Au revoir Maurice
Difficile d’imaginer que tu ne seras plus là, avec ta discrétion, ton sourire bienveillant ou teinté d’humour, ton indulgence et ta sérénité. Rien ne semblait pouvoir t’arrêter d’avancer, de marcher d’un pas toujours alerte quand il s’agissait d’aller à la rencontre des autres, de revoir un coin de forêt familier ou de te rendre au théâtre. Et pourtant tu as dû nous laisser poursuivre la route sans toi. Mais nous continuerons à voir le monde en nous souvenant de ton regard et de ta présence.
Coye-la-forêt, un village et la forêt
Indéfectible amoureux de notre village, de la forêt, du cours de la Thève, du pourtour des étangs, Maurice Delaigue nous a quittés le 27 août après un parcours de 98 ans qui le mena de son Dauphiné natal à Coye-la-forêt, en 1973, après plusieurs « cascades », dira-t-il dans son recueil de nouvelles paru en 2018. Ce village, il l’a choisi, il s’y est fait une place avec Janine, l’épouse qui lui fut chère, et il en est devenu un personnage. Il en connaissait toutes les rues, ainsi que de nombreux habitants, on le croisait au marché le samedi, avec Maria pour choisir ses légumes, à la bibliothèque où il se montrait un lecteur exigeant – Agnès connaissait bien ses goûts –, au Centre culturel dont il était presque devenu un habitant, au restaurant pour déjeuner avec ses amis, à la crêperie des étangs le vendredi soir.
Tant d’images me reviennent à l’esprit pour parler de Maurice... comme celle du marcheur le long du Layon de l’Enclave qui le conduisait chaque jour vers la forêt. Car la forêt a été pour lui une passion. Longtemps avec La Sylve il était de presque toutes les promenades, et lorsque, affaibli par l’âge, il n’eut plus le souffle aussi long pour suivre le groupe infatigable, il allait seul, avec sa canne par prudence, disait-il, et trouvait parmi les arbres la joie profonde de goûter à la vie qu’il aimait, d’être en paix avec le monde et de suivre ses pensées dans le silence.
Les amis, les livres, l’écriture
Maurice était un homme affable qui aimait la compagnie, non pas celle qui fait du bruit et parle de tout en de vains bavardages, mais plutôt celle d’amis, choisis, appréciés, fidèlement retrouvés. Certains soirs de juin, il les rassemblait sous les tilleuls du jardin, ceux ou celles qui liraient de la poésie, Aragon ou Nerval, qui parleraient des livres qu’ils aiment. Il se livrait peu, mais on pouvait deviner ce qui, dans ces lectures, l’émouvait ou l’attirait. C’était lui-même un homme d’écriture. Comme il aimait Coye-la-forêt, il s’était intéressé à son histoire et, après avoir consulté les archives, il avait entrepris d’écrire et de raconter ce qu’avait été la vie du village et de ses habitants au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe.
Quand il connut l’épreuve douloureuse de perdre Janine, c’est l’écriture qui lui insuffla l’énergie de vivre. La fiction le tenta, et peu à peu il retrouva ses souvenirs d’enfance et de jeunesse, qui servirent de cadre au romanesque, souvenirs de ses débuts à l’école, de sa vie de jeune homme à Paris, de ses rencontres féminines. Ainsi virent le jour en 2015 « Coye... de fil en aiguille », illustré par Kim, artiste peintre de ses amies, puis, trois ans plus tard, « En cascade ». Enfin, c’est grâce au confinement, confia-t-il, qu’il eut le désir de rédiger son dernier livre, « La Norine ». Dans sa solitude forcée, il invita l’écriture.
Point de traitement de texte pour Maurice, il écrivait au crayon, relisant, corrigeant, raturant. Il mena son projet avec la plus grande énergie, suivant pas à pas, et avec impatience parfois, son avancée auprès de l’ami qui se chargea d'effectuer la mise en page et de réaliser la couverture à partir des photos qu'il lui avait confiées, puis de proposer un éditeur. Il lui tardait de voir le livre fini, imprimé, de sentir la couverture lisse sous ses doigts, de le feuilleter, d’avoir dans ses mains ce que son esprit avait conçu pendant presque deux ans. Ce plaisir intense, il put l’éprouver une quinzaine de jours avant de partir, il rayonnait en l’offrant aux fidèles amies qu’il avait choisies pour former ce qu’il appelait avec humour son comité de lecture et auxquelles il avait soumis ses premiers brouillons.
Il avait réussi, son livre était là. Il savoura.
Maurice n’était pas un solitaire. La solitude nécessaire à l’écriture, il l’avait aussi animée en invitant ses amies les plus proches à lire ses premières ébauches. Il accueillait toutes leurs observations avec gratitude. Le livre avançait ainsi...de nouvelle en nouvelle. Ces réunions de relecture étaient aussi une belle occasion d’avoir près de lui de temps à autre des présences amicales qui le rassuraient ou le distrayaient.
La curiosité, les arts, le théâtre
La curiosité, le désir de découvrir et d’apprendre ont été ce qui pendant presqu’un siècle lui donnèrent le goût d’avancer et de vivre. Ses livres disent sa gratitude pour l’école qui lui enseigna tout, à lui « petit paysan » comme il se qualifiait, ainsi que son désir d’apprendre et sa fierté d’étudier. Maurice ne refusait aucune occasion de sortie, de voyage, de découverte. Il aimait la peinture et le prouva en encourageant son amie Kim à exposer. Il prenait le train à Orry pour aller voir une exposition au Centre Pompidou. En un week-end éclair, il filait à Bâle pour une exposition Gauguin, voulant absolument découvrir l’œuvre dont il avait une reproduction dans son salon. Chaque année il visita bien sûr l’exposition de peinture à Coye-la-forêt. Il était de tous les concerts, de toutes les conférences, de tous les théâtres, à Coye, à Chantilly ou ailleurs.
En presque quarante ans le Festival théâtral de Coye-la-forêt lui donna chaque année, pendant deux semaines, une magnifique occasion de satisfaire toutes ses curiosités. Jusqu’au dernier Festival de 2019 il fut un spectateur de chaque soir. Il ne choisissait pas ses spectacles, il assistait à tout. La soirée entière devait être une fête, il arrivait en avance au Centre culturel pour avoir le plaisir de dîner sur le parvis en devisant joyeusement avec qui se trouvait là. Puis il prolongeait les plaisirs en participant, dans le hall, aux débats qui suivaient les spectacles, car les retours tardifs dans la nuit ne l’effrayaient pas. Maurice était un infatigable, il fut aussi dans la rue en mai dernier pour « Mai c’est Coye ce Festival ». En ce dernier mois d’août sa place était retenue pour « Les Raisins de la colère » au Théâtre de la Faisanderie où il se rendait chaque été. Elle resta vide, les forces lui manquèrent.
Le prochain Festival aura lieu en septembre. Nous comptions sur toi, nous tes amies lectrices et spectatrices, nous t’aurions bien sûr raccompagné en voiture, comme les années précédentes, car il ne faudrait pas t’exposer à la fraîcheur des soirées d’automne. Et nous aurions été émues et un peu inquiètes de voir ta silhouette mince, fragile et solitaire se glisser dans l’obscurité de ton jardin.
Mais tu ne seras pas là, Maurice, tu manqueras à tous.
Album photo
PARTAGER |
Laisser un commentaire