Du pain plein les poches
De Matei Visniec
Théâtre de l’Exil – Calliope
Mise en scène : Christian Besson
Le choix est cornélien : Au moment où l’équipe de France en pleine reconstruction affronte l’Écosse, en province loin des inondations sociales et météorologiques, sous le regard narquois d'une majorité qui ne sait plus à quel saint se vouer... ; en pleine contre révolution où la barbarie des élites fait jour face au jusqu’au boutisme des masses défavorisées exclues du bonheur et victimes des pannes répétées de l’ascenseur social ; le Centre culturel de Coye-la-forêt prend le pari de réunir post festival les oubliés de la Culture, les amateurs de théâtre, pour combattre la morosité ambiante dans un texte de Matéi Visniec « Du pain plein les poches », en écho probablement aux madeleines que Marie-Antoinette voulut un jour distribuer pour calmer la foule assemblée au pied de son château !...
La chose pourrait être amusante, le pied de nez jouissif, l'absurdité de la situation aussi perceptible que la noirceur du texte et de l'histoire qu'elle raconte...
On se prend à rêver que la culture va peut-être y retrouver lettres de noblesse en voyant que la salle se remplit peu à peu, que le cercle de fidèles s’agrandit… Environ 120 personnes se sont déplacées, et la salle est honorée de la présence du premier magistrat de la cité ainsi que par quelques têtes bien connues des amateurs de la chose théâtrale...
Matei Visniec
De l'auteur, j'avoue que je ne connaissais pas grand chose il y a encore trois mois quand, autour d'un café, Thierry me glissa son nom à l'oreille... Roumain d'origine, Matei Visniec quitte sa terre natale, devenu auteur interdit à la fin de années 80. Auteur contemporain prolifique, plus d’une quarantaine d’œuvres et pièces en font aujourd'hui l'un des auteurs les plus joués à Avignon, souvent présent sur les planches parisiennes... Prix coup de coeur de la presse à Avignon en 2008, puis 2009, Prix Européen de la SACD en 2009, il se taille peu à peu une réputation qui incite à venir...
Le texte appartient sans aucun doute au théâtre de l'absurde, la filiation aux Camus, Kafka, Ionesco, Beckett sonne comme une piqûre de rappel ! La manipulation des hommes par les « grandes idées » appartient au répertoire que ceux de mon âge ont appris avec douleur ou délectation sur les bancs de l'école républicaine, dans un pays où il faisait encore bon vivre et où la liberté de pensée individuelle était célébrée comme le vernis nécessaire à la défense des idéaux… Je vous parle d'un temps que les moins de trente ans n'ont probablement pas connu, sauf à avoir eu la chance d'être enseignés par quelques professeurs de lettres ayant encore pour la chose théâtrale un engagement sans limite !... Matei, qui n'a probablement pas connu pareille félicité, se rit des maux avec de simples mots, il rend comique une situation dont la noirceur n'est pas sans rappeler le roman policier américain des années trente, celles de la grande dépression... En ce temps-là les ministres de la Culture n'avaient encore rien de sinistre, bien que leurs desseins fussent tout aussi objectivement de nature à mettre en péril le fragile équilibre...
Un puits
Et l'équilibre dont il est question est la force même du jeu des deux acteurs du soir, Thierry Charpiot, bien connu des Coyens, et Georges d'Audignon son complice. Georges n'est pas totalement inconnu en cette terre Ch'ticarde et vous l'avez sans doute reconnu si vous avez eu la chance d'assister à la représentation des « Réveillés de l'ombre » en mars dernier...
La mise en scène, de Christian Besson, fidèle au texte, est au service de celui-ci, comme si tout autre artifice avait été interdit pour ne coller qu'au texte. Un peu comme celle déjà évoquée du texte d'Alain Cadéo, qui nous avait enchantés avec déjà Thierry et Pierre Pirol que vous avez sûrement reconnu dans la salle hier soir !...
Voilà, le décor est planté, la pièce peut commencer !... Au milieu se dresse un puits qui va trouver ici une bien étrange signification : Est-ce un puits de lumière, un puits à eau, un puits perdu, puisard de nos illusions, ou un puits à souhaits comme dans les vieilles légendes celtes ?
Je refuse de vous livrer la solution et vous invite, puisque vous avez raté l'occasion de vous divertir pour d'autres futilités, à rechercher par vous-même la fin !
Sachez, bonnes gens, que vous avez manqué l'essentiel, et si la France pendant ce temps battit l’Écosse par 3 - 0, célébrant son nouveau buteur Giroud pour faire enfler la rumeur, si le public de Saint-Symphorien a justifié tous les espoirs placés en lui, acclamant le sélectionneur national ; les spectateurs de Coye n'ont pas été de reste pour bisser les acteurs de cette agréable moment de culture intemporel...
Ah, j'allais oublier de célébrer ici aussi à leur façon les deux acteurs, qu'ils me pardonnent de la lenteur et longueur de mon texte : ils apparaissent comme deux pantins, guidés par d'étranges fils et un marionnettiste absent. On se surprend à regarder leurs costumes presque comme deux uniformes, amplifiant les mots d'une image prégnante liée aux pardessus sombres... Puis le drame avançant, ils regagnent peu à peu leur humanité, marqués par la théâtralité d'un lever de chapeau (bas !...) et d'une claudication qui s'alterne sous le feu de la colère qui monte... Un duo d'amis à la ville qui se tance et se dénonce à la scène. Bel exercice de contrôle et de maîtrise. Merci, Messieurs, vous fûtes en tout point dignes de ce texte !...
