Catégories: "Tribunes Libres"
Le printemps a été. On attend la chaleur. Vient l’été et ses promesses d’oisiveté et de liberté. Les pluies ont alourdi les grandes hampes des rosiers des jardins pour tourner vers le sol leurs corolles froissées par la grêle. Puis les trottoirs ont séché. Le vent a repoussé les orages. Il a dissipé les fumigènes des samedis d’émeute. Les images de luxe du festival de Cannes, avec les bonnes nouvelles des vedettes du show-bises et des stars du foot, mâles ou femelles, fascinent les foules. On oublie l’hyper-violence policière des scarabées noirs ivres de colère de faire le sale travail de taper sur la misère. La chaleur nous hallucine. La France va-t-elle se rendormir dans ses moiteurs estivales ? Mieux encore que le référendum d’initiative populaire, la sueur ne serait-elle pas le mode d’expression le plus égalitaire ?
Europe, fille du roi de Tyr, ancienne cité du Sud du Liban, est enlevée par le dieu des dieux de l’époque, déguisé en taureau, et emmenée en Crète, la limite Sud de notre continent européen, le Lampedusa du moment. Ça commençait déjà très mal pour elle. Le déguisement est carrément ridicule, mais la suite est criminelle : l’enlèvement d’une mineure avec viol et séquestration. A l’époque, les hommes n’avaient pas à se gêner, même les dieux violaient. Trois ou quatre millénaires plus tard, la pauvre Europe n’en mène pas plus large. Comme les précédentes élections de ses députés, celle d’il y a cinq ans n’a rien changé et celle-ci ne laisse rien augurer de meilleur.
On a tous dans le cœur une petite fille, son visage d’ange figé dans un monde sans été. Ici, le soleil ruisselle dans les courbes du printemps. Les glycines bleu tendre laissent pendre leurs pampres dans le chant des oiseaux. Les arbres sont couverts des floraisons prometteuses des gourmandises de l’automne. La petite fille n’a pas bougé. Les dames ont décolleté leurs toilettes en pétales de tulipes colorées. Les hommes restent en noir mais allègent leur silhouette dans des vêtements de sport. Les enfants crient en jouant dans la cour de l’école. Ils courent en riant de se sentir vivants. La petite fille discrète, à la timidité de violette, répond sagement à la maîtresse.
Les mêmes violences hebdomadaires s’écrasent contre les écrans médiatiques et les vitrines des grands boulevards. La colère ne cache plus la haine. Les vieilles colères de l’Histoire, des Jacques du Moyen-Âge aux sans-culottes de 93, habillent de haillons jaunes les vieilles haines épouvantables du siècle dernier. Rien n’est oublié. Tout est enfoui. Un jour ou peut-être une nuit, ça ressurgit. La sale rage de l’ombre se pare des vieux symboles éculés de l’antisémitisme et se réveille en hurlant au pogrom contre les juifs de France. C’est tout et n’importe quoi ! Et elles et eux, là-dedans ? Les pauvres, les ignorées, les invisibles, qu’est-ce qu’ils y gagnent ? Qu’est-ce qu’elles en ont à faire de leurs croix gammées ? Comme en 2015, les foules noir bitume de la République se déversent sur les places sombres des villes.
Voilà une année qui commence sous de sombres auspices. Les gens se souhaitent santé et amour pour 2019, mais pas la fortune. Les mauvaises nouvelles sont d’anciennes mauvaises nouvelles que radote la télé. On a passé Noël et la nouvelle année à serrer les dents, les fesses, les coudes, tout ce qu’on pouvait serrer. La finance internationale a construit « le Marché », énorme Baal dressé telle une monstrueuse verrue sur le vortex de notre planète bleue. Son ombre inexorablement gagne de continent en continent. Les hommes de pouvoir s’injurient d’une rive à l’autre, écrasant les uns contre les autres les peuples rendus fous de misère et de rage. La planète perd son bel opale bleuté de perle de la galaxie. L’avenir va devenir la nuit des temps. Comme la peur, la colère est contagieuse. Elle agite la houle des foules et fait gravement jaunir les gilets.
Les jours s’allongent le long des premières aubes roses quand les matins chagrins nous tirent des couettes épaisses aux rêves blancs. La forêt a perdu ses derniers atours et montre ses genoux violacés par l’hiver. C’est la trêve. La sève est au plus bas. Les gens ont froid et soufflent sur leurs doigts. Mais au village, les boutiques illuminent leurs vitrines. Dans la rue, la mairie a planté un sapin au milieu de la place battue de bises glacées. On va fêter l’espoir dans un futur doré. C’est la trêve de Noël. Il y a des crèches dans les maisons avec des besoins de vie fragile, de paille, d’humilité et d’enfançon. Il y a des guirlandes scintillantes et des boules velours. On va faire la fête.
Les enfants des migrants
Ont des grands yeux fragiles
Tremblants comme des océans
Des mains tendues de colère
Serrées de peur sur leur cœur
Entre-ouvertes qu’avec douceur
Avec la reconnaissance d’un regard de mère
Avec des bras ouverts en fleur de sœur.
Les enfants des migrants
Ont des envies de couleurs
Pour gommer les flammes et les nuages
Les ventres rouges des nuages
Quand la terre tremble
Quand les parents tremblent
Que le bruit rend sourd
Et que les bombes tuent l’amour.
Les enfants des migrants
Ont faim d’habitudes quotidiennes
De jours d’école qui sentent la sueur
De tartines grillées même sans beurre
Et de repas mangés à l’heure.
Les enfants des migrants ont besoin
Besoin de nous, besoin de rien,
Besoin d’un regard qui leur rende justice.