SOCIÉTAL? VOUS AVEZ DIT SOCIÉTAL?
En février 2011, un notaire de Creil a demandé à la municipalité de Coye-la-Forêt si elle acceptait le legs qui lui était fait par Mme Delvigne de l'ensemble de ses biens (mobiliers et fonciers) pour une valeur tournant autour de 700 000 €. Bien sûr la municipalité a accepté, lors du Conseil municipal du 18 févier 2011, mais la voilà désormais bien embarrassée avec ce cadeau un peu encombrant car la défunte s'exprimait ainsi dans son testament : "Je lègue tous mes biens à la commune de Coye pour ses œuvres sociales". Elle n'a pas dit : "Je lègue tous mes biens à la commune de Coye ", sans plus de précision, laissant au donataire toute liberté dans l'usage qu'il ferait de ces biens. Elle n'a pas dit non plus "Je lègue tous mes biens à la commune de Coye pour financer des actions présentant un intérêt social". Non, les volontés de la défunte sont très claires, Mme Delvigne parle des œuvres sociales et de rien d'autre.
Tiens, un nouvel adjectif !
Or dans le bulletin municipal de février 2014 (La Lettre de Coye-la-Forêt" n°134), en page 2 il est écrit : "Le conseil municipal a décidé de ventiler ce don pour financer des actions communales présentant un intérêt social ou sociétal comme l'a exprimé Madame Delvigne dans son testament". Et donc, il nous est expliqué qu'"une somme de 100 000 € est déjà attribuée au CCAS pour les œuvres sociales de la commune", que "200 000 € seront affectés au financement de la future supérette en centre ville et 150 000 € à la rénovation de la salle 2 du centre culturel" et pour finir "le solde, soit environ 250 000 € est mis en réserve pour participer à la réalisation future d'autres projets communaux présentant également un caractère social ou sociétal".
Le seul problème, c'est que précisément Mme Delvigne ne s'est pas exprimée ainsi dans son testament.
Synonymes, paronymes et dérivés
Il est moralement malhonnête de glisser de l'expression "œuvres sociales" à l'expression "actions présentant un intérêt social" et il est peu rigoureux d'un point de vue intellectuel d'utiliser les deux mots "social" et "sociétal" comme étant quasiment synonymes.
Le mot "sociétal" est un anglicisme, d'ailleurs d'apparition relativement récente, qui appartient au domaine de la sociologie pour désigner des phénomènes de société, des manifestations qui se rapportent à la structure, à l’organisation ou au fonctionnement de la société (cf. wiktionnaire). Rien à voir avec le mot "social". Ce n'est pas parce que deux mots sont de la même famille qu'on peut les accoler et même les confondre ; sinon hôtel et hôpital seraient équivalents !
Imaginons qu'un legs soit attribué à la commune en vue de son "développement culturel" et que le maire transforme cela en "développement culturel et cultuel "... et qu'ainsi il justifie la construction d'une église ou d'une mosquée, l'ouverture d'une salle de catéchisme ou d'une école coranique.
Aux objecteurs, est-ce qu'il pourra répondre : "culturel" et "cultuel", c'est presque la même chose, il n'y a qu'une lettre de différence. Et même plus sérieusement pourra-t-il dire que les cultes sont parties intégrantes des différentes cultures (au sens de "civilisations").
Entre "social" et "sociétal", il y a une dérive du même ordre et il faut vraiment être de mauvaise foi (sans jeu de mots) pour ne pas le reconnaître.
Et œuvres sociales dans tout ça ?
Les œuvres sociales désignent quelque chose de bien précis sur quoi il n'y a pas d’ambiguïté ou d'interprétation possible : il s'agit d'œuvres destinées à venir en aide aux plus faibles, aux plus démunis, à ceux qui en ont le plus besoin (les enfants, les vieux, les malades, les pauvres...)
Donc un legs dont le donateur précise qu'il est destiné à des œuvres sociales ne doit pas être utilisé à autre chose qu'à venir en aide aux personnes en difficulté.
C'est très exactement le sens de la sécurité sociale en France avec ses trois branches : maladie, famille et vieillesse, à quoi il faut ajouter l'assurance contre le chômage.
C'est pourquoi d'ailleurs nous payons des cotisations sociales. Si ces cotisations étaient détournées de leur fonction pour servir à construire un aéroport ou une autoroute, nous aurions de quoi nous insurger ! Même s'il est de nos jours largement admis que ces infrastructures sont utilisées par une grande partie de la population (phénomène sociétal), qu'elles profitent au plus grand nombre et favorisent le développement économique dans son ensemble.
Il n'y a pas de doute que le ministre des affaires sociales ne se mêle ni de transport ni de commerce ni de culture. La construction d'une supérette ou la rénovation du centre culturel ne sont pas des projets présentant un caractère social, ou alors les mots n'ont plus de sens et on peut dire n'importe quoi.
Ainsi la sécurité sociale, tout le monde voit ce que c'est. Et la sécurité sociétale (à supposer que cette expression ait un sens), ce serait quoi ? La vidéosurveillance ? La police, les chiens de garde et – l'avenir nous en préserve – les milices privées ?
Assez joué sur les mots ! Les œuvres sociales doivent diminuer les inégalités, soulager la détresse des plus faibles... et non pas améliorer le confort d'une population qui dispose déjà d'un certain bien-être.
