Geneviève ou l’énergie au service des autres
Quand on croise Geneviève à Coye-la-forêt il faut saisir sa chance. L’arrêter dans sa course entre Paris, le Togo ou l’Amérique du Sud... Et l’écouter. Elle a beaucoup à offrir en ce moment, comme le récit de ses expériences de bénévole auprès des plus pauvres, en France et à l’étranger. Les associations caritatives, si sollicitées aujourd’hui par l’afflux des réfugiés de guerre, elle les connaît bien, pour avoir milité d’abord à ATD Quart Monde, puis depuis plus de 15 ans au CCFD-Terre Solidaire. Coye29 a souhaité l’entendre. Et cela tombe bien car, justement ce qu’elle aime, Geneviève, c’est informer et transmettre.
Coye29 : Par quelle voie, Geneviève, es-tu devenue bénévole militante dans cette association ?
— Je le dois d’abord à mon père qui m’a appris, toute petite, à respecter l’autre et à partager. Et puis à une rencontre aussi, à l’adolescence, qui m’a fait découvrir le texte de l’Évangile. J’étais baptisée, on baptisait tout le monde pendant la guerre, mais je ne connaissais rien de la religion. Alors les Évangiles ont été une révélation. Eux seuls comptent pour moi, la façon dont Jésus s’est comporté, vouloir être homme avec les autres hommes, son accueil et son respect de tout homme et particulièrement des exclus de la société de son temps, son souci de la dignité et surtout de la justice. Je ne supporte pas l’injustice. C’est l’injustice qui m’a mise en marche et l’Évangile m’a éclairée.
Coye29 : Peux-tu nous dire quelques mots sur l’association dans laquelle tu t’es engagée comme bénévole ?
— « Le CCFD, Comité catholique contre la faim et pour le développement-Terre solidaire », a son origine dans un mouvement catholique créé en 1960 pour répondre à l’appel lancé par la FAO (organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) et relayé par le pape Jean XXIII pour la lutte contre la faim dans le monde.
« Pour le développement » a été ajouté par la suite, car l’association, rompant avec les pratiques d’assistance, veut être une aide dans les projets de développement des collectivités ou des associations, en soutenant des acteurs locaux. Nous agissons sur tous les continents avec des « partenaires » sur place qui sont des moteurs de transformation sociale dans leur pays, nous les aidons financièrement ou sur le plan technique. Nous traitons à égalité avec eux, nous ne sommes pas ceux qui possèdent et qui donnent à ceux qui n’ont rien. Les pauvres savent mieux que nous ce qui est bon pour eux. C’est donc un partenariat entre eux et notre association, partenariat qui respecte profondément leur dignité humaine.
« Terre solidaire » a été également ajouté plus tard, pour signifier que la mondialisation doit profiter à tous et ne doit pas être confisquée par quelques-uns. Ainsi, nous travaillons, j’allais dire, nous nous attaquons, aux causes structurelles de la faim. Tout est lié, la faim, l’accaparement des terres et des ressources naturelles, le changement climatique, les migrations, les paradis fiscaux, etc.
Coye29 : Tu pourrais donner un exemple, Geneviève ?
— Bien sûr ! Au Forum Social de Dakar, nous avions rencontré des Sénégalais. Ils avaient essayé en vain de quitter le Sénégal, renvoyés dans leur pays par la Guardia espagnole. Ils étaient désemparés, dans l’attente de repartir tenter leur chance. Nous leur avons dit : « Créez un projet, nous vous aiderons. » Ils ont fait un projet : une association de pêche. Nous les avons soutenus par des dons financiers. Ils ont construit des bateaux. L’affaire s’est développée, a fait des émules, d’autres associations de pêcheurs se sont créées ; puis des associations de produits dérivés (poissons séchés) et d’autres encore plus diversifiées, (maraîchage, teinture de tissus) ; elles se sont regroupées ensuite en une fédération plus importante. Nous aidons maintenant la fédération qui aide elle-même les associations. C’est un bel exemple qui illustre notre conviction : Il faut changer ce qui se passe à la source pour éviter les migrations, pour que les hommes puissent vivre dans leur pays.
La situation est catastrophique dans de nombreux pays, à cause de la guerre, on le voit, mais aussi d’une destruction de l’environnement, comme au Pérou où les terres et l’eau sont contaminées par l’extraction du pétrole et des minerais. Dans quelques années, on parlera aussi, hélas, de « réfugiés climatiques ». C’est pour cette raison que le CCFD-Terre solidaire agit auprès des politiques pour faire évoluer le débat dans la société civile, par ce qu’on appelle « le plaidoyer », mais là nous agissons toujours avec d’autres associations de solidarité.
Coye29 : Quel est ton rôle dans l’association ?
