SYLVIE
D'après Gérard de Nerval
Compagnie Fenil Hirsute
Mise en scène : Yves Charreton et Véronique Bettencourt
Où le spectateur devient lecteur enchanté.
La première découverte du spectateur est la simplicité compliquée du décor. Simplicité, parce qu'il n'exhibe rien de riche ou de coloré : un lit en fer, une table, un tableau, divers supports ou objets à peine visibles ; compliqué, parce qu'en apparence inorganisé, une sorte de bric à brac. Par exemple celui qui meuble un grenier. Voici qu'on nous offre dans ce décor la lecture en texte parlé du célèbre récit de Gérard de Nerval : Sylvie. Nous pensons ingénument qu'une action dramatique va nous être proposée, mais non ! La voix prenante et douce d'un comédien s'insinuera en nous comme si elle était la nôtre, celle que nous utilisons en silence quand nous-mêmes, nous lisons. Telle est la seconde découverte de ce spectacle d'intimité et de poésie.
A partir de ce court instant de rencontre où, en même temps, nous faisons connaissance des trois personnes sur scène qui ont l?intention de nous lire Sylvie, notre vigilance nous échappe. Nous entrons dans un rêve, le rêve de Gérard de Nerval.
Comme dans un rêve, donc, des images se succèdent, se superposent ; du son, de la musique, des voix féminines pénètrent notre nuit. Le passé submerge le présent, mais le présent se retrouve dans d'autres passés, futurs du premier? le temps s'abolit puis revient parfois, absent ou implacable.
Comme dans un rêve, jalonné pourtant de quatorze chapitres, Aurélie, dont le narrateur est amoureux, nous apparaît, suggérée par sa seule robe d'actrice inaccessible. Le Pays de Valois surgit au centre de notre mélancolie. C'est l'enfance du poète. Un portrait de son amoureuse, Sylvie, la petite paysanne. Voici Adrienne, l'autre inaccessible parce qu'irréelle peut-être, la plus aimée, avec le timbre frais de sa chanson ; voici les lieux que nous connaissons : Mortefontaine, Loisy, Chaalis. Voici le tir à l'arc : comme tout était harmonieux et mystérieux à la fois : La dentelle, les déguisements, la tante de Sylvie à Othys, Adrienne devenue religieuse ! Comme, beaucoup plus loin, dans un autre souvenir rêvé, tout aura insidieusement changé : Ermenonville, les murs de Saint-Sulpice, Sylvie, la jamais oubliée, devenue gantière, mariée, Aurélie, perdue, Adrienne, morte !
Sommes-nous dans l'illusion ? Dans notre propre nostalgie ? Peu importe : emportés sur la route des Flandres et des ténèbres, nous errons, nous roulons, ou nous marchons en compagnie du voyageur à la recherche tourmentée de ses amours et des nôtres, mais c'est sûrement lui qu'à la fin nous aimons.
Qui sont les responsables d'une telle et rarissime conjonction de poésie, de musique, d'imagination et de jeu ? Evidemment, d'abord Gérard de Nerval, parce que son texte est un chef d'oeuvre d'écriture qui a déjà englouti la vie entière d'analystes et d'exégètes passionnés et en a hypnotisé bien d'autres ; ensuite les deux concepteurs du spectacle : Yves Charreton, un Suisse atteint depuis sa scolarité par l'enchantement nervalien et Véronique Bettencourt, artiste touche à tout descendue du ciel. Elle-même s'intègre dans le rêve par sa voix pure et son jeu de comédienne. Sur scène, elle est capable de représenter tous les personnages par une esquisse de leur portrait et de leur ton, la plupart du temps Nerval lui-même quand le narrateur se dédouble, mais aussi les femmes aimées ; elle propose souvent des illustrations en chantant accompagnée par de petits instruments de musique; elle manoeuvre aussi des projections sur des écrans improvisés, de petits films qu'elle a réalisés dans le Valois, où l'on peut contempler Sylvie (l'autre délicieuse comédienne Louise Saillard-Treppoz), se mouvant avec grâce dans les paysages de nos environs recomposés en images anciennes. Il faut aussi citer au sommet, l'interprétation du seul comédien masculin Stéphane Bernard, car l?intelligence de sa déclamation et de son parcours mérite l'admiration de tout spectateur sensible. C'est lui, la voix retrouvée de Gérard de Nerval, à la fois présent et lointain. Ajoutons que la musique qui baigne avec qualité, légèreté et douceur l'ensemble de la représentation, est l'ouvrage de Fred Bremeersch, autre poète, et que la scénographie astucieuse et limpide dans son savant bricolage, est de Rupert von Rupert.
A peine revenus de notre songe, nos pas nous emmenaient dans le hall vers des invités de marque, érudits nervaliens reconnus, MM. Jacques Bony, Hisashi Mizuno, Jean-Marc Vasseur, Philippe Lamps et quelques autres ; tous ont fait le bonheur de l'équipe artistique et de celle du festival par leurs éloges du spectacle et la qualité pédagogique de leurs observations. Ils ont contribué à l'excellence de cette soirée qui restera gravée dans l'histoire du Festival Théâtral de Coye-la-forêt.
GALERIE PHOTOS : SYLVIE D’après Gérard de Nerval
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2 commentaires
Commentaire de: syl2alf Visiteur
Commentaire de: Jacqueline Chevallier Membre
Les spectateurs sont divers. Nous sommes plusieurs à ne pas partager l’enthousiasme exprimé dans l’article de Jacques Bona et dans le premier commentaire.