Question d’éthique
Ce détournement de destination d'un legs est non seulement illégal mais aussi (mais surtout) moralement très choquant. On peut espérer qu'il va se trouver parmi les conseillers municipaux (actuels et futurs) des personnes à la fois scrupuleuses et courageuses pour s'opposer à cette dérive. Il en va du respect des volontés d'une personne défunte, qui plus est d'une personne qui s'est montrée généreuse pour ceux qui lui survivraient. Le mot est peut-être un peu fort, mais quand même, il y a dans ce détournement quelque chose qui relève du sacrilège ou du parjure.
Sommes-nous dans une société tellement matérialiste que l'on n'y respecte plus la volonté des morts et que ça ne choque personne ? Cette désinvolture est-elle un phénomène sociétal ?
Dans le compte-rendu du conseil municipal du 19 décembre 2013 tel qu'il figure sur le site officiel de la mairie, à une question de M. Zaouche demandant s'il était opportun de verser 100 000 € au CCAS, M. Vernier répond "que le legs est à l'origine pour les œuvres sociales". Il faudrait qu'il se trouve quelqu'un pour dire à M. Vernier que le legs est non pas à l'origine mais définitivement pour les œuvres sociales. Que ça nous plaise ou pas. C'est ainsi que les volontés de la défunte ont été exprimées et elles doivent être respectées.
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5 commentaires
Commentaire de: szpirglas Visiteur
Commentaire de: veroni60 Membre
Texte magnifique, explicite qui effectivement devrait être lu en place publique.
Et maintenant, si nous pensons que l’interprétation communale est erronée, quels sont, mis à part l’éveil de notre conscience, les recours possibles ?
Commentaire de: yann Visiteur
N’y a-t-il pas une législation qui encadre précisément ce type de leg ?
A peine 15% de la valeur du leg attribuée à la destination souhaitée par la donatrice, c’est énorme.
Ca mériterait une bien meilleure publicité !
Commentaire de: Jacqueline Chevallier Membre
Pour répondre à la fois à Yann et Uzan (visiteurs) :
Oui, il existe une réglementation, car détourner un legs de sa destination est non seulement immoral mais bel et bien illégal - voir sur ce sujet le commentaire que j’ai ajouté à la suite de l’article paru le 12 mars 2013 dans Coye29 "Comment nos élus utilisent l’argent destiné aux oeuvres sociales".
Quels sont les recours possibles ? Déjà, si tout le monde s’en mêle, si tout le monde en parle, ce n’est plus du tout pareil que lorsque le conseil municipal prend des décisions tout seul dans son coin.
Bien évidemment, nous n’allons pas nous lancer dans une action judiciaire ! De toute façon , de ce que j’ai pu lire, j’ai cru comprendre que seuls les héritiers pouvaient faire un recours devant les tribunaux.
En revanche, nous pouvons signaler le problème à la préfecture : juridiquement, le préfet a un droit de regard sur le budget des communes et exerce un contrôle de légalité sur les actes des collectivités locales. Dans les faits, il s’agit d’un contrôle à postériori assez routinier et il n’est pas dit que le problème soit spontanément détecté par les services préfectoraux. Par contre, si ce qui leur apparaît comme une illégalité est souligné par un groupe de citoyens, il me semble que la question devrait être examinée attentivement par l’autorité préfectorale.
Je conseille la lecture d’un article paru dans le Figaro sur un cas de figure assez similaire au nôtre concernant un legs à une commune (en fait on s’aperçoit que les legs de ce type ne sont pas chose rare et qu’il y a de toutes petites communes qui, à leur échelle, se trouvent subitement à la tête d’une fortune colossale !)
Dans cet article j’ai relevé deux choses tout particulièrement :
- d’abord l’installation d’une boîte à idées dans les locaux de la mairie, afin que tout le monde puisse s’exprimer sur le sujet
- puis cette phrase ” Soucieuse de respecter le testament à la lettre, la préfecture ne voyait pas cela d’un très bon œil au début.”
qui montre bien que la préfecture se soucie du respect des conditions posées par le donateur.
Donc pourquoi ne pas envoyer un courrier à l’autorité préfectorale (en l’occurrence à la sous-préfecture de Senlis - bureau des collectivités locales) pour signaler les difficultés rencontrées à Coye dans la gestion d’un legs assorti de conditions ? Évidemment, plus nombreux nous serons à signer le courrier en question, plus il aura de poids.
Commentaire de: Syl2Alf Visiteur
L’arbre cache-t-il la foret ? Coye qu’on pense, coye qu’on en dise, il y a-t-il ici sujet à débat ?
Après l’affaire des ferrets de la reine, non pardon je me trompe toujours d’époque, du Presbytère, la plus discrète et moins médiatique affaire du bétonnage des libellules, l’équipe sortante se retrouve encore en première page avec une affaire soci(ét)ale sur les bras…
Mais faut-il s’en étonner ?
Quant dans la situation provisoire des comptes administratifs 2013, en date du 04 janvier 2014, les sommes engagées aux titres des élus (indemnités, cotisations retraite et formation) laissent apparaître une dépense globale de plus de 100 000 € contre une subvention CCAS de 20 000 € fort heureusement en augmentation de 30% !
La précarité de nos élus est elle au point de justifier cet écart de traitement….
Ce texte remarquable sera lu par combien de coyens internautes? Il mériterait un tirage papier distribué comme/avec les tracts de campagne.
Antoine.