Des musiciens sur le chemin d’Emmaüs (Erquery)
Concert du samedi 18 mars 2017 / Collectif Solidarité Coye
Vif succès pour ce concert. Les spectateurs se pressaient nombreux à l’entrée du Centre Culturel car les objectifs de Solidarité Coye touchent aux valeurs fondamentales des Coyens. Souhaitons que les membres du collectif et sa présidente Véronique Uzan recueillent à l’occasion de cette seconde édition de la manifestation, un fort soutien de dons à la communauté Emmaüs d’Erquery.
L’affluence que l’on pouvait estimer dans la salle à près de deux centaines de personnes de tous âges et de tous horizons montre qu’il n’est pas vain de s’adresser aux qualités humaines des citoyens de bonne volonté. Le choix de l’organisation d’un concert pour prétexte à cette quête illustre de façon magistrale la vertu de l’art et du langage musical à rassembler des personnalités très diverses. La musique vivante, interprétée par des musiciens de qualité, permet sans contrainte d’obtenir une écoute dont la société perd souvent l’usage. Chacun se surprend alors à mettre en éveil sa propre sensibilité et à découvrir une émotion particulière aux mélodies.
Nous devons à l‘implication de Marina Chamot, flûtiste professionnelle coyenne, la réunion des six autres participants. Comme elle, ils sont musiciens membres de l’Orchestre de Chambre de Paris et dotés de la générosité qui, au profit d’une belle cause, leur fait accepter bénévolement l’éloignement de chez eux, le travail des répétitions et l’investissement personnel important que requiert un concert.
Deborah Nemtanu | violon
Marie Duquesnoy | violon
Anne Brugger | alto
Livia Stanese | violoncelle
Marina Chamot | flûte
Florent Pujuila | clarinette
Henri Roman | basson
Bach, Haendel, Mozart, Rossini, Pujuila et Rimsky-Korsakov
Il n’en faut pas moins à l’ensemble pour s’imposer dans un programme varié et de haute tenue. D’autant que cette formation, réduite à sept artistes, a dû rechercher des pièces musicales appropriées à leurs instruments. Les morceaux qu’ils ont choisis sont donc pour la plupart des arrangements pour effectifs plus importants, au risque de changements de caractère, de timbres d’instruments, de tessitures etc.
Bien sûr, on est habitué à entendre sonner autrement l’Ouverture de la Suite française BWV 1066 de Jean-Sébastien Bach. Mais le talent des interprètes est tel qu’ils nous font oublier par leur conviction et leur virtuosité, l’absence du clavecin et des deux hautbois. La flûte de Marina Chamot et la clarinette de Florent Pujuila en dialogue auprès du basson de Henri Roman font merveille, et les quatre cordes ne sont pas en reste, remplaçant un orchestre entier. L’engagement des sept fait plaisir à entendre, aussitôt appréciés par un public conquis.
La Passacaille à variations pour clavecin de Haendel est encore plus surprenante car le thème baroque plutôt court est repris en douze variations bien plus tardives écrites pour violon et alto par le norvégien Johan Halvorsen (1864-1935). Nous entendons donc avec plaisir Deborah Nemtanu au violon et Anne Brugger à l’alto dans des variations au style inattendu, pleines de fantaisie, fruits d’une imagination quasi avant-gardiste pour l‘époque de leur composition.
Dans le quatuor de Mozart qui suit, on attend à l’origine un hautbois en solo, mais le basson soliste d’Henri Roman reprend l’affaire avec brio. Le quatuor, transposé, est d’une quinte plus grave que l’original. La salle Claude Domenech confère une intimité favorable à sa nouvelle couleur, les quinze minutes de ce petit concerto charment. C’est Mozart qui passe…
Puis la flûte, la clarinette et le basson offrent ensemble l’Ouverture de l’Echelle de soie opéra de Rossini. L’ambition du trio est manifeste de rivaliser avec un orchestre entier. Le pari est amusant et conduit chaque artiste à présenter des preuves de virtuosité. L’humour habituel de Rossini rend le propos léger et plaisant.
Plus ambitieuse est l’œuvre de Florent Pujuila que les mêmes (dont, bien sûr, Florent Pujuila) interprètent ensuite. Le texte de La Loreley, poème de Guillaume Apollinaire, est découpé en pièces de deux versets déclamés par chaque musicien à tour de rôle, avant d’être illustrés en musique. La forme contemporaine de cette musique ne déconcerte pas. Elle s’empare du drame moyenâgeux et le met sans romantisme à la portée de notre écoute curieuse.
Le trio flûte, clarinette et basson se conclut par un arrangement du fameux Vol du bourdon de Rimsky-Korsakov : ce morceau d’anthologie est toujours remarquable d’expressivité réaliste et de virtuosité. Il fait la joie des oreilles, y compris celles des non mélomanes. C’est toujours une fête que de l’entendre jouer par trois musiciens à la technique époustouflante.
Surprise : Les tangos
Le programme promet des surprises en arrivant vers la fin. Le public retrouve avec bonheur les sept artistes au complet. Ils terminent le concert par un choix de petits chefs d’œuvre, tangos d’inspiration populaire tels que La Ballade du souteneur extraite de l’Opéra de quatre sous de Kurt Weil ou Adios Nonino d’Astor Piazzola. On réentend la sonorité des cordes très présentes mettre en valeur la vivacité incisive des autres instruments.
Les applaudissements sont évidemment nombreux et mérités. Le public, ravi, obtient un bis de musique cubaine à laquelle il participe en chantant et en tapant des mains.
Emmaüs : La communauté d’Erquery
Puis Frank, responsable Emmaüs, qui est venu ce soir avec six réfugiés-migrants accompagnés de deux bénévoles, conclut la soirée en remerciant et en rappelant entre autres que la communauté d’Erquery est une communauté liée à Emmaüs-France, indépendante au niveau de sa politique d'accueil et de gestion. Elle ne reçoit aucune aide de l'État. Elle est liée aux Communautés de Calais, Dunkerque et Grande Synthe qui accueillent des réfugiés migrants avec les difficultés qu’on connaît.
A Erquery, il y a actuellement vingt-sept compagnons, hommes, femmes et une famille élevant trois enfants. Tout ce monde, composé de quatorze nationalités différentes, vit et travaille en concertation. Franck nous fait ainsi remarquer que la peur de l’autre peut être dépassée et que c’est une richesse de partager à partir de nos différences. Ces exilés ont des besoins divers, ne serait-ce que de papiers dont l’obtention est payante.
Il rappelle aussi la dure condition des migrants, en particulier celle qui est imposée aux enfants. Leurs décès dans des accidents de toutes sortes, tant dans leurs tentatives de traversées de la Manche que dans celles de la Méditerranée, sont nombreux. Il souhaite que soit enfin respecté l'article 13 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme :
1. Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un État.
2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays.
Ce soir du 18 mars à Coye-la-Forêt, la musique avait sa juste place au service de la solidarité, pour la reconnaissance des besoins et des droits fondamentaux de tout être humain.
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Quelle belle soirée, généreuse et chaleureuse ! On se laisserait aller à rêver : il est possible d’écouter et de partager.
La musique d’abord, puis les mots du responsable d’Emmaüs, sans emphase, simples et sincères, nous sont allés droit au coeur.