Les techniciens de la régie : Lumière !
Au théâtre, ce sont eux qui détiennent le pouvoir suprême de donner la lumière, la sculpter, dessiner des ombres, diriger un faisceau pour extraire les comédiens de l’obscurité.
Les techniciens du Festival théâtral, le blog coye29 les connait bien depuis treize ans qu’il les rencontre. Au petit matin, la présence de Franck Martin sur le plateau, responsable technique, donne le La. On sait que la fête se prépare. Avec son équipe et le régisseur — ou la régisseuse — de la troupe qui se produira en soirée, muni de la précieuse fiche technique (dite "plan de feu"), il organise l'aventure. Les décors sont déchargés et mis en place, les échelles montées, la tour glisse sur le plateau, les projecteurs sont hissés, vissés, s'accrochent dans les cintres. Dans la cabine de régie, les curseurs glissent sur les consoles et commandent l’éclairage, la bande-son est testée. En un va-et-vient incessant de la cabine au plateau, tout est vérifié. Quand les comédiens arrivent dans l'après-midi pour une dernière répétition, tout est en place. Il ne restera que les derniers réglages à faire.
Et le soir, pendant les échanges entre comédiens et spectateurs dans le hall du Centre culturel, Franck et son équipe "font le ménage" sur le plateau, ou plutôt dans les cintres, une fois que le décor et les malles ont été évacués. Il faut que là-haut la grille d’accrochage soit « propre » pour le lendemain, dit Franck, c’est-à-dire délestée des projecteurs qui ont servi la pièce qui vient d’être jouée, et chargée des sources de lumière voulues par le nouveau régisseur du lendemain matin.
Coup de chapeau à l'équipe de Franck Martin :
Franck Seigneuric : une dizaine d'années au festival, il est courtois, aime expliquer, souvent en haut de l'échelle ;
Daniel Zielcke : un fonceur, il ne recule devant aucune charge, ne s'arrête jamais, aime cuisiner, six ans de Festival ;
Florian Huet : le jeune de la bande, six ou sept ans de Festival, demandé partout, débordé de travail, agile, il aime l’escalade de la tour ;
Christian Colombier : le Coyen qui a vu grandir le Festival et n’a pas résisté à l’attrait du théâtre dans sa ville, il travaille le plus souvent dans les théâtres parisiens ;
Jean-Pierre Izaguire : en 1e année au Festival, il remplace Bruno Baïdez, encore très présent dans le cœur de l'équipe. Difficile de photographier Jean-Pierre, il court toujours !
Quant à Franck Martin, il est fier de dire que son premier Festival était en 1993. Si l'on veut un cours sur le matériel, il est intarissable. L’œil rieur, le cheveu en bataille ou sous un bonnet de laine, toujours content d'être là. C'est lui qui forme l'équipe, et les reports du Festival dus au covid19 ne lui ont pas facilité la tâche, explique-t-il :
— Il a fallu annuler les plannings de travail deux fois, puis tout refaire... Le covid a été très difficile pour les intermittents, beaucoup ont lâché le métier. Moi, j’ai eu la chance de trouver du travail, hors spectacles, j’ai beaucoup travaillé, j’ai été architecte, électricien, maître d’œuvre pour la rénovation des boutiques du Palais-Royal.
— Quand j'ai eu enfin du travail [de régisseur] cet été avec un Festival à Montmartre, dit Franck Seigneuric , j'ai retrouvé la pêche, j'ai compris que j'aimais ce métier. Mais la période sans ce travail a été difficile. Notre métier nous a manqué.
Et Daniel ajoute :
— Je suis resté dix mois sans travailler, j'ai perdu de l'énergie. La reprise a été violente, je n'avais plus les mêmes réflexes.
À bâtons rompus
Il fait soleil, nous sommes tous les quatre assis, dehors près de l’antre réservé aux branchements multiples, dont un portant expose en bon ordre les spaghettis noirs des câbles. Ne rentre pas ici qui veut. La porte est ouverte mais l’entrée n’est pas libre. C’est aussi le QG de la technique, là où chaque spectacle a son dossier, la référence avant d’entrer en action. De l’autre côté du mur de la salle de spectacle, près duquel nous nous tenons, on entend les enfants hurler, spectateurs heureux de « Cendrillon » ce matin-là. Nous parlerons donc à voix basse pour ne pas les distraire de leur joie.
— Quelle impression gardez-vous de ce 40e Festival ?
