Des micros au 42e festival théâtral : les voix s'élèvent !
Une nouvelle lettre de Mathurine
Ma chère amie,
Cette fois le festival pour adultes est terminé, mais il se poursuit encore pendant presqu'une semaine à destination de ceux que l'on appelle les "scolaires". Pour nous il n'y a plus de spectacles le soir, et avec eux ont cessé les animations que l'on pourraient qualifier de périfestivalières, les chants, les danses, les petites restaurations sur place, qu'elles soient assurées par les diverses associations coyennes ou par des professionnels. Vous êtes souvent venue par le passé et vous connaissez la chaude ambiance de notre festival, les retrouvailles, les rencontres, les discussions, toute cette joie partagée, ce rendez-vous annuel que pour ma part je ne voudrais manquer sous aucun prétexte. Quelle chance nous avons !
Laurent Domingos, avant chaque représentation (et du coup il se répète, car s'il y a des spectateurs fidèles qui, comme nous, viennent à tous les spectacles ou presque, il y en a aussi tous les soirs qui viennent là pour la première fois), Laurent, disais-je, se plaît à rappeler combien la sélection du festival se veut variée, présentant toutes les facettes de ce que peut être le théâtre, afin qu'il y en ait pour tous les goûts. Pour prendre deux extrêmes : voyez « Solar », spectacle de masque, absolument muet, triste et lent , énigmatique et poétique ; tout l'oppose à « Britannicus tragic circus », vrai feu d'artifice de danse, de musique et de dérision joyeuse. L'un et l'autre sont très réussis, chacun dans leur genre.
Après chaque représentation, nous sommes invités à "un bord de plateau", même si cela se déroule dans le hall d'entrée (sur le plateau lui-même les techniciens s'activent déjà à débarrasser la scène et à installer le nouveau plan de feu pour le spectacle du lendemain). Ce que dans le jargon on appelle un bord de plateau, c'est une discussion informelle avec le metteur en scène et les comédiens (ces métiers pouvant se décliner au féminin, bien sûr) et c'est une occasion assez rare de rencontrer ces gens-là qu'on n'a pas forcément la chance de côtoyer dans la vraie vie. Je n'y reste pas, bien que ce puisse être intéressant, parce que de fait, ça ne l'est pas toujours (intéressant), mais surtout parce que ça s'éternise parfois et que la bienséance fait qu'on n'ose pas s'en échapper. C'est délicat de se lever avant la fin, l'air de dire : Finalement je m'ennuie ! Donc, pour peu que je sois fatiguée, je préfère ne pas m'attarder.
Au bout du compte, 2023 fut un bon cru. Je note que nous n'avons pas eu de pièce du répertoire dit "classique". C'est rare qu'on ne nous glisse pas un Molière, un Shakespeare ou un quelque autre grand auteur des siècles passés. Mais non, cette année que du contemporain. Je ne m'en plains pas. Il faut vivre avec son temps.
Malgré la diversité des spectacles recherchée par les programmateurs, on observe que certains festivals se caractérisent par un élément récurrent, soit dans le thème, soit dans les procédés. Parfois c'est la présence de vidéo que l'on retrouve dans plusieurs pièces, ou bien c'est la fumée qui envahit le plateau tous les soirs. Je remarque que très souvent, en ce mois de mai 2023, nous avons eu droit, pour notre plus grand bonheur, à de la musique vivante (en live comme on dit maintenant ) : piano, guitares, tambourins et percussions diverses, violon, violoncelle, accordéon, harmonica. Pour plus de la moitié des spectacles, nous avions des musiciens sur scène. C'est bien agréable.
Une année le thème qui se dégageait assez nettement, c'était la femme. Cette année je remarque au contraire que nous avons eu quatre "seul en scène" (« Une vie de pianiste», « À la ligne », « Deux sœurs » et « Truffaut-Correspondance »), tous les quatre remarquables, et que ce n'était que des hommes (dans mes précédentes missives, je ne vous ai rien dit de « Deux sœurs » qui pourtant à mes yeux figurait au Top et méritait d'être primé... mais je ne peux pas tout vous détailler, sinon j'y passerais mes jours et mes nuits).
