La Bataille d’Eskandar
De Samuel Gallet
Mise en scène et dramaturgie du Collectif Eskandar
Vous écouteriez ce discours :
« Il fait sombre… la terre tremble sous mes pas… Il y a un violent incendie… Je suis angoissée… soudain, autour de moi, les murs s’écroulent… toute la ville est en feu… elle s’appelle Eskandar… il se produit une terrible catastrophe : le pays n’est que destructions… Dans ses ruines, je vois de grands animaux… des éléphants… des cerfs… des lions géants… qui se promènent en liberté… Ils se sont échappés du zoo… Un lion féroce dévore un homme… Il y a du sang partout… Mais maintenant, je m’appelle Madame de F… oui, un nom à particule…et mon jeune fils armé d’un couteau est avec moi. J’ai un fusil… je tire sur les lions… je vise tout ce qui me fait peur… »
Vous pourriez alors vous imaginer dans la peau d’un psychanalyste, mais ce n’est pas le cas ! Vous êtes un spectateur de théâtre. La femme qui parle n’est pas étendue sur un divan, elle se trouve sur la scène côté cour, accablée sur une chaise. Son état et son discours sont décrits, repris, commentés, complétés par un récitant debout derrière un micro au centre d’un dispositif en demi-cercle formé au jardin par un long instrumentarium varié, avec le percussionniste qui lui est attaché, et, à la cour, par une violoncelliste assise derrière son violoncelle et un clavier.
Les personnages sont donc au nombre de quatre, tous vêtus de jeans. Tel est le sobre décor que nous découvrons au début de la représentation. L’éclairage teinté de bleu se précise sur la comédienne tandis que la musique commence et que le récitant prend la parole. Il la partagera alternativement avec l’héroïne.
Il nous raconte l’histoire d’une femme « au bout du rouleau ». Elle n’a plus d’énergie, plus d’argent pour honorer ses dettes et va être expulsée de son logement. Sans l’espoir de se refaire une vie, elle ne trouve que l’issue de s’en rêver une autre. Une nouvelle réalité s’offre subitement, telle une catastrophe. Un séisme ! Elle tombe ainsi dans l’abîme décrit plus haut, devient Madame de F. etc.
L’aventure de Madame de F… ou du moins son récit, ne se termine évidemment pas lors de son combat contre les lions, Madame de F… poursuivra dans Eskandar son rêve éveillé surréaliste. Elle y rencontrera un autre personnage de fiction lui aussi armé qui lui ressemble au masculin, persécuté par un certain Jean D. Puis elle égarera son fils. Puis elle le retrouvera récupérant son couteau logé dans le ventre d’un huissier, un de ceux, peut-être, qui venaient expulser sa maman etc. etc. Enfin le fils, ou plutôt le récitant reprendra la parole et conclura en laissant entrevoir une suite à cet épisode Eskandarien.
Mises de côté les cruelles infortunes de l’héroïne, l’ensemble du spectacle ressemble à un conte fort bien dit, accompagné d’une musique inspirée, plutôt qu’à une expression théâtrale mise en scène. La sobriété voulue et quelques déplacements avec enfilage de blouses blanches n’entraînent pas le lyrisme qui devrait emporter la réelle poésie du texte. Par exemple on y parle de séisme, mais, depuis son fauteuil, de séisme, le spectateur n’en ressent guère, condamné qu’il est à tout imaginer de la bataille. Eskandar ne devient ni Ys, ni Troie, ni Carthage malgré le soin apporté à l’environnement musical et le professionnalisme évident de chacun des interprètes. Ces considérations n’empêchent pas les nombreux applaudissements bien mérités par l’engagement des comédiens et par le travail méticuleux du groupe en particulier sur les couleurs de la musique et celles des éclairages. Au prochain rendez-vous avec Eskandar, l’émotion sera présente.
LA BATAILLE D’ESKANDAR De Samuel Galle
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2 commentaires
Commentaire de: Marie Louise Membre
Commentaire de: francoise Membre
Le spectacle est envoûtant, sobre, juste, sans aucun pathos, sans aucune fausse note dans le jeu des acteurs et celui des musiciens.
Pas besoin de fauteuils qui tremblent comme dans les parcs d’attractions. On ressent l’horreur d’une vie quand les bêtes féroces sont lâchées, quand un enfant disparaît. On comprend le soulagement d’être enfin quelqu’un, d’avoir enfin un territoire que l’on peut défendre avec ses propres armes, où l’on peut accueillir plus démuni que soi. Ou bien le soulagement de voir l’enfant reparaître avec un huissier rendu inoffensif.
La fin est déroutante. Que sont ces vêtements qui tombent en poussière ?
Oui, cette femme sur scène, remarquablement interprétée par Pauline Sales qui donne au personnage une force et une présence formidables, certes est accablée. Mais pas du tout prostrée. Le séisme elle le vit, elle le connaît, car l’expulsion est un séisme. Une vie balayée, arrachée, un gouffre vertigineux devant soi. Sa révolte, c’est la création d’un rêve extravagant où la ville s’effondre, devient champ de ruines, comme sa propre vie, et d’où surgissent des animaux qui prendront toute la place, et que l’on imagine, avec crinières, défenses, griffes. Ce qu’elle voudrait avoir.
La réussite du spectacle est d’entraîner le spectateur dans le rêve, grâce au talent du conteur, Samuel Gallet, à la force des mots, à la poésie toujours là. Et grâce à la musique. Une cascade de sons, de mélodies sortis des nombreux instruments à percussions, de la batterie, du clavier et de l’émouvant violoncelle. Si l’on écoute les mots et la musique, cela suffit, le rêve est là, et nous en sommes les habitants pour une heure. C’est un privilège. Ne pas raisonner ni s’agripper à un monde connu et rationnel, mais accepter d’entrer dans l’imaginaire de cette femme. Et l’on décolle…