Tempête dans les toiles
51e Salon des Beaux Arts
Art contemporain
Samedi 26 novembre, le vernissage
La tempête s’est annoncée par un petit coup de vent sur l’affiche et le carton d’invitation : Art contemporain, pouvait-on lire. Et les œuvres reproduites du peintre Nicolas Nief et du sculpteur Alex Labejof ne faisaient pas mystère de ce qui attendait le visiteur du salon : on entrait résolument dans le non figuratif.
Le hall du Centre culturel ouvrait la voie à ceux qui se rendaient au vernissage samedi en fin d’après-midi : Trois sculptures d’Alex Labejof arrêtent le regard, compositions de pierre et de métal en forme de totems, ainsi que qu’une forme plus ramassée dont la masse de marbre vert peut suggérer la tête d’un poisson vidée de son œil — ah ! la manie de se référer au figuratif ! Les toiles de Nicolas Nief suivent ensuite le chemin qui mène à l’exposition elle-même : avec les couleurs toniques de formes planes juxtaposées, le visiteur se prépare ainsi à découvrir le 51° Salon.
Nicolas Nief
Avant le vernissage, temps libre pour faire la connaissance des deux artistes invités d’honneur. Sa peinture nous dit déjà que Nicolas Nief est enthousiaste. La joie des couleurs est là. Il est jeune, il parle facilement de sa passion : « La gaieté de mes toiles ? C’est en réaction à une certaine complaisance à se lamenter. Je veux une forme d’énergie. Ma peinture correspond à ce que j’aime voir dans les œuvres.
Comme la photo est omniprésente et nous présente en quelque sorte un monde lissé, je veux montrer au contraire que le monde est composite. Je suis donc dans une logique de collage de formes qui se dispersent ou se rassemblent. Je laisse volontairement les traces des surfaces que j’ai arrachées à d’autres supports, car les accidents enrichissent la toile.
Je peins selon une logique de paysage, mes toiles sont des cartographies de paysages. La couleur est primordiale. Il m’est arrivé d’exposer dans des églises, et j’avais remarqué que, faute d’éclairage, mes tableaux s’éteignaient. J’ai donc travaillé la couleur jusqu’à ce qu’elle vibre. J’ai commencé par le dessin et je suis venu à la peinture grâce à l’attrait pour la couleur. Sur une toile, je travaille en alternance la couleur et le dessin, c’est une sorte d’échafaudage qui monte jusqu’à un ultime point de tension.
Parallèlement à mon activité de peintre, je suis médiateur culturel au Quadrilatère de Beauvais (ancienne galerie nationale de la tapisserie) dédié à l’art contemporain. C’est très agréable car je reste au contact des œuvres.»
Alex Labejof
Si les toiles du peintre sont rassemblées à l’entrée de l’exposition, les sculptures d’Alex Labejof se méritent par un parcours dans le dédale des salles. Artiste reconnu qui expose des œuvres monumentales dans plusieurs pays, avec simplicité il commente à Coye-la-forêt son travail avec la pierre et le métal. « J’appelle l’alliance de ces deux matériaux des métalithes. Avec des formes qui s’imbriquent, mon travail se rapproche de l’architecture ; je travaille dans le monumental et j’aime les transparences, montrer aussi l’action de l’homme sur la nature. » Ce que l’on remarque dans l’œuvre, c’est qu’elle est presque toujours « trouée ». « Car le vide est une matière, répond le sculpteur, l’espace est un faux vide. Je commence par percer et je travaille autour du trou. Il faut « creuser son trou », ajoute-t-il en riant. L’harmonie se fait à partir des différences entre les matériaux ou les formes. Je suis né moi-même d’une différence. Si l’harmonie existe, c’est qu’il y a des différences. Je m’engage dans ce que je représente, dans le temps où je vis. On peut dire que c’est abstrait, mais c’est actuel.
Je sculpte depuis trente ans, je suis tombé dedans. Et ma passion, j’en ai fait mon métier. »
Pour appréhender ces sculptures, il faut les voir sous plusieurs angles, tourner autour, lever les yeux, éprouver la lourdeur d’une masse ou la légèreté d’une colonne. Cerner les vides quand l’œil est agacé par ce qu’il voit derrière et qui lui semble importun. Se rappeler alors que « le vide est une matière », une transparence …
La tempête
Avant que ne s’entendent les discours de vernissage, il reste un peu de temps pour parcourir les allées et découvrir le Salon d’un premier coup d’œil.