Ce qui m'a particulièrement frappée cette année, c'est que de très nombreux comédiens désormais (comédiennes tout aussi bien) ont une assistance vocale sous forme d'un discret micro fixé contre la joue. Ce dispositif leur permet sans doute un jeu plus nuancé, plus intime, et moins fatigant, que lorsqu'il leur faut porter la voix jusqu'au fond de la salle. Vous croirez sans doute que c'est un progrès, que dorénavant on les entendra bien partout. Eh bien détrompez-vous ! Maintenant ils peuvent se permettre de parler à voix basse, de sorte qu'en bordure de scène on ne les entend pas car les baffles acoustiques censés amplifier leur voix sont placés derrière les spectateurs des premiers rangs... qui donc pâtissent du moindre effort du comédien et ne profitent pas de l'augmentation du volume sonore que permet la technique. Le régisseur chargé du son n'a sans doute pas réfléchi à cette question.
On peut penser cependant que cette pratique du micro de théâtre va se généraliser dans les années à venir. À rebours de cette tendance, David Nathanson nous a dit "à l'ancienne" des lettres de François Truffaut d'une belle voix grave, forte et bien timbrée, ce qui n'empêchait nullement toutes les nuances du mépris, de l'ironie et de la tendresse aussi, de la colère et du persiflage. Au demeurant, je ne doute pas que Godard, littérairement assassiné par son camarade des Cahiers du cinéma, ait été humainement assez peu recommandable et on peut comprendre que, la jalousie aidant peut-être, la rivalité à tout le moins, Truffaut ait eu envie de le descendre en règle. Il demeure que l'œuvre de Godard est autrement innovante que celle de Truffaut, lequel critiquait si fort ses aînés quand il était jeune, pauvre et inconnu, mais qui, à son tour, ayant acquis une certaine notoriété, a fait tout comme eux du "cinéma de qualité" dès qu'il en a eu les moyens financiers. Ainsi va le monde. Chaque génération croit tout inventer et s'affirme en critiquant celle qui la précède. Éternelle querelle, les Anciens contre les Modernes, les Impressionnistes contre les Artistes académiques, et la Nouvelle vague contre la vieille marée...
Mais je dévie de mon propos. Je vous disais que désormais les comédiens ne sont plus obligés de s'exténuer à bien articuler et à parler haut et fort pour se faire entendre, bientôt ils joueront au théâtre comme ils jouent au cinéma (sauf qu'on n'a pas droit à l'erreur, il n'y a qu'une seule prise !). Nous verrons à l'usage si les spectateurs de la vieille école que nous sommes, vous et moi, auront à y gagner. Pour moi, la scène n'est pas le lieu du réalisme et j'avoue qu'une des choses que j'aime au théâtre, c'est précisément la théâtralité.
Mais j'arrête là mon bavardage pour aujourd'hui. Vous me dites que vous irez au festival d'Avignon cet été. Je me réjouis à l'avance de vous y retrouver.
Bien à vous,
Mathurine
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Je suis plus instinctive qu’intellectuelle, je ne me hasarderai donc pas à parler en profondeur des pièces que j’ai vues durant ce festival .D’autres le font avec tant de brio que je n’oserais.
Durant ces deux semaines (j’étais là tous les soirs), mes mains ont tapé des centaines de fois.
J’applaudis toujours, avec plus ou moins d’énergie selon mon ressenti.
Certaines fois, j’applaudis juste en reconnaissance du travail.
D’autres fois, portée par mon enthousiasme (et je n’en manque pas), j’applaudis à me rendre les mains douloureuses.
Quoique qu’il en soit, chaque année, ce festival est un vrai bonheur.
Merci et bravo à ce très exceptionnel quadragénaire !