— Une très belle programmation au niveau artistique, dit Franck spontanément. Un très bon choix de spectacles. Parfois lourd techniquement, comme Lawrence, mais beau. Les organisateurs maîtrisent le planning sur le plan de la régie et ont su alterner les spectacles en fonction des impératifs techniques. On a un temps de présence conséquent, mais nous sommes solidaires, et il n’y a pas de tire au flanc ici. Le soir on n’arrête pas parce que c’est 18 heures, mais parce que c’est fini — cela peut filer jusqu’à 2 ou 3 heures du matin. On est passionnés par ce qu’on fait.
— Et vos spectacles préférés ?
— « Je vole...et le reste je le dirai aux ombres », c’est la perfection technique, dit Daniel. Et le scénario est intéressant, j’aime que l’on sache qui est ce personnage, qu’on comprenne qui il est. Cette pièce donne une forme de réponse, au moins on peut l’imaginer. Le point de vue est enrichissant.
— « La mécanique du hasard », c’était techniquement parfait. Aucune erreur dans la fiche technique. Le régisseur de la troupe était super, il est arrivé avec une mallette à la James Bond ! Il sait tout faire, il est constructeur, scénographe et il a tenu la régie pendant le spectacle.
— On est unanimes sur les spectacles, nos préférences à tous, c’est « Je vole », « Lawrence » et « Cendrillon ». « Grou » aussi était très bien.
— Pour certains d'entre nous, on a trente ans de recul, d’expériences et on n’est pas blasés. On découvre et on apprend encore, à cinquante piges..., et on fait des erreurs aussi...
Franck Martin a envie de parler de son expérience de responsable lumière dans « Le fils » de Jon Fosse :
— Le metteur en scène Jean-Paul Dubois [« Le Fils, de Jon Fosse »] m’appelle « Le prince des lumières », dit-il en riant. J’ai travaillé sur les éclairages et j’ai mis en place la scénographie (créée par le metteur en scène et la scénographe Yaël Haber). Je me suis passionné pour cette pièce, il était important de réussir, car elle a été coproduite par le Festival. Je n’ai pas mis de projecteur de face car il fallait un éclairage intime. Tu as vu le plancher en forme de trapèze ? La couleur du sol représentait l’intérieur du chalet ou la terrasse.
— Ah non ! De ma place en D14, au premier rang côté cour, je ne vois rien de ce qui est au sol.
— C’est vrai, le premier rang est inutile, je l’ai déjà dit, il n’y a pas assez de recul.
Franck Seigneuric intervient pour un précieux conseil :
— Pour bien voir il faut se placer au milieu du 11e rang, c’est ce qu’on appelle « l’œil du prince ».
Je m’en souviendrai en mai prochain !
— Parle-nous de la cuisine, Daniel
Un soir après spectacle, vers 23 h 30, quand je viens en bord de plateau pour voir le démontage, le ménage, comme dit Franck M., celui-ci me dit : « Va voir dehors, prends une photo. »
J’hésite un peu, il fait noir... Il insiste :
— Va voir, n’aie pas peur, il y a une surprise !
En effet, il y avait une surprise le long du trottoir, à l’arrière d’un camion blanc ouvert sur la nuit noire, la cuisine de Daniel, éclairée a giorno ! Daniel était affairé devant ses fourneaux, touillant une sauce au fond d’une poêle, près d’une énorme marmite. Et une bonne odeur avec ça, tout autour du camion et qui s’infiltrait jusque dans le local de déchargement.
— Je fais la cuisine pour bien manger. Cette année, je me suis dit que ce serait pratique de manger chaud à l’heure qui nous convient par rapport au montage technique. Donc j’ai ramené un camion que j’ai aménagé en cuisine, et quand la situation s’y prêtait, pour un petit montage, je me suis mis en cuisine, et nous dînions ensuite tous ensemble. J’ai fait à peu près huit dîners, par exemple des escalopes à la crème avec petits pois aux lardons, des spaghettis à la sauce tomate avec basilic, des saucisses de Toulouse avec du riz, des légumes verts, des crudités...
Après le prince des lumières, voici le prince de la cuisine !
Quoi qu’il en soit, ils ont été tous les six, pendant plus d’un mois, Jean-Pierre, Daniel, Christian, Florian et les deux Franck, les princes du plateau du 40e Festival Théâtral de Coye-la-forêt. Merci les amis ! C’était beau. On se reverra en mai 2022.
Lien vers la galerie photo : Les techniciens de la régie
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2 commentaires
Commentaire de: Gabillet Jean François Visiteur
Bravo et merci Marie-Louise pour cet article qui illustre bien ce travail des hommes de l’ombre sans qui la lumière ne serait pas et qui doivent, eux aussi, être associés au succès du Festival.
Commentaire de: Paul uzan Visiteur
Merci Marie-Louise pour ce bonus théâtral !
Grâce à ces lignes nous avons prolongé la magie de ce quarantième festival.