MARX ET LA POUPÉE
De Myriam Madjidi
Cie Les Petits Plaisirs
Mise en scène : Raphaëlle France-Kullmann
Lundi 4 octobre
Marx et la poupée, c’est d’abord le titre d’un roman poignant, de Maryam Madjidi, Prix Goncourt du premier roman, l’histoire des premières heures de la révolution iranienne, vécue par une enfant, depuis le ventre de sa mère jusqu’à ses six ans. Survient alors l’exil en France, terre d’asile, où Maryam va devoir s’adapter à une nouvelle culture, faire le deuil de sa propre langue pour en accueillir une autre, puis grandir, se construire, vivre, aimer. Ce roman passionnant se lit d’un souffle et se suffit à lui-même. Il paraît donc osé de prétendre le magnifier en le mettant en scène au théâtre. Ce défi a été remporté avec talent par la Compagnie Les Petits Plaisirs.
L’intelligence de la création a été d’abord de faire confiance à l’écriture très évocatrice de Maryam Madjidi : à l’écoute du texte, les images défilent dans l’imaginaire de l’auditeur, les scènes se mettent en place, les personnages, les couleurs, les odeurs, les sensations nous parviennent, et les émotions leur emboîtent le pas.
Mais il fallait aussi trouver un axe dramaturgique fort pour porter une telle œuvre au plateau. La clef de cette énigme, c’est la langue. Lorsqu’elle arrive en France, Maryam apprend très vite le français, mais refuse de le parler, elle s’exclut en parlant uniquement perse à l’école. Sa langue affective bloque sa langue d’accueil, la jeune fille ayant peur que son exil fasse disparaître sa langue maternelle. Lorsqu'elle finit par se rassurer, l’effet inverse se produit : elle « avale sa langue » perse et ne parlera désormais plus que français. La langue, c’est la culture, les racines, rien de plus naturel donc, que d’aborder l’exil, le déracinement, par la langue. Le génie de la création a été de raconter l’histoire de Maryam en convoquant trois langues différentes, à égalité : la musique, le français, et la langue des signes.
Sur scène, le dispositif scénographique est assez sobre : plateau nu ou presque, un micro, des instruments. Noir. Lumière : s’alignent alors trois Myriam, trois guerrières vêtues de noir, au charisme écrasant : Elsa Rozenknop, tantôt derrière un micro, tantôt simplement devant nous ; Aude Jarry, qui manie la langue des signes avec une théâtralité et une poésie impressionnantes, Clotilde Lebrun qui nous envoûte du son de ses guitares électriques avec une puissante sensibilité. Toutes trois interprètent le roman en harmonie, toutes trois se complètent, nous embarquent, nous hypnotisent, nous font frissonner, rire, pleurer. Elles incarnent parfaitement le propos. On oublie une quatrième guerrière : la créatrice lumière, Amandine Richaud, qui a fait un travail admirable, pour créer une intimité délicate, utilisant intelligemment les rasants et les contres.
Ces quatre héroïnes nous capturent dès la première seconde et les spectateurs, sourds et entendants, enfourchent, chacun avec sa sensibilité, ces trois langages et embarquent ensemble dans l’univers bouleversant de Maryam Madjidi. À la sortie, on a envie de courir dévorer son roman. Un tel spectacle vivant au festival de Coye : quelle chance !
Lien vers la galerie photo : MARX ET LA POUPÉE De Myriam Madjidi
PARTAGER |
Ce n’est pas un des moindres mérites du théâtre que de nous inviter à lire (ou relire), que ce soit les grands classiques ou les textes contemporains.