les maladies. Et donc on abandonne du même coup les produits phytosanitaires.
De plus les variétés de blé que l'on cultive actuellement ont été sélectionnées en raison de leur bonne réaction aux engrais chimiques. Mais on peut envisager des gains de productivité si la recherche s'oriente vers l'amélioration de variétés plus rustiques. Celles-ci ont été abandonnées et ont même parfois complètement disparu ; cependant il arrive qu'on retrouve, au fond d'un grenier ou d'une grange, un sac de grains oublié depuis des années, ce qui permet de faire repartir des variétés anciennes plus résistantes et bien adaptées au terroir. Donc on peut raisonnablement envisager des marges de progrès de ce point de vue.
Étant donné ses nombreux avantages, il n'y a pas de doute que l'agriculture biologique fait la preuve de sa supériorité :
– elle permet de conserver la vie dans les sols (bactéries, lombrics – "le meilleur ouvrier de la terre" – micro-organismes, champignons…, tout un monde encore très peu étudié : les sols en agriculture biologique conservent une bonne plasticité alors qu'après quelques années de culture chimique, ils deviennent durs et sans vie et nécessitent des labours profonds extrêmement destructeurs, et l'ajout massif d'intrants souvent toxiques) ;
– elle préserve la biodiversité et l'on voit revenir les insectes de toutes sortes (c'est ainsi que, dans ce modèle, le miel fait partie de la production de la ferme).
Même le paysage y gagne, avec la réintroduction de haies.
De surcroît, l'agriculture conventionnelle contribue fortement au réchauffement climatique, d'abord parce que la fabrication des engrais chimiques nécessite beaucoup d'énergie, ensuite parce que l'épandage d'engrais azotés provoque, dans les dix premiers jours qui suivent le traitement, le dégagement de protoxyde d'azote, très puissant gaz à effet de serre (potentiel de réchauffement égal à 298 fois celui du CO2 ) alors que par leurs racines, les légumineuses en assolement fixent l'azote dans la terre.
L'agriculture chimique est en outre très toxique pour l'homme et l'environnement. Ce ne sont pas les engrais eux-mêmes qui empoisonnent les agriculteurs, les consommateurs et les écosystèmes. Cependant les engrais fragilisent les plantes et obligent à utiliser des pesticides (terme générique qui rassemble les insecticides, les fongicides, les herbicides, les parasiticides, toutes substances qui tuent, comme l'indique leur suffixe). L'agriculture biologique au contraire cherche à rétablir les équilibres naturels et se montre plus économe en énergie.
Pour finir, le dernier avantage de l'agriculture biologique et non des moindres, c'est la qualité incomparable de ses produits, autant du point de vue gustatif que nutritif. Éric Gombard rappelle que, du fait des mutations génétiques des variétés de blés modernes, actuellement 25 % de la population française est intolérante, voire allergique au gluten. Les variétés anciennes ne provoquent pas ce type de réaction.
L'agriculture industrielle finit par provoquer des problèmes de santé publique, et c'est peut-être à cause de cela que désormais de plus en plus de monde est sensibilisé à la question.
Parallèlement à ses cultures, Éric Gombard a développé avec son épouse un atelier de production de farines et de biscuits. On y retrouve entre autres la farine d'épeautre et les graines de lin provenant de l'exploitation.
Épuisement des sols, destruction de la biodiversité, dégradation de l'environnement, intoxication des agriculteurs, fragilité des variétés cultivées, faiblesse de la valeur nutritive des produits, dégagements de gaz à effet de serre, on connaît désormais les méfaits de l'agriculture industrielle intensive. De fait les choses évoluent : il y a quelques années encore l'agriculture biologique faisait ricaner les "gens sérieux" et il était difficile, voire impossible, d'évoquer le sujet dans les écoles agricoles. Aujourd'hui plus personne ne peut ignorer le problème. Cependant les politiques, les organisations officielles, les gouvernants sont très lents à admettre qu'il faut abandonner le modèle productiviste. Ce sont les consommateurs qui finissent par imposer l'agriculture biologique et c'est grâce à eux que les choses changent.
Car bien loin d'être un retour au passé, l'agriculture bio est l'agriculture de demain.
Alors achetons bio, mangeons bio, exigeons du bio dans les cantines scolaires et les restaurants d'entreprise, dans les hôpitaux et les maisons de retraite !
Vous pouvez visiter virtuellement les champs et les ateliers de transformation du moulin de Chantemerle sur le site www.moulin-chantemerle.com
Ferme du Moulin de Chantemerle
77120 AULNOY
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