Pour ma part, j’ai trouvé que le spectacle nous tirait d’emblée vers la trivialité, le quotidien et l’ordinaire. Par la suite, les mots de Nerval, les petites bricolages insolites ou les instruments de musique bizarres auraient pu me séduire, mais dès que la pensée s’envolait vers un peu de rêverie, j’en étais brutalement interdite et ramenée au réalisme le plus plat par des portraits photographiques quelconques et des films super 8 sans grâce et sans poésie.
Les très beaux panneaux que nous avons vus lors de l’inauguration du festival, panneaux peints par Karine Payet, invitaient à la rêverie et respectaient l’esprit du romantisme. Chacun tient secret en lui les visions fantasmées de ses premières amours – amours multiples, diverses, ou même opposées, et pourtant toutes aussi vives. Chacun se fait une image personnelle de Sylvie et d’Adrienne. N’y touchez pas ! L’illustration tue l’imagination.
Qu’il est dur de parler d’une oeuvre quand on n’est qu’un modeste spectateur…
C’est donc de l’émotion reçue que je vais vous parler, de la beauté romantique de cette pièce, des sensations qu’elle m’a procurées et que je vais m’attacher à décrire et à expliquer!
Gérard de Nerval a été mon premier rapport trouble d’adolescent avec l’amour. C’est avec délectation que le romantisme de son oeuvre a fait son chemin mêlant à ses vers mes premiers pas vers la quête du bonheur qui semblait fuir il y a deux soirs encore Diderot…
Je ne suis pas né dans l’Oise et ses paysages, qu’il confond si bien avec les êtres aimés, ne me sont apparus que plus tard vers 18 ans, quand connaissant un amour naissant je rencontrais Isabelle. Oui, je sais, cela semble très personnel, mais comment ne pas être bouleversé par cette représentation…
Cent fois depuis, j’ai depuis parcouru les chemins de la forêt d’Halatte, je suis venu me reposer, puiser dans cette mère nature, autour des étangs de Commelles, l’énergie que je brûle amoureusement !
La scène est comme un paysage, elle surprend. Mais une désuète modernité nous plonge rapidement dans l’enchantement. Car c’est le texte et lui seul qui va guider nos pas maladroits, faire renaître nos émotions d’adolescent que l’on croyait disparues. Un duo qui vite se révèle être un quatrain, vont peupler cette étrange scène et nous faire parcourir sans coup férir l’espace temps. Sa voix est grave, suave comme il se doit, la sienne est légère, claire comme une nuit d’un songe d’été…
Parfois un vieux projecteur offre à notre regard un paysage, un portrait, comme pour souligner ici encore le mélange des genres que Nerval crée avec tant de magie…
Le cristal d’un lied en allemand, et voilà les Valkyries de ma jeunesse qui accourent, je n’entends plus rien mais Wagner raisonne au plus profond de moi, je suis transporté. Ma main serre celle de ma compagne, qui comme moi est entière au spectacle.
Comment vous décrire l’émotion, la douceur, la complexité de ce plaisir, d’entendre, de voir de participer… la salle semble à l’unisson. A part moi, personne ne tousse, pas un bruit, on respire doucement de peur de troubler l’atmosphère…En écoutant je revois ces toiles de Renoir, racontant ces déjeuners champêtres, ces belles alanguies, leurs toilettes…ici les mots sont bien du même registre, c’est par touche, par pointillé que le spectacle se déroule…on en devient impressionniste et c’est avec émerveillement que je redeviens adolescent, fais des vers, de la poésie…
Pas à pas nous avançons comme unis par tant de magie, d’autres mots, d’autres trouvailles, des images, une musique, un air, c’est une symphonie de sensations pareilles au trouble de mon adolescence. Je redécouvre avec délectation le bonheur d’être simplement là ! Ironie de la vie, le temps passe si vite et il faudra demain se lever tôt pour accompagner Isabelle au train qui, comme cette spectatrice, ira à Besançon ! Comme la chose est étrange, mais cette nuit courte qui s’annonce ne peut troubler même l’espace d’un temps la joie de cette représentation.
Ce spectacle devrait être obligatoire, remboursé par la sécurité sociale, tant il confère à ses participants de plaisirs, de joies, de moments rares…Oh ! Muses de mon passé, Véronique, Françoise, Isabelle où êtes-vous passées ? Ma jeunesse s’est elle épuisée à vous poursuivre, à vouloir vous aimer? Que n’ai-je encore vingt ans pour vous célébrer comme vous le méritez…
Point de rideau pour finir l’ouvrage mais une pluie de bravos. Ai-je été le seul dans cette salle à recevoir tant de beauté ? Suis-je le seul troublé au plus profond de mon âme par le jeu des saltimbanques… Ils, elles font honneur à la profession et ont su l’espace d’une représentation me projeter dans ce souvenir d’enfance, d’adolescence qui peuple encore mon esprit. C’est apaisé que je m’en retourne à la maison regrettant de n’avoir pas le courage, la force, le temps de rester pour profiter encore de ces érudits de la poésie, de l’amour, de la vie… C’est avec Isabelle que je veux égoïstement le partager. Je n’en dirais pas plus et espère vous faire regretter de n’avoir pas été là pour profiter de cette merveilleuse soirée…