Shakespeare lives
Conférence de Dominique Goy-Blanquet
Le Marchand de Venise : pièce antisémite ou mise en scène de l’antisémitisme ?
Les amateurs ne manquaient pas, samedi 30 avril, pour venir écouter au Centre culturel la conférence de Madame Dominique Goy-Blanquet sur Shakespeare et Le Marchand de Venise programmé par le 35e Festival théâtral mardi 17 mai.
C’est au maire de Coye-la-forêt, François Deshayes, que revient le privilège de prononcer les premiers remerciements, notamment à l’adresse d’Agnès Bouchard, bibliothécaire, pour avoir eu l'initiative de la conférence. Souhaitant travailler en partenariat avec le Festival, Agnès a choisi d'emblée de s'intéresser à Shakespeare et a voulu, dit-elle, par le choix de cette conférence, répondre à l'exigence de qualité qui caractérise le Festival. C’est la raison pour laquelle elle a invité Madame Goy-Blanquet, professeur émérite de littérature élisabéthaine à l'Université de Picardie, spécialiste du Moyen Âge européen et du théâtre de Shakespeare, membre de la Société Française Shakespeare.
Avant de lui donner la parole, Agnès tient à remercier Christine Stragier-Rousselle qui lui apporte une aide régulière à la bibliothèque, ainsi que Patrick Broutin intervenu avec efficacité pour l’organisation de la conférence. Elle rappelle enfin le souvenir de Claude Domenech, fondateur du Festival, avec qui elle avait travaillé dans le cadre de la bibliothèque, et à qui elle dédie la conférence : « Cette conférence est pour toi, Claude, si tu nous entends. »
Jean-François Gabillet, président de l’association du Festival, conclut : « Le Festival est vraiment heureux de présenter cette pièce de Shakespeare. Dès que nous l’avons vue à Avignon, nous avons été immédiatement convaincus qu’il fallait la programmer. Michel Papineschi y est remarquable dans le personnage de Shylock dont justement il sera question maintenant. »
Universalité de Shakespeare
Il n’est pas question ici de reprendre tous les sujets abordés par Dominique Goy-Blanquet, tant la conférence fut riche d’informations sur l’homme de théâtre et son œuvre. Avec la représentation de la pièce, elle s’inscrit, pourrait-on dire, dans les multiples événements culturels qui célèbrent en 2016 le 400e anniversaire de la mort du dramaturge.
« Shakespeare lives », réjouissons-nous, dit Dominique Goy-Blanquet, en ouverture. Cette manifestation de grande ampleur lancée par la Grande Bretagne montre assez le rayonnement exceptionnel de l’auteur — l’un des plus lus et des plus joués dans le monde, plus encore que Molière et Racine — et la portée universelle de son œuvre.
Déjà en 2012, à l'occasion des Jeux Olympiques à Londres, le Théâtre du Globe fit représenter les 38 pièces de l'auteur en 38 langues différentes. La conférencière ne manque pas de rappeler ensuite, avec humour, la question soulevée au milieu du 19e siècle, et qui perdure : Est-ce bien Shakespeare qui a écrit les pièces de Shakespeare? Comment admettre qu’un modeste gantier ait pu engendrer un tel génie, se disait-on. Au fil des décennies, près de 80 noms ont été proposés pour être celui du véritable auteur des œuvres. Sans doute la question a-t-elle été alimentée par le fait que l'on n'ait retrouvé aucun manuscrit, explique la conférencière. Mais il faut savoir que, selon l’usage de l'époque, le manuscrit se partageait entre les comédiens, était en quelque sorte découpé pour que chacun disposât de son rôle.
Shylock
Pour en venir au Marchand de Venise, l'histoire a focalisé l'attention sur le personnage de Shylock l’usurier, poursuit Madame Goy-Blanquet — que l’on se rappelle l’interprétation du rôle par Daniel Sorano à l’Odéon en 1961. Or, il n'était pas prévu pour être le héros de la comédie, il n'intervient que dans 5 scènes sur 20.
Qui est-il ? Un marginal, un puritain austère qui observe la loi mosaïque. Les chrétiens le méprisent — l’usure est condamnée par l’église — et il le leur rend bien. Mais la notion d’antisémitisme n’existait pas à l’époque de Shakespeare, même si au Moyen Âge toutes sortes de maux étaient attribués aux juifs, même si beaucoup avaient été expulsés d’Angleterre au XIIIe siècle. Dans la pièce, seul Shylock est méprisé, aucune hostilité ne s’exerce contre sa fille, Jessica. Ce n’est pas une histoire raciale. Ultime argument : la conversion finale imposée à Shylock est faite pour le sauver du judaïsme.
Le XXe siècle et la Shoah ont changé le regard sur la pièce. Et l’on est tenté parfois de la réinterpréter à la lumière de ces événements tragiques, ce qui explique certaines contestations. Il ne faut pas oublier que Shakespeare n’est pas notre contemporain.
Venise et Belmont
Avec cette comédie on entre dans une Venise de marchands, qui s'ouvre vers le large, les vaisseaux sont affrétés pour l'Orient et reviennent chargés d'épices. Histoires d'argent, de créances et de naufrages, histoires d’amitié et de loyauté, entre Bassiano et Antonio, histoires d'amour aussi. Car à l'écart de Venise, vit un autre univers, le château de Belmont où la jeune Portia attend Bassiano : Pourra-t-il l’épouser ? Réussira-t-il l’épreuve des trois coffrets ? La pièce mêle ainsi les sujets et les genres, le conte, l’intrigue amoureuse et l’étude de mœurs.
La conférencière ne ménage pas les informations sur l’œuvre et signale traductions, adaptations cinématographiques, mises en scène, les contestations également : la pétition contre la venue à Londres en 2012 de Habima, le Théâtre national israélien, l’accusation d’antisémitisme exprimée par Claude Sarraute en 1987 à l’occasion de la mise en scène de Luca Ronconi à l’Odéon, le choix de Peters Sellars qui situe la pièce à Venice en Californie après les émeutes de Los Angeles en 1992, la déclaration de Peter Brook : « Je ne la monterai jamais tant qu’il y aura un antisémite au monde. »
Tout est dit pour que le 17 mai le public de Coye-la-forêt, désormais averti grâce à Dominique Goy-Blanquet, accueille au mieux Venise, ses marchands, ses affaires et ses jeux amoureux. Nul doute qu’il sera curieux de découvrir la mise en scène de Pascal Faber.
Marathon Shakespeare à Londres :
Claude Sarraute : http://www.ina.fr/video/I00018970
Claude Allègre à propos d’une représentation à la Comédie française en 2001 :
http://www.lexpress.fr/informations/le-marchand-de-venise_646563.html
Peters Sellars : http://www.lexpress.fr/informations/le-marchand-de-venice_600853.html
Pascal Faber et Le Marchand de Venise :
http://www.theatreonline.com/Spectacle/Le-marchand-de-Venise/48833#infospectacle
PARTAGER |
Laisser un commentaire