Vidéosurveillance : ce n’est pas parce que les caméras ne servent à rien qu’il ne faut pas en rajouter
Un article de Jean-Marc Manach, publié le 20.12.2011 sur le site Bug Brother, nous livre de nouveaux éléments d'évaluation provenant de la chambre régionale des comptes sur les coûts et sur l'efficacité de la vidéosurveillance à Toulon; de quoi relancer le débat dans notre village après la décision, votée à une écrasante majorité lors du conseil municipal du vendredi 25 novembre, de mettre en place la « vidéoprotection » à Coye-la-Forêt.
Si les caméras de vidéosurveillance ne servent presque à rien et ne permettent que rarement d'identifier ou d'interpeller des suspects, elles n'en déportent pas moins la délinquance vers d'autres zones, non vidéosurveillées. Résultat : les habitants de ces zones non couvertes par les caméras développent un sentiment d'insécurité et… réclament des caméras.
rave;me, fort de 34 caméras, d'un mur de 19 écrans de visualisation et de 2 pupitres de commande pour télécommander les caméras, est piloté par trois "brigadiers chefs principaux" rémunérés 90 000 € ("hors charges patronales et salariale"). Entre 2003 et 2009, le système a d'ores et déjà coûté 1,3 million d'euros, hors frais de réparation, "dont le montant n’a pas été communiqué par la collectivité", à quoi il convient de rajouter les 129 000 € qu'ont coûté, l'an passé, le raccordement du système à la police nationale.
Au vu de l'investissement, on serait en droit d'attendre de la municipalité, et des policiers, qu'ils démontrent l'efficacité du dispositif. Raté : "La collectivité ne dispose pas actuellement d’outils dédiés lui permettant de quantifier l’impact de la vidéosurveillance sur l’évolution de la délinquance" constate, dépitée, la chambre régionale des comptes, qui note également que, en 6 ans, "aucune étude n’a été réalisée sur ce sujet". Le rapport n'en contient pas moins quelques chiffres qu'il serait dommage de ne pas documenter :
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Les infractions en flagrant délit opérées par la police municipale grâce à la vidéoprotection sont assez réduites (15 entre 2005 et 2009). La police municipale de Toulon ne dispose pas de statistiques relatives aux interventions en flagrant délit opérées par la police nationale et les réquisitions émanant des forces de sécurité de l’Etat étaient jusqu’à récemment assez réduites (27 réquisitions entre 2005 et 2008 et une dizaine en 2009). La collectivité constate un nombre plutôt limité de flagrants délits observés directement sur les enregistrements. Résumons donc : 34 caméras, 15 flagrants délits, une quarantaine de réquisitions… les caméras ont donc, en moyenne, été utiles... (55/5/34=) 0,32 fois, par an.
A Nice, au moins, la police fait l'effort de comptabiliser le nombre de personnes arrêtées grâce à ses 624 caméras; ce qui a permis de découvrir qu'elles permettaient, en moyenne, 0,34 interpellations, par caméra, et par an.
Plus récemment, Christian Estrosi a lui-même déclaré sur Twitter, que 500 personnes avaient été interpellé, grâce aux 624 caméras, soit 0,8 personnes, par an, et par caméra. Mais le pire est à venir, et est à chercher du côté des habitants des quartiers de Toulon qui ne sont pas couverts par le dispositif, et dont les représentants font "remonter dans les comités d’intérêt local une augmentation de leur sentiment d’insécurité du fait de la délocalisation de la délinquance vers les zones hors couverture" : Il s’en suit un accroissement régulier des demandes d’installation de nouvelles caméras. Résultat : alors que rien n'indique formellement l'efficacité des caméras, que les maigres statistiques disponibles permettent, a contrario, d'estimer que l'argent public gagnerait probablement à être mieux dépensé, Toulon a décidé de se doter de 90 caméras supplémentaires. Le pire, c'est qu'avec 124 caméras, le taux d'efficacité des caméras ne s'en trouvera que… forcément diminué.
Voir également la très jolie "Une" qu'a récemment consacré OWNI à ces petits villages qui, à l'instar de Baudinard-sur-Verdon (155 habitants, 12 caméras), achètent eux aussi des systèmes de vidéosurveillance, quitte à y consacrer 20% de leur budget, à en installer pour surveiller des... lacs, ou encore à se doter de... fausses caméras. Ou encore ce palmarès des villes sous vidéosurveillance, où l'on découvre que 17 des 23 caméras d'Aulnay sont en panne, ou encore que certaines municipalités vont jusqu'à installer de fausses caméras : elles ne coûtent pas un bras, et les gens ont l'impression d'être protégés. Comme, de toute façon, les caméras ne servent quasiment à rien...
En attendant, il en va aussi de la crédibilité de Nicolas Sarkozy, et du ministère de l'Intérieur : en 2007, Michèle Alliot-Marie avait annoncé vouloir tripler, "en deux ans", le nombre de caméras sur la voie publique, objectif réitéré par Brice Hortefeux en 2009, mais récemment relativisé par la Cour des Comptes, qui a dénombré… trois fois moins de caméras que le chiffre avancé par le ministère de l'Intérieur qui, apparemment, a comptabilisé les caméras filmant l'entrée, ou le parking, des commissariats.
Dans la liste des 18 "faits marquants d'élucidation, grâce à la vidéoprotection", qu'avait publié le ministère de l'Intérieur, on trouvait bien une vidéo de mariage... et seuls 3 de ces 18 "faits marquants d'élucidation, grâce à la vidéoprotection", l'avaient été grâce aux systèmes de vidéosurveillance de la voie publique vantés nos ministres de l'intérieur successifs. On se plaît à penser ce qu'il serait arrivé si d'aventure ils étaient arrivés au chiffre de 60 000 caméras fin 2009. Ils auraient déclaré vouloir multiplier par 2, 3, le nombre de caméras ? Paradoxalement, le fait de ne pas y être arrivé permet de marteler le discours dans l'opinion publique, et de montrer qu'ils cherchent à vidéoprotéger les gens... quand bien même l'ensemble des études ont démontré que cela ne servait, sinon à rien, tout du moins que de façon très marginale...
Photos CC pterjan, springfeld, xcaballe
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