— Je suis responsable d’une équipe locale du secteur de Chantilly. Je sensibilise par l’éducation au développement et à la solidarité internationale afin de changer le regard, ICI, sur ce qui se passe dans les pays du Sud, LÀ-BAS, par exemple sur la souveraineté alimentaire, ou sur les migrants et la migration ; j’interviens auprès des jeunes et des moins jeunes, pour qu'ils deviennent citoyens responsables et acteurs de transformation sociale, eux aussi, dans la réalité de notre vie « mondialisée ».
Je fais également partie du réseau Migrations internationales et suis en contact avec ceux qui s’occupent des migrants. L’objectif est de changer les mentalités et d’aider des partenaires qui travaillent directement avec les migrants. Enfin, je m’occupe des partenaires Latino-américains qui viennent en France et parfois je vais les rencontrer dans leur pays. Depuis peu, je suis aussi dans l’équipe nationale, pour aider à choisir les associations à soutenir en Amérique Latine. Mais toujours, nous travaillons avec ceux qui ont des responsabilités dans le pays de façon qu’il y ait un changement durable et structurel. Ce n’est pas « je donne de l’argent pour construire une école dans un village, et je m’en vais », c’est voir plus large. C’est simplement reconnaître la dignité des personnes que de les faire participer à leurs projets de vie.
Pour moi, donc mon "travail", c'est rencontrer les partenaires quand ils viennent en France ou aller partager avec eux dans leur pays, travailler avec les chargés de mission qui vont les rencontrer régulièrement dans leur pays, m'informer et me former pour transmettre ce qui se vit en réalité dans tous ces pays qui sont dans la pauvreté et souffrent de la faim... et de l'injustice, car ils sont quantités négligeables dans la mondialisation...
Coye29 : Comment se situe actuellement ton association par rapport à l’hébergement des réfugiés ?
— Le CCFD n’a pas pour mission d’héberger. Mais il aide les associations qui ont fait leurs preuves dans l’accueil, l’accompagnement ou l’hébergement. Elles sont nombreuses. Et nous travaillons également avec beaucoup d’associations, même si nous ne les aidons pas financièrement, comme :
- Le JRS, Service Jésuite des réfugiés qui a mis en place le réseau WELCOME en France. Différents collectifs se créent dans plusieurs villes pour accueillir, héberger et accompagner les réfugiés.
- La CIMADE (Comité Inter-Mouvements Auprès Des Evacués) a été créée en 1939 pour venir en aide, notamment, aux populations évacuées d’Alsace et de Lorraine, au nombre de 200.000 environ. Elle est actuellement présente dans 13 régions. Elle accueille dans ses permanences des dizaines de milliers de migrants, réfugiés et demandeurs d’asile et les aide dans leurs différentes démarches. Elle héberge également près de 200 réfugiés et demandeurs d’asile dans ses centres de Massy et de Béziers.
- REVIVRE, créée en 2004, accompagne les réfugiés syriens dans leurs démarches, les accueille et les informe.
- RITIMO est un réseau précieux d’information et de documentation pour la solidarité et le développement durable. Ils ont édité un document fort intéressant : « Petit guide de survie pour répondre aux préjugés sur les migrations ».
Et puis, il y a également LE SECOURS POPULAIRE qui, face à la situation d’urgence, a créé un « fonds d’urgence migrants-réfugiés ».
La liste est très incomplète, bien sûr, — je n’oublie pas Médecins du Monde — les associations sont nombreuses qui fournissent un énorme travail en ce moment pour soulager toutes les formes de détresse. J’ai été très émue récemment en écoutant à nouveau l’intervention de Fatou Diome, auteure du livre « Le Ventre de l’Atlantique », dans l’émission de Frédéric Taddeï en avril, à la suite des naufrages de plusieurs centaines de migrants dans le sud de l’Italie. Quelle énergie pour dénoncer la situation des migrants, quelle belle colère devant le silence de l’Europe et sa politique de l’immigration ! (1)
Je me réjouis de voir qu’à Coye-la-forêt, il y a un petit groupe de personnes, des habitants ordinaires qui n’ont pas attendu les politiques et qui se sont dit : « On ne peut rester là, indifférents ou passifs, on doit faire quelque chose.» Ils s’organisent pour que les choses bougent, même un peu, et que la solidarité soit vivante.
En fait, nous souhaitons, et d’autres avec nous, une terre solidaire et fraternelle.
Quand Geneviève raconte, il y a toujours une énergie qui anime le discours, sa conviction elle ne la dit pas à demi-mot, la flamme est là, le désir de convaincre et de faire partager ses valeurs. C’est ce qui rend l’entretien passionnant. Merci Geneviève !
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“On sera riche ensemble ou on va se noyer tous ensemble”
Fatou Diome