LA VIE DE GALILÉE
De Bertolt Brecht
Cie du Grand Soir
Mise en scène : Christophe Luthringer
C'est un projet bien téméraire que de s'attaquer à la reprise de la pièce de Bertolt Brecht, "La vie de Galilée" : une quarantaine de personnages, pour une durée d'environ quatre heures si on joue la pièce dans son intégralité, sur un sujet a priori un peu sévère : rien moins que le développement de la science et de la recherche fondamentale dans l'Europe du 17ème siècle, en opposition aux superstitions et à l'obscurantisme. L'Église comprend qu'avec le passage d'une conception géocentrique du monde à une vision héliocentrique (ce n'est plus la Terre mais le Soleil qui est le centre de l'univers), c'est tout son système de représentation qui va être mis à mal. À terme le remplacement d'une pensée dogmatique par une réflexion qui s'appuie sur le doute et la raison nous mènera d'une organisation théocratique et autoritaire de la société à une perspective démocratique.
Ouh, la, la ! tout cela risque d'être bien ennuyeux sur une scène de théâtre !
Ça ne l'est pas. D'abord parce que la pièce de Brecht est un grand texte littéraire et politique. Il est évidemment très significatif que la pièce ait été écrite en 1938 quand le nazisme, de la façon totalitaire et violente que l'on sait, voulait imposer à l'Allemagne et bientôt à l'Europe toute entière ses conceptions délirantes sur l'humanité. La phrase très célèbre (souvent reprise, avec des variantes) selon laquelle "celui qui ne connaît pas la vérité, celui-là n'est qu'un imbécile. Mais celui qui la connaît et la qualifie de mensonge, celui-là est un criminel" prend dans ce contexte un poids tout particulier. Galilée risquait le bûcher, Brecht aussi, qui a préféré s'exiler au Danemark d'abord, puis aux États-Unis.
Ainsi la pièce dont l'action se situe dans l'Italie du 17ème siècle est atemporelle et universelle, elle reste définitivement moderne, parce qu'elle dénonce le totalitarisme bien sûr, mais aussi toutes les formes de "pensée unique" et le conformisme, quel qu'il soit.
Pour autant le "Galilée" qui nous a été présenté n'était pas ennuyeux, intellectuel et sérieux. Refusant l'alternative entre instruire et amuser, le metteur en scène, Christophe Luthringer, a construit un spectacle à la fois passionnant et drôle. Le texte de Brecht a été allégé, il est entrecoupé de scènes chorégraphiées, de transitions chantées (ça c'est dans la tradition brechtienne), de passages très visuels, presque magiques, avec force fumée et jeux de lumière et plein de trouvailles cocasses... il y a à voir et à écouter, à rire et à réfléchir.
Cinq comédiens se partagent le plateau :
Régis Vlachos qui incarne Galilée, dévoré par sa passion de savoir, qui pourtant n'est pas du tout un savant désincarné, mais un bon vivant qui aime bien boire et bien manger et que l'idée de la souffrance physique terrorise ;
- Jean-Christophe Cornier, à la fois musicien, bruiteur et conteur, ce qui permet, selon un artifice assez habile et efficace, de situer l'action et de présenter les nombreux personnages ;
- enfin Charlotte Zotto, Aurélien Gouas et Philippe Risler, grimés et endossant en toute hâte divers costumes pour jouer tous les autres protagonistes : servante, élèves de Galilée, moines et nonettes, diverses autorités scientifiques et religieuses...
Le dispositif scénique est minimal : un énorme coffre que l'on déplace sert tour à tour de bureau, de piédestal, de palais, de véhicule... ; de façon précise et joyeuse, il en jaillit des accessoires divers au fur et à mesure des besoins : douche, vêtements, plume, papier, bouquins... la Bible aussi et une pomme, qui servira à l'illustration de la rotation de la Terre (on n'oublie pas que la pomme est le fruit de l'arbre de la connaissance, le fruit défendu ; on n'oublie pas non plus qu'elle sera liée, un demi-siècle plus tard, à la loi de la gravitation universelle énoncée par Newton).
Sur un rythme enlevé, la mise en scène mêle allégrement le sérieux et le burlesque.
Le propos de la pièce reste passionnant et actuel : en art comme en science, il faut oser penser à contre-courant, il faut innover, faire preuve d'inventivité. Cela nécessite de la conviction, de l'audace et de l'imagination. Il y avait tout cela dans cette version réjouissante de "La vie de Galilée".
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1 commentaire
Commentaire de: Ghislaine Visiteur
Nous avons assisté à un bon spectacle mardi soir même si la pièce de Brecht a été sérieusement amputée, les passages clés ont été respectés avec grande liberté et modernité certes. Les 4 comédiens interprétant plusieurs rôles avec grande habilité ont été remarquables. Beaucoup de fluidité et de prouesses techniques
ont permis d’esquiver les grandes tirades et peut-être l’aspect didactique qui n’est plus au goût du jour.