Vanitas vanitatum et omnia vanitas
Décidément j'aime bien l'humour des Belges !
Mercredi, Philémon Vanorlé (déjà rien que ce prénom, Philémon, à nous emmener rêver sur le A, ou plus exactement sur le Y) nous racontait l'histoire parfaitement inimaginable d'une rencontre entre deux folies, celle d'un plasticien qui fabrique un cercueil bizarroïde dont il ne sait que faire et celle d'un collectionneur de véhicules utilitaires qui retape un vieux corbillard hors d'usage. Et que cette rencontre se fasse à l'endroit le plus invraisemblable – et le plus prosaïque – qui soit, à savoir sur "Le bon coin", voilà qui relève quasiment du fantastique ! Une histoire pareille, on l'inventerait, on n'y croirait pas !
J'ai trouvé très drôle l'histoire en elle-même et cette réflexion d'abord sur les sépultures et leur vanité, ensuite sur l'art contemporain, et son inanité souvent : Qu'est-ce qu'une œuvre d'art ? Une œuvre n'est rien si on n'en parle pas, et à l'inverse l'objet le plus trivial devient œuvre d'art dès lors que par le discours on l'érige à ce rang. cf. Duchamp. L'art moderne ne vit que du battage qu'on fait autour des "œuvres". Il est clair que Philémon aimerait bien acquérir la notoriété de Marcel.
Tout est drôle, décalé, subtil dans le propos : déjà pour commencer se présenter en bermuda pour faire une conférence, c'est pour le moins insolite ; rester immobile en silence, quasiment en méditation, au lieu de rechercher tout le temps l'agitation, voilà qui est paradoxal quand précisément on démontre que c'est l'excitation des médias qui fait émerger l'œuvre. Était carrément hilarant l'accouplement improbable du cercueil en Y de Philémon Vanorlé et celui de Madame Récamier imaginé par Magritte, ce qui place l'ensemble du spectacle sous le signe du surréalisme.
Le plus étrange dans ce spectacle, c'est qu'il est impossible de savoir si l'artiste, là devant nous, prend lui-même son discours au sérieux, puisqu'il est précisément en train de nous démontrer la vanité du monde de l'art moderne, qui parle pour ne rien dire alors qu'il faudrait savoir se taire.
À la sortie, j'entends quelqu'un protester : « Ce n'est pas vraiment du théâtre » ou peut-être même « ce n'est vraiment pas du théâtre ! ». Et voilà que "ça", ce à quoi nous venons d'assister, pose une autre question : qu'est-ce que le théâtre ? Le fait que quelqu'un de vivant vienne devant nous, sur une scène, nous raconter une histoire – une histoire qui nous amuse, qui nous émeut, qui nous fait réfléchir, ou tout aussi bien qui nous ennuie à mourir – est-ce que cela suffit à faire du théâtre ? Le théâtre est éminemment divers, ce festival le démontre abondamment, car d'un jour au lendemain on assiste à des spectacles tous très différents et souvent inclassables. En quoi et pourquoi « L'échappée » serait moins (ou tout autant ?) du théâtre que « Shahada », par exemple ? Est-ce que le spectateur n'est pas coparticipant de la construction du spectacle ? N'y met-il pas beaucoup de lui-même ? On me demande : pourquoi l'acteur se promène-t-il autour de la scène avec sa valise à roulette, ça n'a aucun sens ! À quoi je réponds : pourquoi chercher un sens puisque tout cela est absurde ? Ou alors, si le non-sens est trop insupportable, le sens, il faut le chercher en soi-même. Car enfin quel est le sens de la vie ? La vie a-t-elle un autre sens que celui que chacun lui donne ? Et la mort alors ?
Subsidiairement : Sans doute l'artiste n'a-t-il pas connu mai 68 à Paris ; tous les jours de nouvelles affiches de sérigraphie par pochoir sortaient de l'atelier populaire de l'école nationale des beaux-arts. Certains se souviennent de la première, représentant De Gaulle levant les bras au ciel avec cette mention : « La chienlit, c'est lui ! » (https://histoire-image.org/etudes/mai-1968-antigaullisme). Plusieurs mois plus tard, en novembre 70, un autre dessin humoristique a été placardé sur les murs : il représentait un cercueil en forme de Y, avec les employés des pompes funèbres pestant de ne pouvoir le faire passer entre les colonnes du Panthéon et s'écriant : « Il nous aura emmerdés jusqu'au bout ! »
Ainsi , n'en déplaise à Philémon Vanorlé, ce n'est pas lui qui a inventé le cercueil en Y. Il reste à réaliser celui en forme de X où le mort aura les deux bras et les deux jambes écartés. Pour y enfermer l'homme de Vitruve, peut-être ?
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