Voir site de Matei Visniec : http://www.visniec.com/accueil.html
Voir coye29 : Les réveillés de l’ombre
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6 commentaires
Commentaire de: Solen Visiteur
Conquise par cette pièce délicieuse.
Conquise par l’interprétation parfaite(-ment drôle) de cette déviance ancrée chez quelques beaucoup de spécimens humains (conscients ou non?) qu’est la mauvaise-foi. Sur scène qu’elle m’a semblé drôle! Du coup.
Pièce qui fait du bien… Evidemment aussi. A la profonde humaniste que je suis.
Et puis c’est tout, non mais!
Allez la voir, faites la vivre. Quoi de plus beau et de plus vivant que M Théâtre quand il est si superbement incarné.
Chouette moment qui laisse des pépites de joie dans mon coeur. Et l’envie que d’autres représentations suivent. :-)
Commentaire de: Marie Louise Membre
Depuis samedi je me demande : Qui nous jette du pain ? Je demande à mes amis. Autant d’avis que de personnes. C’est fait pour, bien sûr. Pour que l’on cherche.
Bravo au metteur en scène et aux comédiens pour avoir choisi ce texte. Ça n’a l’air de rien d’abord : deux personnages, qui n’ont même pas de nom. Et pour tout décor un puits central sur lequel tombe la lumière et autour duquel vivent, passent et tournent les deux hommes. Dans le puits, apprend-on ensuite, il y a un chien. On l’entend hurler parfois. Une situation atroce et simple. Comment vivre cela ? que ferait-on en pareil cas ? L’auteur propose les options des deux personnages. On ne sait qui ils sont, ce pourrait être vous ou moi, monsieur Tout-le-monde, l’auteur les appelle sur le papier l’homme au chapeau et l’homme à la canne.
Sur scène, pour que le spectateur s’intéresse à eux, il faut qu’ils aient du corps. Donc les comédiens ne se contentent pas du chapeau et de la canne pour se différencier. Les corps parlent. Il y a le conformiste, le moraliste – Georges d’Audignon – qui veut se donner bonne allure, se tient droit, coincé dans son pardessus bien boutonné, lunettes d’intello, pas mesuré, le chapeau cache un peu le visage, c’est pratique. Lui il veut de l’action, sauver le chien, aller chercher une échelle, une corde. Mais la moindre objection l’arrête. L’action, il en parle, c’est tout. Le comédien excelle dans ces hésitations entre la fermeté et le recul. En face, l’homme à la canne boite, allure de vagabond, peu soigné dans son pardessus flottant, les cheveux longs. Thierry Chapiot lui donne une dynamique. Il boite mais il est sans cesse en mouvement, souple, le sourire souvent ironique ou méprisant. C’est l’homme de doute, qui argumente, qui conteste les affirmations de l’autre, utilise la mauvaise foi et manipule. Avec ces deux-là, le chien est mal parti, vous vous en doutez. Tout ce qu’on fera pour lui, c’est lui jeter du pain.
Avec une mise en abyme, un emboitement inattendu, nous nous retrouvons à la place de ce chien à qui l’on jette du pain et que personne ne tirera du puits. L’horreur ! Image de la condition humaine à qui une quelconque divinité consentirait quelques faveurs pour qu’elle ne périsse pas complètement ? Image du puissant qui fait la charité, du patron qui ne licencie qu’une moitié du personnel pour garder l’autre ? Image du politique qui jette quelques réformes pour calmer les électeurs ? Sans vouloir jouer au pédant, on pourrait penser au « panem et circenses » : Du haut du puits, amusez le chien en lui parlant, jetez-lui du pain, vous serez tranquille.
NB : J’ai parlé du jeu, de l’expressivité et de la conviction des comédiens. Mais tout aussi importante, la diction parfaite pour que le spectateur entende vraiment tout le texte. Et ce n’est pas courant. Bravo !
Commentaire de: Alexia Visiteur
Une pièce drôle et qui fait réfléchir!
J’ai été complètement transportée; d’autant plus par la qualité de jeu des comédiens qui était excellente!
Bravo!
Commentaire de: Jean-Claude Visiteur
J’ai eu le plaisir d’assister samedi soir à une très belle soirée de théâtre.
Un texte drôle, émouvant, absurde parfois mais qui nous emmène à la réflexion et qui ne laisse pas indifférent.
Une mise en scène sobre,efficace et des comédiens inspirés qui nous emportent avec eux au fond du puits .
Du théâtre comme on aimerait en voir plus souvent !
Merci à toute l’équipe et bon vent à cette pièce
Commentaire de: Zohra et Moïse Visiteur
La pièce est magnifiquement jouée par les deux acteurs, mélangeant drame, désinvolture et ego, elle reflète bien la condition humaine. Nous avons passé un excellent moment.
Merci le théâtre
Commentaire de: laurent saint-germier Visiteur
les termes de spectacle vivant prennent ici tout leur sens.
la vie est parfois absurde, drole, triste, divine… qu’elle soit réelle ou scénique.
un grand bravo admiratif à l’interprétation magnifique de Georges et Thierry