Le Fils
De Jon Fosse
Mise en scène Jean-Paul Dubois
Une passionnante « Première » représentation réalisée en coproduction.
La muse de l’éloquence et de la poésie épique (Calliope) semble avoir exaucé les vœux de Thierry Charpiot et de Jean-Paul Dubois, deux artistes qui se sont fortement investis pour monter « Le Fils », pièce de Jon Fosse dont l’œuvre participe à l’évolution du théâtre contemporain. Le comédien coyen et son compère ont mis toute leur énergie, leur ténacité, leurs compagnies (Calliope et le Fil Rouge) dans le projet du « Fils » et ont convaincu l’équipe du Festival Théâtral de Coye-la-forêt de coproduire, cette remarquable représentation. Ils sont à présent récompensés non seulement par le succès de leur entreprise, mais aussi par la présence fervente du public qui a applaudi leurs qualités respectives d’acteur et de metteur en scène.
Jon Fosse, auteur norvégien est marqué par l’atmosphère de son pays. Il semble y avoir installé ses personnages mais ne précise pas dans son texte ce lieu. Il laisse le spectateur approcher par l’imagination le cercle arctique où ce n’est pas la fête tous les jours lorsque vient l’hiver. D’ailleurs, peut-on parler de jours quand la lumière devient si rare.
L’action de « Le Fils » se situe dans un village isolé. L’obscurité s’y installe pour durer. La vie y est avare de signes. On apprendra vite que la plupart des habitants ont abandonné leurs demeures, que d’autres sont morts. Il n’y a de lumière que chez le voisin, un homme usé par l’alcool et ses excès.
La représentation se déroule dans un décor unique réduit à quelques meubles, une table, des chaises, un banc et une fenêtre, qui occupent le séjour d’un couple d’âge mur : un mari et sa femme, sûrement ? Ils n’ont que la ressource de se parler afin d’alléger le poids de la solitude qui les environne. Leurs paroles découpent d’une façon curieuse le silence ambiant et intriguent l’auditeur par leur articulation et par leur rythme. Le texte de Jon Fosse sonne comme de la musique : il utilise les répétitions de mots, les ressassements de discours comme autant de percussions sonores. La simplicité des paroles, la modestie du langage et sa curieuse organisation engagent les spectateurs à reconstituer d’eux-mêmes le drame en imaginant ce qui se passe derrière les mots, par exemple que dans la maison règnent l’ennui, l’attente et surtout le manque d’un grand absent : « il » ou « lui » tant de fois répétés, c’est-à-dire « le fils absent ? »
Ainsi le mari et sa femme présumés sont devenus par le bon sens de l’auditeur le père et la mère d’un fils qui s’en est allé depuis longtemps parce qu’il n’a pas supporté l’ennui de son village ni son peu d’avenir. La mère soupire : « Il ne voulait plus avoir affaire à nous » On apprend aussi qu’à la ville ce fils vivrait de musique, qu’« il » se serait mis à boire, et que le voisin aurait entendu dire qu’ « il » (le fils, encore) avait fait de la prison.
Le drame est noué : le voisin, épié à la fenêtre par le père, est parti à la ville le matin. Il en revient le soir dans l’ombre en compagnie d’une autre ombre : peut-être est-ce celle d’« il » (le fils) ? suggère le père. Peut-être sont-ils tous les deux ivres ?
Difficile de résumer tellement nombreuses sont les allusions offertes aux spectateurs par les silences et les économies de langage : presque par surprise, le fils si espéré apparait enfin à ses parents sans avoir prévenu. Après une confiance à peine rétablie, les parents lui rapportent timidement les soupçons de prison pour vol entretenus par le voisin et manifestent de l’inquiétude. Ledit voisin arrive en habitué peu après. Il est à moitié ivre, essoufflé, à la limite d’une crise. Le fils, lui aussi alcoolisé, fait une scène violente et lui reproche d’avoir inventé cette histoire de prison. Le voisin, de plus en plus agité affirme le contraire jusqu’à tomber mort, victime d’un infarctus.
La nuit passe. « Il » (le fils) qui se sent peut-être coupable de la mort du voisin, abandonne de nouveau ses parents après son trop court séjour, emportant avec lui ses secrets et le mystère de ses départs, les laissant à leur navrante solitude.
