DÉTOURS ET AUTRES DIGRESSIONS
Texte, mise en scène, conception et jeu : Eve Bonfanti et Yves Hunstad
Je ne suis ni écrivain, ni écrivaine, mais j'ai l'audace de bien m'installer pour écrire. Me voici dans mon fauteuil rouge attendant la comète qui déclenchera l'inspiration. Elle est parfois longue à venir. Travail très pénible car les relectures provoquent des angoisses : est-ce que ce mot convient ? Est-ce que cette phrase est bien placée, bien construite, utile, un peu molle, mélo...? Je n'ai plus d'idées...je reprendrai ce soir…etc.
Pause, je revois Eve Bonfanti et Yves Hunstad hier soir sur le plateau aux prises avec l'inquiétude de la représentation et des imprévus qu’elle génère.
Au début, je me sentais un peu angoissée en voyant les deux comédiens hésiter, s'arrêter, se parler à voir basse, s'interrompre. La lumière était encore dans la salle. Que se passait-il? Avaient-ils des "trous"? Est-ce qu'on allait dans le mur avec eux? Bientôt on nous dirait de rentrer chez nous...
Mais non, c'était "pour de faux". Ah! Quel soulagement ! On pouvait donc rire librement, le faux était du vrai. Le faux était le spectacle que nous venions voir ce soir. Alors peu à peu on s'est envolés avec jubilation dans les méandres de l'imagination à l’œuvre pour la création d’un spectacle, d’un livre, d’une pièce de théâtre… On a joué le jeu, voyagé entre représentation – avec apparition du personnage dans les nuages, ou du chien invisible qui mange du sucre en poudre sur le tapis – et balbutiements de deux comédiens qui répètent ou plutôt qui tentent de répéter. Des comédiens vraiment pas sûrs d'eux, interrompus par le téléphone, qui pour un oui ou pour un non changent de direction, décident de jouer la scène 8 avant la scène 5, qui se trompent de page – Fred le régisseur est affolé –, ou modifient le scénario.
Magnifique voyage sur un fil, allers et retours incessants entre les comédiens et leurs personnages. Quand représentent-ils des personnages, quand se représentent-ils eux-mêmes en train de jouer leurs personnages ?
La traversée par les « détours et digressions » se fait dans et par le rire. Il s'entend aux quatre coins dans toute la salle et s’épanouit pendant plus d’une heure. Amusant, d’ailleurs, d’entendre la variété des rires… du gloussement à l’éclat en passant par l’étouffé. Nous rions librement, sans frein, des comédiens, de leurs erreurs, de leurs (fausses) hésitations de débutants et de leurs maladresses, des jeux de langages, quiproquos, jeux de mots subtils, qui n’ont l’air de rien et qui pourraient passer inaperçus tant ils sont discrets.
Les spectateurs n’ont pas été discrets dans leurs applaudissements, un tonnerre qui n’en finissait pas de rouler, et les rires qui se poursuivaient, les sourires sur les visages qui gardaient encore l’empreinte de la fête en quittant la salle. Heureuse soirée…
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2 commentaires
Commentaire de: Jacqueline Chevallier Visiteur
Commentaire de: Marie-Louise Visiteur
Je lis maintenant le petit livre vendu à la librairie du Festival, aux éditions Esperluète, dont le titre est "accueillir l’inattendu", de Eve Bonfanti et Yves Hunstadt (les comédiens). C’est passionnant, car on y trouve un éclairage sur la pièce que nous avons vue et sur la manière dont ils conçoivent le jeu de l’acteur. :
"…on fait émerger, dans ce qu’on joue sur scène, le texte comme s’il n’était pas écrit. En jouant, on montre qu’on est surpris de ce qui arrive, qu’on est fragile, qu’on se trompe…alors que c’était prévu qu’on se trompe dans le texte.
Mais on garde la fragilité qu’on a, celle qui est le fait d’être une actrice et un acteur en conception."
Ils étaient épatants tous les deux , la comédienne surtout était d’un naturel incroyable. Et c’est un humour sain – aucune bassesse, aucune raillerie, aucune méchanceté, mais des jeux de mots subtils ("non je ne vous vois pas, c’est difficile de dire cela quand on se vouvoie"), des situations loufoques, de l’absurde ( c’est trop drôle la machine à fumée qui se remet régulièrement en marche – d’une façon générale elle a beaucoup fonctionné pendant tout le festival !) Comme chez Raymond Devos, tout le monde ne rit pas au même moment, le temps qu’on comprenne, on est déjà passé à autre chose, parce que les plaisanteries verbales ou visuelles se succèdent allègrement, et puis on n’est pas tous sensible aux mêmes choses.
Un grand moment de plaisir gratuit, je veux dire du plaisir pour le plaisir.
en conclusion : j’adore l’humour des Belges (il y avait déjà eu l’histoire des cow-boys il y a quelques années que j’avais trouvée désopilante)