Le constat est fait : c’est bien une tempête qui secoue l’institution. Toiles de grand format, abstraction, jeux de couleurs, de lignes, d’oppositions. De nouveaux noms — Jean-Louis Fassi, Michel Frichet, Marie-Jo Dilly — brouillent les repères des habitués. Où sont passés les orchidées de Christine Athlan, les barques de Martine Clenet, les calanques de Michel Jamet, les pastels de Laurent Chantraine? Les paysages de neige de Jacques Ringenbach, le Pont de Précy de Georges Seureau, le Port d’Etienne Niederlender ? Engloutis. Le vent nouveau du modernisme, de l’évolution, de l’art contemporain les a fait vaciller. Plus de rivières, plus de chevaux, de bateaux, de jeunes filles en fleurs, plus de chats, d’oiseaux, tout est parti, envolé ! Pas tout à fait quand même, vous retrouverez Jean-Marie Delzenne et la Ferme de Coye, les papillons de Jacqueline Gazonnois, la Vierge à l’enfant de Michel Formentin… les gratte-ciel d’Idka. Ils seront autant de clins d’œil amicaux pendant votre parcours.
Ne pas se laisser aller à la nostalgie, avancer, accueillir les nouveaux, les jeunes pleins d’énergie comme Nicolas Nief, suivre le vent et découvrir ce qu’offre l’imaginaire des créateurs. Entrer dans l’imaginaire, décoller de la réalité. Cela peut être douloureux, difficile parfois, mais c’est plein de surprises et vivifiant… Pierre Vallod nous avait déjà bien habitués à ces coups de vent avec Strait, Pam ou José Requéna. En homme de la mer, il préparait sa tempête !
Les discours
La salle s’est peu à peu remplie, les visiteurs sont en grand nombre autour du pupitre pour entendre les discours traditionnels de vernissage.
Monsieur le maire se dit « ravi d’accueillir l’assistance pour ce 51° Salon » et rappelle le passé du Salon qui ne fut d’abord qu’un modeste salon de peinture dans un préau d’école, est devenu le Salon des Beaux Arts au Centre culturel avant d’être celui de l’Art contemporain.
A son tour, Pierre Vallod, le président de l’association des Beaux Arts, souligne l’importance de ce 51e salon qui commence une histoire nouvelle avec des artistes professionnels de grande qualité, et salue le travail de Jean-Bernard Hirgair, organisateur de la manifestation. Outre les deux invités d’honneur — l’éloquent président ne manquera pas de dire quelques mots sur leur art —, il mentionne la présence d’un maître graveur mondialement connu, Akemi Noguchi, qui présente à Coye une série intitulée Nuage, réalisée avec le procédé de la « manière noire », et à qui il remet la médaille du Salon. Et c’est Laurent Marre qui reçoit la seconde distinction, le Prix de la Municipalité, pour les deux toiles qu’il expose, « Précipité ».
Des applaudissements nourris et chaleureux signalent la clôture de la cérémonie et engagent artistes et public à honorer le buffet. Ce qu’ils ne manquent pas de faire.
Le 51e Salon des Beaux Arts peut commencer. Place aux visiteurs pendant toute la semaine.
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L’article rend bien compte du changement qui saute immédiatement aux yeux quand on pénètre dans la salle 2 au fond du centre culturel.
Querelle des anciens et des modernes, des amateurs et des professionnels, des peintres du dimanche et de ceux de la semaine ?
On sait que la querelle est vaine. Il est des artistes professionnels tout à fait médiocres qui, pour vivre, fabriquent de la soupe, et des amateurs passionnés qui, n’ayant rien à vendre, consacrent tout leur temps et tout leur cœur à leur création.
Et puis l’inverse aussi : il est des amateurs besogneux et sans talent, et des professionnels sincères et engagés, en perpétuelle recherche, qui ne concèdent rien à leur éventuelle clientèle.
Les artistes exposent, et donc ils s’exposent… y compris à la critique.
Les exposants aussi.
Les artistes sont libres. Les journalistes aussi. La plume n’est pas serve, et l’invective n’y changera rien.
Au demeurant, coup de vent n’est pas coup de balai.