LA TROUÉE, road-trip rural
De et par Cécile Morelle
Mise en scène : Cécile Morelle, Chloé Duong, Edouard Pleurichard
Cie Le Compost
A notre entrée la terre est là, sur le plateau. Un beau tas, d'une terre bien brune. Ce n'est pas un décor, ni un accessoire.
Elle est là pour être empoignée, étreinte, creusée, projetée, pelletée. Elle est le matériau dans lequel on s'enfouira - Cécile, et nous avec elle - pour retourner vers l'enfance, le pays, le coin, la route, le chemin qui ne s'oublie pas. Elle est notre héritage, ce qu'on emporte, ce qu'on garde avec soin ou ce qu'on traîne lourd comme un fardeau. Elle est la glaise dont on a été fabriqué.
Et c'est avec elle qu'on vit pendant une heure et demie de représentation.
Pour l'empoigner il faut de la force, des ressources. Il faut l'énergie et le talent de Cécile Morelle. Car enfin, elle a d'abord enquêté dans les campagnes, les fermes, les plaines de Picardie, elle a parlé aux femmes qui y ont fait ou y font encore leur vie, elle s'est souvenue de sa grand-mère Madeleine, tout entière dans sa tâche d'éleveuse, de fermière, d'agricultrice comme on voudra dire.
De ces témoignages de vie, elle a fait le socle de son écriture. Elle s'y appuie pour jouer. Il est suffisamment solide pour maintenir debout ses personnages. Son amie Éloïse dans sa cuisine moderne avec hotte et lambris de pin, Ciara l'Italienne qui étend les couches du bébé au soleil, les chasseurs qui lui crachent au visage, le pépé qui marmonne, pisse et crache, maltraite Madeleine, la grand-mère qui travaille du matin au soir, dans sa blouse toujours la même. Première pour la traite, pour retourner la terre, pour nourrir, porter les seaux, faire des enfants, planter, bêcher....
Oublié, notre centre culturel bien propret. On est avec Cécile sur le plateau plein de terre.
Pas de misérabilisme ni d'apitoiement. Juste une force à l'œuvre. Un entrain, une voix qui transportent. Des surprises aussi, joyeuses et poétiques, comme les lignes de terre sur un tableau blanc qui dessinent la plaine immense de Picardie...
Exceptionnelle, cette soirée... Je m'en souviendrai.
Il y a des années parfois qui nous font cadeau d'un spectacle, d'un comédien ou d'une comédienne. Ils deviennent les repères dans le long parcours de 43 ans de Festival. Cette Trouée dans la terre de l'enfance en sera un, comme le sont encore pour moi la soirée Buster Keaton, avec Yves Prin au piano, si je me souviens bien, les Cavaliers d’Eric Bouvron, Le Porteur d’histoires d’Alexis Michalik, L’apprentie sage-femme avec l’inoubliable Nathalie Bécu, le Misanthrope (vs Politique) de Claire Guyot… Les autres, je ne les oublierai pas bien sûr.
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2 commentaires
Commentaire de: Jacqueline Chevallier Visiteur
Commentaire de: Anonyma Visiteur
J’ai trouvé limite grossier que, sans leur permission, elle colle son micro sous le nez des gens qui allaient être entendus par 250 personnes, en leur demandant d’évoquer quelque chose de plutôt intime (un son, une odeur).
Il faut savoir que ce qu’elle nous raconte se passe actuellement puisqu’elle a un GPS.
S’il est vrai qu’à une certaine époque les paysans étaient des gens hors de la société (je sais de quoi je parle, ma famille était des fermiers normands et je peux dire que mes cousines étaient vraiment des jeunes-filles loin de toute vie moderne) de nos jours, ils n’ont rien à envier aux citadins.
Quand elle parle de ses grands-parents, on peut imaginer que ce sont des gens qui ont 75 ou 80 ans
Je suis persuadée qu’elle force le trait.
