Des nouvelles de notre festival
Ma chère amie,
Vous n'imaginez pas comme je me désole que vous soyez malencontreusement éloignée de Coye-la-Forêt, juste en ce moment, alors que se déroule, en cette saison d'automne, notre festival théâtral habituellement printanier.
Vous m'en demandiez des nouvelles. Comme les autres années, nous y allons tous les soirs afin de ne surtout pas manquer la pièce qu'il faut avoir vue. Il n'y a rien qui me contrarierait plus que de m'entendre dire : « Ah ! quel dommage vous n'avez pas vu ça, c'était assurément le plus beau spectacle du festival cette année. » Par exemple, j'aurais été dépitée si je n'avais vu "Dans la peau de Cyrano" la semaine dernière ; tout comme les années précédentes j'ai pu être éblouie par le jeune batteur plein de fougue qui jouait "La vie sur mesure" ou " L'apprentie sage-femme" dont la comédienne qui jouait le rôle manifestait une joie si communicative. Je cite ceux-là, mais je pourrais en donner quantité d'autres qui, au fil des ans, nous ont enthousiasmés. Ainsi, nous voyons tous les spectacles, histoire de ne rien manquer, et je dois dire qu'il est très rare que nous soyons déçus, car la programmation fait preuve d'exigence et les spectacles sont de qualité.
L'autre soir, une surprise ! Madame Muir était précisément aux prises avec un fantôme dans une maison hantée. C'était un tantinet suranné, et même totalement improbable en ce lieu, au point que c'en était presque drôle. Nous en avons ri en sortant. Certes le propos se voulait féministe, s'agissant d'une femme qui revendique son indépendance et ne veut plus se laisser dicter sa conduite par les hommes. On ne pouvait qu'applaudir à cette revendication qui résonnait assez bien avec l'actualité ; mais le propos est une chose, le traitement en est une autre. La troupe ne s'embarrassait pas d'accessoires, ayant déjà bien à faire à déplacer les meubles dans le noir chaque fois que l'action était censée se dérouler dans un autre lieu. Les tasses en porcelaine ne risquaient pas d'être cassées lors de ces transports multiples, non plus que la théière : les gestes étaient mimés, depuis la consultation des documents chez le notaire jusqu'à l'ouverture de la fenêtre. On a juste vu apparaître, très concrètement, une liasse de papier blanc et un appareil photographique, on ne sait trop pourquoi, peut-être pour signifier qu'il s'agissait de la passion respective des deux personnages qui les maniaient. Il m'a semblé entendre un cliquetis de machine à écrire tandis que Madame Muir faisait mine de tremper une plume dans un encrier. Il n'y avait pas de décor non plus. Je sais bien que le spectateur doit faire un effort, je veux bien imaginer un jardin verdoyant à la place de tous ces rideaux noirs, mais en l'occurrence, comment vous dire ?, ça donnait une impression de pauvreté. Il est vrai que cette charmante Madame Muir vivait chichement, au point d’avoir congédié sa très dévouée domestique. Le budget consacré aux costumes en revanche devait être assez conséquent car nous avons eu droit à un beau défilé de toilettes, de bonne qualité, très seyantes, pour le jour et la nuit, la ville et l'intérieur, les dessus et les dessous. Dans cette mise en scène conventionnelle, seule l'action de monter et descendre l'escalier en colimaçon – lequel était délimité par un rond de lumière au sol – faisait preuve d'un peu d'inventivité. Je vais vous sembler bien sévère. Ne croyez pas cela ! Non, très sincèrement, les costumes de tous les personnages étaient beaux et les acteurs, qui pour certains jouaient plusieurs rôles, le faisaient avec discernement, conviction et subtilité. Nous nous sommes divertis, mais c'était une surprise assurément de trouver ici – où se montent souvent des spectacles jeunes, qui bousculent et chahutent – un théâtre un peu vieillot tel qu'on pouvait le concevoir au siècle dernier. Vous l'aurez compris, nous n'avions pas affaire à la pointe de l'avant-garde théâtrale. Mais nous-mêmes, ma chère amie, ne sommes-nous pas un peu dépassées dans notre manière d'écrire ?
Le lendemain, avec "Pour le meilleur et pour le dire", nous avons continué dans le genre du théâtre que je dirai "bourgeois", c'est-à-dire conformiste et traditionnel dans son mode de représentation, mais cette fois-ci c'était dans la plus pure tradition du théâtre de boulevard, avec intrigues, quiproquos, bons mots, entrées-sorties et "happy-end", comme disent nos voisins d'Outre-manche. C'était alerte, enlevé, drôle. Le dispositif scénique était assez laid, mais astucieux et efficace. Là aussi nous avons assisté à un défilé de mode, le personnage de la psychanalyste, notamment, avait une belle collection de pull-overs. Au moment des applaudissements, une musique entraînante, bien scandée, était diffusée dans la salle, pour nous inviter à frapper en chœur et en mesure. Vous me connaissez suffisamment pour deviner que je trouve le procédé manipulatoire. Dès que j'en ai pris conscience, je me suis arrêtée de taper dans les mains. Mais la foule était enthousiaste. En sortant, une spectatrice, fidèle de la première heure, me souffle : « Le festival change.» Mon mari répond : « Allez, il ne faut pas bouder son plaisir.» Certes, certes... mais il n'y a aucun doute que jamais ce genre de pièce n'aurait été programmé il y a quelques années. Que dire ? Nous sommes un samedi soir, la salle est pleine et le monde rit de bon cœur. Je veux bien croire qu'il n'est pas facile de naviguer entre élitisme et démagogie et d'éviter les écueils d'un côté comme de l'autre. Oh ! mais voilà que j'emploie de bien grands mots ! Pardonnez-moi, je ne veux pas vous assommer avec mes réflexions.
Voilà, chère amie, quelques échos de notre festival qui, cette année se poursuit une semaine encore afin de rattraper nos deux printemps de privation. Ce n'est pas tout à fait comme d'habitude, la nuit est tombée quand nous nous y rendons, il commence à faire fais. Arrivés au centre culturel, il nous faut passer toutes sortes de barrières : à l'entrée, une armée de bénévoles manie des petits engins noirs qui clignotent et examine avec cet instrument mystérieux des petits dessins noirs et blancs, mystérieux eux aussi, qui indiquent, paraît-il, que nous avons accompli toutes les formalités nécessaires pour être autorisés à entrer dans la salle. Je crois vraiment qu'ils s'amusent avec leurs petits joujoux, car franchement, au bout de quinze jours, ils nous connaissent et ils savent bien que nous sommes en règle. Nous nous prêtons au petit jeu sans bien comprendre, mais sans rechigner non plus, ayant bien conscience que c'est une chance absolument extraordinaire d'avoir ce festival dans notre modeste village.
Je vous adresse mes meilleures pensées et espère que la prochaine fois, c'est à dire en mai prochain, vous pourrez vous joindre à nous pour goûter chaque jour le plaisir renouvelé du "spectacle vivant", comme ils disent.
Bien à vous,
Mathurine
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