Les pieds tanqués
Texte et mise en scène de Philippe Chuyen
Les « Pieds Tanqués » est une pièce optimiste qui démontre que le « vivre ensemble » devient possible dès que l’on se parle vraiment…
Pour quelqu’un qui était trop jeune à l’époque et qui n’a pas été directement touchée par les « événements d’Algérie », cette pièce fait comprendre bien mieux qu’un article descriptif type « wikipédia » ce qu’a été cette guerre avec ses drames familiaux. On en a finalement très peu parlé, et cette pièce de théâtre répare une injustice…
Autour d’un terrain de pétanque, quatre personnages démarrent une partie de pétanque :
• Un immigré algérien de la deuxième génération fils d’un FLN et neveu de harki,
• Un juif pied-noir rapatrié qui a tout perdu,
• Un Parisien récemment installé dans le midi dont le père militaire, loyal envers l’armée française, s’est suicidé,
• Un français « de souche », méridional, dont le père communiste a milité pour l’indépendance de l’Algérie.
Chacun, au fur et à mesure du jeu, raconte son histoire… et finit par dire tout ce qu’il a sur le cœur. Ils se rendent compte qu’ils sont finalement quatre victimes et on a le sentiment qu’au lieu de les séparer, ces « confessions » les ont rapprochés.
Ils vont dès lors pouvoir finir cette partie de pétanque en ne pensant qu’au jeu …On sent aussi le soulagement dans le public qui suit vraiment la partie …
La mise en scène est sobre, le texte est sans emphase , n’oublie ni l’humour ni l’ambiance méridionale, les acteurs sont excellents, naturels et on les sent en prise avec le public.
Bref, une excellente soirée qui fait du bien.
LES PIEDS TANQUÉS D’Artscénicum Théâtre
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6 commentaires
Commentaire de: Jacqueline Chevallier Visiteur
Commentaire de: francoise Membre
Merci Jacqueline pour ces précisions que l’on n’a pas forcément en mémoire.
C’est vrai qu’il vaut mieux être rigoureux quand on choisit d’aborder un sujet historique même si on le présente plaisamment.
Il y a sûrement trop d’émissions de télévision qui traitent l’histoire avec beaucoup de désinvolture. On aimerait qu’il en soit différemment au théâtre.
Ceci dit, le spectacle est très agréable et on est heureux si ces quatre-là finissent par trouver un terrain d’entente sur un terrain de boules.
Commentaire de: Marie Louise Membre
J’ai beaucoup aimé ce spectacle de soleil. Une partie de pétanque sur scène, faut le faire. Et discuter en même temps de “choses” graves qui ont blessé et peuvent blesser encore, c’est plus difficile encore. Concilier le léger et le grave. Réconcilier. Bravo aux deux équipes de joueurs, un point partout, bravo au coach, bravo à l’inventeur de la situation et des dialogues.
La prochaine fois que je passerai près d’un terrain de pétanque je m’arrêterai pour écouter …
Commentaire de: Jo Rosse Visiteur
Un grand bravo à ces 4 Comédiens pour;
- l’excellence de leurs magnifiques interprétations
- l’émotion suscitée par le contenu des textes
- l’habilité des répliques en veillant à ne pas attiser les rancoeurs du passé
- la chaleur, la gouaille, et l’accent chantant qui ont illuminés les échanges
Une mention particulière pour Philippe Chyên, le magicien ou plutôt le chirurgien pour avoir imaginé et mise en scène ce spectacle
“historique” précis, habile et juste à la limite pour ne pas réveiller le climat de l’époque. Bravo l’Artiste
Ce spectacle s’élève au niveau de la partie de cartes de Marcel Pagnol et…de La famille Hernandez des années 65 avec Robert Castel et Sahuquet.
Commentaire de: Philippe Chuyen Visiteur
Merci Madame pour ces remarques historiques pertinentes, tout à fait justes et précises. Mais je pense que la vie est plus complexe que ça. Il est vrai que tel que Loule parle de son père, cela tendrait à faire penser que tous les communistes (et donc le PCF) soutenaient le FLN, donc les attentats, qu’ils les favorisaient même, notamment par l’argent collecté en France. Vous avez raison et je peux comprendre que cela gêne. Mais je voudrais attirer votre attention tout d’abord sur le fait que Loule ne cite jamais le PCF ; en fait il en veut profondément à ceux qui s’étaient engagés à cette époque, comme son père, qui sont les grands perdants de l’Histoire et qui précisément au moment de la situation de la pièce (c’est à dire en 1995) sont muets devant les massacres en Algérie et les attentats en France. Notez aussi que M. Blanc reprend Loule en lui disant que le procès qu’il fait n’est pas juste… ou bien quand il lui dit « vous devriez fier de lui d’avoir agi pour des idées… ». Il faut comprendre le ressentiment de Loule face au parcours de son paternel : il en souffre aussi pour la souffrance de sa mère et ses raisonnements parfois à l’emporte-pièce sont à charge, c’est aussi dans sa nature d’exagérer (il le dit d’ailleurs). Bref la vie est complexe, j’ai essayé d’en rendre compte dans ce contexte là et cette pièce qui n’est pas un cours d’histoire ou de sociologie (même si on peut le penser) se devait de rappeler le caractère foncièrement anticolonialiste des communistes pendant la guerre d’Algérie. J’ai pensé à des gens comme Maurice Audin, Henri Alleg, ou encore mon ami Paul Crauchet disparu il y a quelques années. J’ai préféré me référer à ces gens-là plutôt que ceux qui suivaient aveuglément les mots d’ordre du parti et que l’histoire n’a pas retenus. La question maintenant est de savoir si un communiste qui a eu ce parcours dissident a pu perdre la parole en 89, contredisant ainsi sa dissidence… Oui c’est une bonne question mais accordez moi le bénéfice du doute… Qui peut dire que cela n’a pu être possible ? Qui peut dire que la chute du mur n’a pas bouleversé des communistes qui n’étaient pas de « stricte obédience » pour les laisser eux aussi nus et abasourdis…. Il se trouve aussi que le thème du mutisme qui revient souvent dans la pièce (Camus, M. Blanc avec son père, la mère de Yaya avec son beau-frère harkis, etc…), facteur déterminant de cette mémoire problématique, la chute du mur me donnait une belle occasion de le remettre sur la table, afin de souligner une fois de plus le caractère absurde des idéologies et des croyances. Il se trouve aussi que j’ai vu de près un vieux communiste qui avait perdu la parole… Pour de bon.