Marie-Louise, soyons honnête ! Une bonne partie des spectacles que l’on voit au festival ou ailleurs, on les oublie – plus ou moins vite – quel que soit le plaisir qu’on a pu prendre sur le moment. Maisje suis d’accord, certains marquent définitivement. Chacun conserve en mémoire ses pépites et ce ne sont pas les mêmes pour tout le monde : pour moi par exemple Une vie sur mesure, À la ligne, pour les pièces les plus récentes, et également, c’est vrai Le porteur d’histoire et L’apprentie sage-femme, ou, il y a longtemps Saudade, terres d’eau et il y a plus longtemps encore Ay Carmela !.. De nombreuses autres, bien sûr. Mais j’avoue que La trouée ne fera pas partie de mes inoubliables, ou alors de façon négative.
Il s’agissait d’évoquer le monde paysan, et tout particulièrement la campagne picarde. Cécile Morelle le fait avec talent, on ne peut pas dire le contraire ! À la ferme on n’est pas dans le virtuel, mais bel et bien dans le concret, dans les sensations, les bruits, les odeurs, les matières. C’est ce que restitue très bien la comédienne : les corps sont présents, ils ont de l’épaisseur, ils sont bien réels, car la campagne c’est tout ça, les crachats du grand-père, le sang qui dégoutte du lapin, la sueur, l’urine, la boue et la bouse, la terre et la crasse.
La comédienne incarne des personnages hauts en couleur et elle donne à voir et à ressentir ce monde-là, avec une énergie joyeuse et quelque peu provocatrice vis-à-vis de son public bourgeois, bien policé, qui a rompu avec la paysannerie depuis une, deux, trois ou quatre générations. Quelque part elle dérange, si l’on en juge par les réactions du public chaque fois qu’elle crache ou qu’elle se barbouille avec de la terre. Et sur le principe, je trouve que c’est plutôt bien d’être dérangé. Pourtant quelque chose me gêne dans ce spectacle. C’est difficile de dire quoi.
La comédienne intervieweuse a le mérite de faire remonter à la surface des souvenirs de l’enfance, des sensations lointaines. Je me souviens de mes vacances chez mes grands-parents en Haute-Savoie, quand nous allions, comme on dit là-bas, « en champ les vaches», et je rentrais à la maison le maillot imprégné de l’odeur de l’étable. Je me souviens des Trappier et de tous les gamins qui accouraient quand ils entendaient ce bruit si caractéristique : « La batteuse ! la batteuse ! » : c’était un vrai spectacle, cette grosse carcasse de bois qui tressaillait de toute part avec les grandes courroies de cuir qui claquaient, le grain qui coulait dans les sacs de jute, les hommes en maillot de corps bleu marine, la poussière par là-dessus et la grange en hauteur qui avalait les ballots de paille. Je me souviens des Revennaz, j’étais petite fille, le père me prenait sur ses genoux et me faisait goûter la tomme. L’étable jouxtait la cuisine, les bêtes réchauffaient les hommes. Je me souviens des Jacquet chez qui nous allions avec notre bidon chercher le lait tous les soirs. J’ai connu les paysans dans les années 50. J’en ai connu d’autres plus tard, quand dans les années 70, j’ai travaillé comme saisonnière, en Bourgogne, en Auvergne, dans le Tricastin ou en Gascogne.
Pour ce que je connais personnellement de la paysannerie, pour ce que nous en montrent des cinéastes comme Raymond Depardon justement – puisque Cécile Morelle y fait référence – ou Gilles Perret (La ferme des Bertrand), j’ai l’impression désagréable que les personnages que nous présente la comédienne sont caricaturaux. Et surtout j’ai le sentiment désagréable qu’ils manquent de dignité.
C’est quelque peu abrupt et sans doute injuste de dire les choses ainsi et je veux bien reconnaître que ma critique est très subjective. Elle est dictée par mes goûts personnels : il se trouve que je n’aime pas le comique grimacier. Je n’aime ni Louis de Funès ni Jerry Lewis (je préfère Buster Keaton !). Cécile Morelle , dont je ne nie pas les talents multiples et l’inventivité, pratique un humour grinçant que je ressens comme irrespectueux, ce dont elle se défendra, car je ne doute pas de sa sympathie et même de son affection pour ces gens-là. Mais ce qui compte lorsqu’on présente un spectacle ce ne sont pas les sentiments et les intentions des artistes mais ce que perçoivent les spectateurs. Suis-je vraiment la seule à m’être sentie mal à l’aise tout au long de cette soirée ?