Désir
De Madame de Lafayette et Lise Martin
Mise en scène d’Anne-Frédérique Bourget
Avec Yolanda Creighton et Benoît Margottin
« Il parut alors une beauté à la Cour, qui attira les yeux de tout le monde… »
Ainsi commence, sous la plume de Madame de Lafayette, le portrait de Mademoiselle de Chartres, appelée à devenir Princesse de Clèves.
La magie opère immédiatement, tant la comédienne, Yolanda Creighton, sollicite l’écoute d’une voix pleine et sûre, capte la lumière et retient les regards par sa blondeur et sa sensualité. Le plateau nu de Coye-la-forêt, où elle répète son texte, devient la cour d’Henri II rassemblée pour un bal. Et l’on ne s’étonne pas d’y voir surgir avec bruit de bottes et cape virevoltante, celui avec lequel la Princesse dansera, le Duc de Nemours, éblouie déjà par « l’air brillant qui était dans sa personne. » Benoît Margottin ne déçoit ni nos attentes, ni celles de la comédienne, non plus que celles de Madame de Clèves. Beau, grand et souple, un corps de sportif joint à une délicatesse de la démarche et de la parole. Comme elle, il s’empare des lieux, des regards et de l’écoute.
Tous les deux ne peuvent que s’aimer…
La mise en scène d’Anne-Frédérique Bourget étourdit. Bien sûr elle donne d’abord à entendre les scènes les plus connues du roman de Madame de Lafayette : la rencontre entre deux êtres présentés comme exceptionnels, la montée des désirs et de la passion amoureuse — la diction parfaite des comédiens restitue la saveur de la langue du XVIIe siècle.
Mais cela ne s’arrête pas là, comme un jeu de poupées russes :
Il y a d’abord sur le plateau de Coye-la-forêt deux comédiens, Yolanda et Benoît, qui jouent dans un spectacle au 41e Festival théâtral.
Ils jouent le rôle de deux jeunes gens, l’une comédienne, venue dans une salle qu’elle a réservée pour répéter le texte de « La Princesse de Clèves », lui acrobate qui doit s’entraîner aux sangles pour une prestation future. Il la perturbe d’abord dans son travail de comédienne : comment réciter un texte quand, à côté de soi, un gymnaste multiplie les exercices ? Comment se concentrer quand son corps vous attire, comment s’échapper quand il vous touche ? C’est là que naît et s’épanouit le désir.
Le troisième niveau du spectacle est à la cour d’Henri II, dans une salle de bal, dans un tournoi, un jardin, un cabinet secret ou une chambre… où Madame de Clèves et Monsieur de Nemours se découvrent, se retrouvent, se cherchent et se perdent…
Trois niveaux de lecture, deux époques, des va-et-vient entre les XVIIe et XXIe siècles.
Pour basculer d’un siècle à l’autre, la simplicité : nul changement de décors, mais les éclairages — une quasi pénombre pour les temps lointains, et pour l’époque contemporaine la crudité de la lumière. Les éclairages, des chansons et le texte contemporain de Lise Martin.
Il est impossible de ne pas parler du tourbillon imaginé par la metteuse en scène, le spectacle est visuellement magnifique : agrippés à deux sangles, dans la pleine lumière, les comédiens voltigent, les corps se frôlent, se touchent, s’enroulent, s’étreignent. Leur danse érotique devient l’écho du bouleversement des amants du XVIIe, comme une illustration de la force et de la vibration de leurs regards.
Quart d’heure nostalgie : en rentrant chez moi après le spectacle, j’ai voulu prolonger les émotions et j’ai pu retrouver, émue, « ma » Princesse de Clèves, jaunie, marquée par le temps et les lectures, dans une édition de la Librairie Alphonse Lemerre de 1952, avec les anciennes graphies du XVIIe, quand on écrivait le « foir » pour le « soir », et Clèves sans accent grave… J’avais écrit au crayon sur la première page mon nom et ma classe 2nde B... Pincement au cœur.
LIEN VERS LA GALERIE PHOTO : Désir, de Madame de Lafayette et Lise Martin
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