Ouvrons le débat
Il y a eu des échéances électorales. La vie civique n’était alors que débats de journalistes et d’hommes politiques avisés. On y retrouvait toute la palette de l’art rhétorique, de la conversation de salon au duel tauromachique de l’arène du second tour. Puis il y a eu les manifestations de masse avec des gens dans la rue, des cris et des slogans hurlés dans la haine partagée. Dans un brouillard lacrymal irritant, des gens jaune fluo se faisaient cibles de prédilection pour les viseurs des policiers. Puis il y a eu le « Grand Débat » avec son lot de têtes blanches, de tables et de tréteaux, mobilisant les derniers croyants dans la magie de l’agora et dans la puissance de la palabre. Puis il y a eu les grands discours présidentiels, les conférences de presse, les promesses de communications et la communication des promesses. Puis il y a eu les vacances. Et puis, ça recommence. Pour la rentrée on prévoit des débats sur la retraite, sur les salaires et sur les impôts.
On se concerte pour des formes innovantes de concertations. On se prend aux mots dans les jeux des prises de parole. Les tables rondes sont ovales. Les tours de France ramènent des retours de France profonde. Mais en ultime recours, on compte sur l’expertise des élites. Enfin, bientôt des élections vont rouvrir le débat. On ne sait plus ce qu’on twitte. On bafouille des mails en oubliant ses SMS. On ne sait même plus ce qu’est une « bafouille ». Quand on écrit une lettre, on pense qu’on n’a le choix qu’entre les 26 de l’alphabet. Alors, il ne faut pas s’étonner qu’il y en ait qui se taisent. Toujours les mêmes, celles qui n’écoutent plus. Pas le temps de lire. Pas le temps de vivre. Elles écoutent de la musique, chantonnent des chansons d’hier ou se saoulent à des rythmes d’aujourd’hui. Elles n’écoutent plus, puisqu’on ne les écoute pas. Et puis la peur, ça fait taire. On ne va pas en plus se faire repérer. La peur, ça fatigue aussi. Alors parler, à quoi ça sert d’en rajouter ? Elles regardent les hommes se perdre de rage, dans les tourbillons désespérés de leurs combats brutaux. Il en meurt des hommes, sur les routes, sur les trottoirs, sous les coups des hommes, sous les balles des hommes, sous les bombes des hommes. Elles, elles meurent dans la nuit, usées d’avoir tant fui, tant esquivé les coups des hommes, fatiguées de la vie, sur leur brancard aux urgences, sur leur lit sale d’EHPAD ou sur le lit vide de leur chambre dont elles ont passé leur vie à changer les draps. Et ça, ce sont les chanceuses ! Il y a les autres qui meurent à la sortie de l’école, en bas de l’immeuble sur le trottoir, sur le carrelage de la cuisine, sur la moquette devenue rouge de leur propre sang, sous les coups de l’homme qu’elles avaient cru aimer. Alors là, c’est un problème majeur, un vrai problème d’État, un urgent sujet d’étude sociologique, un souci primordial nécessitant une grande campagne nationale. Si on faisait un Grenelle sur les violences conjugales ? Il faut ouvrir le débat.
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