ESCURIAL, MACABRE FESTIVAL
Dans un décor d’une qualité rarement vue à Coye la forêt, le spectateur est bientôt happé par ces langues de brume froide, qui traversent les hautes fenêtres et les croisées d’ogives, cependant que vaguent dans l’ombre d’incertains capuchons. La morbide poésie du texte s’insinue comme une moisissure, entêtante comme une mélopée de cimetière.
Un roi et son bouffon se cherchent, se défient, avec des postures de chats teigneux, des sourires qui se décomposent en rictus haineux. Farce grotesque, bal des Lazes macabre, où la bouffonnerie se fait acide, grinçante comme une girouette rouillée par un soir de novembre.
Nous assistons impuissants à une double mise à mort. La reine se meurt. Et voilà que du fond des ténèbres le spectre rouge du bourreau émerge et s’avance, gigantesque et terrifiant – « Après la farce, la tragédie ». Autre festin de pierre, autre statue du Commandeur…
Moyen Age ? Escurial évoque surtout un shéol tourmenté, à la manière d’un Goya. Un lieu de tourments hors du temps, traversé de cris et de ricanements, sorti tout droit de l’imagination du belge Michel de Ghelderode, alias Adhémar Adolphe Louis Martens, et servi par la mise en scène pince-sans-rire de Christophe Guétat, sous les éclairages d’une précision diabolique de Ludovic Charasse.
Le temps, tout comme les perspectives du décor, subit au cours de cette étrange soirée de bien curieuses distorsions. Pas une seconde Escurial ne desserre son étreinte sur nous, pas une seconde l’ennui ne nous gagne, et pourtant, lorsque la pièce prend fin au bout d’une heure, on en sort avec l’impression déconcertante qu’elle a duré bien plus longtemps. Une éternité d’enfer.
Sortie de spectacle
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Quel spectacle étonnant! J’y allais à reculons, il faut dire, après avoir lu la présentation du programme où les mots “chair de poule, ossements, moines, palais en ruine, fantômes” m’avaient un peu refroidie. Heureusement il y avait aussi “esthétique sonore et visuelle splendide". J’ai donc franchi le pas et je me suis retrouvée hors du temps, hors du monde, ailleurs… C’est rare. Les éclairages, la musique, le décor, la voix presque monocorde des moines, ces marionnettes à crâne d’animal, tout cela enveloppe la fable d’une aura magique. Et curieusement, j’ai quitté la salle, non pas désespérée par la fin tragique du conte et par cette ambiance macabre, mais éblouie par ce court séjour dans l’illusion pure. Il est dommage que si peu d’amis du festival aient osé venir au théâtre ce soir-là. Ils ont réellement manqué quelque chose.