Ce résumé ne rend évidemment pas justice à la tragédie qui se joue sous les mots. L’ambiance et la qualité de la représentation, le clair-obscur magique, les bruits procèdent de la rigueur de la mise en scène : les comédiens sont soumis à une précision méthodique. Ils sont quatre à rythmer l’originalité d’un texte poétique inhabituel, à dessiner comme des rochers de solides personnages et à les déplacer malgré cela avec la vivacité ou la langueur qu’il convient. Tout cela exige un grand travail et une concentration dignes des applaudissements nourris qui ont conclu ce spectacle d’exception.
A la sortie des spectacles, le Festival organise dans le hall des réunions qui permettent de rencontrer les acteurs et artisans des compagnies plus détendus après les saluts, de leur poser des questions et d’avoir des entretiens passionnants et instructifs avec eux. Tous ceux du « Fils » se sont prêtés au rendez-vous. Ceux qu’on voit sur la scène : Véronique Boutroux (La Mère), Thierry Charpiot (Le Père), Raphaël Fournier (Le Fils), Michel Gravero, (Le Voisin) et ceux qu’on ne voit pas : Jean-Paul Dubois (Mise en scène), Frank Martin (Lumières), Yaël Haber (Scénographie) et Massimo Trasente (Création sonore) ont été de nouveau chaleureusement écoutés et encore applaudis.
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3 commentaires
Commentaire de: Audouin Visiteur
Il retrace bien l’ambiance du spectacle et quelques secrets de sa belle réussite ! Je souhaite à toute l’équipe qu’elle puisse l’offrir souvent à de nombreux autres spectateurs ! Bon vent et grand merci ! Vincelette
Commentaire de: Jacqueline Chevallier Visiteur
Joffroy (un chanteur belge injustement méconnu, me semble-t-il) disait dans une de ses chansons : « Il faut trois ans à l’homme pour apprendre à parler et toute sa vie pour apprendre à se taire.»
Même chez Jon Fosse – le maître du silence théâtral – on parle encore trop ! Ce sont les propos inconsidérés du voisin sur l’hypothétique peine de prison du fils qui augmentent le tourment des parents et qui conduisent au drame.
J’entends cette question à la sortie de la salle : mais alors finalement, le fils, il a fait de la prison ou pas ? On peut se demander en retour : Qu’est-ce que ça peut nous faire ? En quoi ça nous regarde ? Qu’est-ce que ça change pour nous, spectateurs ? Chacun peut bien se raconter l’histoire qu’il veut.
Le sujet n’est pas là. Le sujet est dans le malheur que creuse une parole inconsidérée, rapportée comme ça, sans réfléchir, une rumeur ; le sujet est dans le doute que cette parole instille, y compris en nous, alors vous imaginez chez les parents ! Le sujet est dans le ravage que cette parole insidieuse provoque chez le fils, certes différemment selon qu’il ait effectivement été incarcéré ou pas, mais quoi qu’il en soit, cette rumeur finit de le détruire. Qu’importe que le fils soit innocent ou coupable (dans tous les cas il a purgé sa peine, donc on n’en parle plus, on ne devrait plus en parler) . Ce dont il est question ici, c’est de silence, de solitude, d’impossibilité de communiquer, de mort lente… et de perfidie, de parole malveillante.
Mais peut-être que le sujet est également là : dans cette interrogation du spectateur, dans cette curiosité qui n’a pas lieu d’être.
Commentaire de: Marie-Louise Visiteur
C’est glacial, c’est sombre. Une famille et trois solitudes. Quatre solitudes si l’on ajoute le voisin, tout aussi seul chez lui sans doute et qui se réchauffe à l’alcool. Les silences s’éternisent car on ne sait pas se parler. Les sentiments, les émotions ne se disent pas. Alors on parle du temps…
Ce fils, on l’a attendu, on a parlé de lui, mais on n’a pas appris à le serrer dans ses bras.
Et lui, pourquoi est-il là? Il a dû croire qu’il se réchaufferait chez ses parents. Il avait sans doute de l’espoir, mais il n’a pas un geste vers eux. Il pose son sac. Ils s’attendent tous les trois mais rien ne vient, si ce n’est une vieille colère refoulée. Alors quel soulagement de le voir repartir! On espère pour lui une vie avec la musique, des amis, une famille à construire autrement. Et la parole. Mais quand on n’a jamais parlé, ce doit être difficile de trouver des mots. Et à quoi pense-t-il dans l’autocar? Qu’éprouve-t-il?
Il n’y a pas beaucoup d’espoir dans cet univers. Pas de lumière. C’est noir comme la terre… Fuyons! Bravo aux comédiens d’avoir affronté cela.