En ce qui concerne le bleu de chine (dont je ne savais qu’on appelait veste Mao), il est toujours beaucoup porté à Marseille et ne s’est jamais démodé. Je connais beaucoup de personnes qui en ont toujours eu. On le voit beaucoup porter par des chibanis, des jeunes, et je n’ai pas voulu faire de référence à Mao à travers le personnage de Yaya, parce qu’il n’y avait pas de raison de le faire et que c’est un habit très populaire et courant dans le sud.
Voilà vous m’avez donné quand même un peu de matière à réflexion (et de travail !) et je vous en remercie.
Bien sincèrement et à bientôt peut être.
Philippe
Commentaire de: Jacqueline Chevallier Visiteur
Merci pour votre longue réponse qui permet d’approfondir la réflexion de tous. Je comprends parfaitement vos objections : les personnages de fiction ont leur complexité, leur épaisseur et leur existence propre. Mais en même temps, un personnage au théâtre (au cinéma ou dans un roman) est forcément un peu emblématique. C’est pourquoi je voulais relever ce qui me semblait être une ambigüité dans la pièce et rappeler une vérité historique : le parti communiste, en tant qu’organisation politique, n’a jamais approuvé les porteurs de valises. Après je comprends très bien que des gens qui ont soutenu le FNL d’une manière ou d’une autre dans les années 54-62, ou leurs enfants, puissent être amers en voyant l’évolution de l’Algérie dans les années 90. Fondamentalement et pour tout le monde, quel gâchis !
Pour ce qui est de la veste de coton de Yaya, ma foi, la mode n’est pas la même à Paris et à Marseille (au point que je me suis demandée où il avait bien pu la dégoter de nos jours), et disons que chez nous elle était beaucoup plus connotée.
Quoi qu’il en soit bravo pour ce spectacle qui allie si bien le grave et le plaisant.
Sans aucunement remettre en cause la qualité du spectacle que je voyais pour la deuxième fois avec le même intérêt et le même plaisir, il me semble nécessaire de souligner une erreur historique : le personnage de Loule, Provençal pur jus, porte lui aussi un poids de souffrance lié à la guerre d’Algérie parce que, dans son enfance, son père l’a abandonné en quelque sorte. Militant du Parti communiste français (PCF), son père a consacré toute sa vie à la défense des peuples opprimés, négligeant de ce fait femme et enfants. Entièrement dévoué à la cause, il n’était jamais présent au foyer familial, portant, est-il dit, des valises entre Paris et Marseille pour le compte du Front de libération nationale (FLN) algérien. De ce père absent, Loule dit encore que son monde s’est écroulé en 1989, en même temps que le mur de Berlin. Cette précision nous laisse entendre que ce personnage du père était un communiste de stricte obédience que rien n’avait ébranlé dans ses convictions, ni l’écrasement de la Hongrie en 1956, ni celui de la Tchécoslovaquie en 1968, ni les révélations sur le Goulag, rien… Or, si ce personnage milite en faveur du FLN, il ne peut le faire qu’en tant que dissident, car le parti communiste n’a jamais participé au mouvement de ce que l’on a appelé “les porteurs de valises".
Pour mémoire, le PCF a condamné les attentats du FLN du 1er novembre 1954 qui marquent le début de la guerre d’Algérie. Le PCF, en 1956, a voté les pouvoirs spéciaux au gouvernement du socialiste Guy Mollet pour poursuivre la guerre en Algérie. Jusqu’en 1957, le PCF a rejeté l’indépendance de l’Algérie : même après cette date, son mot d’ordre était “Paix en Algérie” plutôt que “Indépendance pour l’Algérie". Tout au long de la guerre d’Algérie, le PCF a exclu ceux de ses militants qui soutenaient le FLN, notamment “les porteurs de valises” dans le cadre du réseau Jeanson qui collectaient et transportaient fonds et faux papiers.
Je relèverai également un anachronisme. Dans la pièce, le personnage de Yaya porte une “veste mao". C’est un vêtement qui se portait beaucoup dans les années 70, mais plus du tout vingt ans plus tard (l’action se déroule en 1995). Au théâtre tout est signifiant et dans une pièce qui traite d’un sujet historique, il me semble important d’être rigoureux et précis.
En revanche, l’évolution de la famille de Loule est assez juste, notamment dans la région Provence-Côte d’Azur, du père militant du PCF au fils développant des idées proches de celles du Front national. Sans être systématique, bien sûr, ce processus cependant n’est pas rare.