Soirée du 16 octobre 2010 à la bibliothèque

Habituellement, c’est le silence. Silence de la bibliothèque, puis silence de la pièce où nous lisons. Dans le silence les mots des livres viennent à nous par le regard. Ce soir-là, les mots sont venus à nous avec toute la puissance de leurs sonorités. Expérience réjouissante, où le lecteur doit donc, pour trouver le sens et la beauté d’une phrase, se livrer entièrement aux sons qu’il entend.
Pour écouter les mots, sur le thème de l’identité féminine à travers la littérature, nous étions rassemblés par Agnès Bouchard dans la petite salle de la bibliothèque, autour de trois « liseurs » : Eva Cendors et Thierry Charpiot, comédiens, Perrine Virgitti, conteuse. Des voix et des registres variés pour des textes - graves, émouvants, drôles ou poétiques - qui dessinent des portraits de femmes

Eva Cendors ouvre la soirée sur un extrait de Engeland, le dernier roman de Pierre Cendors. La comédienne est belle, jeune, et sa voix au léger accent slave dit sa passion pour les mots. Vibrante, elle suit la quête solitaire d’une photographe, Fausta, qui marche vers les étendues glacées des pays du nord. Sensuelle, elle dit le désir dans « L’amant » de Marguerite Duras ; dans « Visages », de Thierry Panchaud, elle devient le cri de la femme terroriste dont l’enfermement est une torture.

Seule voix masculine pour parler des femmes, Thierry Charpiot aime jouer la comédie et il ne s’en prive pas. Le visage est animé, le regard bleu va et vient et nous capte. L’œil parfois rieur, il prête sa voix à Jean-Paul Sartre dans son analyse de la « mauvaise foi », celle de la femme coquette qui se laisse courtiser et n’en assume pas les conséquences. Avec pudeur, gravité, sachant ménager des silences, il devient le conteur qui captive son auditoire par le récit du destin de la mère Clochette, pauvre couturière qui boitait « comme un navire à l’ancre » et dont Maupassant écrit le tragique sacrifice.

La soirée s’est gaiement terminée avec un conte de Mark Twain, « L’infortuné fiancé d’Aurélia » dont Perrine Virgitti a eu l’art de révéler tout l’humour… un peu noir ! Perrine aime raconter des histoires, elle savoure et fait savourer  toutes les finesses d’un portrait ou la cocasserie d’une situation comme celle d’Aurélia, désemparée par un fiancé maladroit – ou adroit ? – que décidément elle ne parvient pas à épouser tant les accidents qu’il subit, ou provoque, remettent le mariage aux calendes. La voix est ronde et sait aussi bien souligner le cocasse que dire avec émotion la tristesse d’une vie, celle de Lisette, par exemple, dans « L’élégance du hérisson », partie vers les mirages de la ville et revenue dans sa campagne désolée pour y mourir.

Ces lectures ont été agréablement prolongées par un moment musical : Eva Cendors s’accompagnait à la guitare pour chanter en tchèque une de ses compositions : « Chanson de la femme ». Des conversations ont suivi, à bâtons rompus, le public étant curieux  de savoir les références des textes lus et d’échanger avec les deux auteurs présents, Pierre Cendors et Thierry Panchaud. Du monologue de théâtre contemporain aux contes du XIX° siècle, les amateurs de lecture ont été excellemment servis.